La mort de Jacques Chirac et l'incendie à Rouen : le traitement médiatique qui passe mal
Le traitement médiatique de la catastrophe industrielle qui suit l'incendie de l'usine Lubrizol de Rouen a été largement amenuisé par la mort, le même jour, de l'ancien président Jacques Chirac. Une hiérarchie de l'information qui pose question.
Le traitement médiatique de l'incendie de l'usine Lubrizol de Rouen va-t-il devenir un cas d'école dans les formations des futurs journalistes ? La mort de l'ancien président de la République Jacques Chirac ayant éclipsé l'énorme incendie industriel, nombreux sont ceux qui s'insurgent contre le choix éditorial de certains grands médias français.
« Notre maison brule et on regarde ailleurs... »
— Th Barnaudt (@tbarnaud) September 27, 2019
Les médias semblent rendre un hommage cynique à cette phrase de Jacques Chirac
Les hommages à l’ancien président tournent en boucle mais le drame préoccupant #Lubrizol de #Rouen a du mal à se frayer un chemin dans notre actualité pic.twitter.com/u5r7kyztE3
Le quotidien régional Paris-Normandie relate, dans le détail la manière dont les médias ont soudainement détourné leur regard de Rouen et de ses habitants affolés pour se concentrer presque exclusivement sur la disparition du président.
A l'issue de la journée mouvementée du 26 septembre, alors que des explosions, un violent incendie, un panache de fumée de 22 kilomètres de long sur six de large avaient secoué Rouen, rendant l'air irrespirable et faisant pleuvoir une eau noire imbibée d'essence, les grands journaux nationaux ont mis en une... Jacques Chirac.
On va boire une dernière bière, si ça se trouve demain on est mort
Comme le relève de nombreux observateurs, dans la presse écrite, Paris-Normandie était le seul journal à consacrer son image de une à Rouen, avec, simplement un entrefilet sur le président défunt.
Visiblement, toutes les vies ne se valent pas. #lubrisol#Rouen#Chirac#Macron#IncendieRouen#mediaspic.twitter.com/b9KBZRsjbK
— Cerveaux non disponibles (@CerveauxNon) September 27, 2019
Même la journaliste du Monde Ariane Chemin pointe le fait que Paris-Normandie était le seul à consacrer sa une à Rouen. «Paris-Normandie est sans doute le seul quotidien à ne pas faire sa une sur Jacques Chirac. Masque sur le nez, Tony a installé une chaise sur les pavés huileux. Il lève sa canette : "On va boire une dernière bière, si ça se trouve demain on est mort…"»
Paris-Normandie est sans doute le seul quotidien à ne pas faire sa une sur Jacques Chirac. Masque sur le nez, Tony a installé une chaise sur les pavés huileux. Il lève sa canette : « On va boire une dernière bière, si ça se trouve demain on est mort… » https://t.co/7tFpHL67lQ
— Ariane Chemin (@ArianeChemin) September 27, 2019
A la télévision, même scénario. A titre d'exemple, le journal de 20h de TF1 du 26 septembre a consacré pas moins que 53 minutes et 16 secondes au décès de l'ancien président sur les 54 minutes et 32 secondes que dure le journal. A 53:17, le journaliste Gilles Bouleau lance : «Un mot, un mot tout de même du reste de l'actualité» et fait le point sur l'incendie de Rouen pendant exactement... 20 secondes.
«Chirac est mort. On va plus nous prendre»
Amandine Briand, journaliste à Paris-Normandie raconte dans son article comment les journalistes nationaux qui étaient venus à Rouen dans la matinée en même temps que le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner ont subitement été pris de panique quand ils on appris le décès de Jacques Chirac.
«Lorsqu'elles apprennent le décès de l'ancien président de la République, les équipes d'envoyés spéciaux comprennent très vite que le vent va tourner. "Putain Chirac est mort. On va plus nous prendre [en direct]", entrevoit une journaliste de LCI. "C’est bon on peut décrocher", annonce une correspondante de BFMTV», relate Amandine Briand.
Là j'imagine les habitants de Rouen halluciner devant les journaux de midi et des chaînes d'info qui leurs expliquent que le décès de Jacques Chirac est bien plus grave qu'une usine seveso en flammes dans une grande ville qui fait pleuvoir des hydrocarbures sur leurs enfants
— nico l arsouille (@nicolarsouil) September 26, 2019
Parmi les habitants de Rouen et de sa région, suffoquant l'air irrespirable qui les a envahis, nombreux sont ceux qui reprochent aux médias nationaux leur silence. «Les citoyens à la recherche d'informations nationales sur l'énorme panache de fumée noire qui se répand dans le ciel de Rouen et de 12 communes environnantes se sentent rapidement démunis», explique la journaliste.
Nombre d'entre eux ont ainsi exprimé leur indignation sur les réseaux sociaux. Alors que le parquet de Rouen a annoncé que l'enquête judiciaire diligentée après l'incendie de l'usine chimique Lubrizol, classée Seveso, avait été élargie au chef de «mise en danger d'autrui», Brice Ivanovic, journaliste indépendant, écrit : «Le traitement médiatique de Lurbizol est d'une part scandaleux mais surtout inconscient, entraînant une potentielle mise en danger d'autrui par cette absence d'information. La hiérarchisation de l'info est capitale. Elle doit reprendre ses droits au plus vite.»
Le traitement médiatique de #lubrizol est d'une part scandaleux mais surtout inconscient, entraînant une potentielle mise en danger d'autrui par cette absence d'information. La hiérarchisation de l'info est capitale. Elle doit reprendre ses droits au plus vite. #Chirac#Rouenpic.twitter.com/8fBXcaaksU
— Brice Ivanovic (@bi1192) September 27, 2019
D'autres internautes ont, pour leur part, repris la célèbre citation de Jacques Chirac sur l'écologie : «Notre maison brûle et nous regardons ailleurs» pour illustrer ce traitement paradoxal.
La Maison brûle et nous regardons Chirac...#Rouen#Lubrizolpic.twitter.com/Lt7Ilnwd8e
— Emily (@Emily_Lykos) September 28, 2019
Avec un dispositif important prévu par les grands médias pour couvrir l'hommage populaire à l'ancien président dimanche 29 septembre aux Invalides à Paris et le deuil national le jour d'après avec une cérémonie à laquelle participeront une trentaine de chefs de l'Etat étrangers, l'incendie à Rouen et ses conséquences ont toutes les chances de passer encore au deuxième plan suscitant une frustration de la population inquiète face au risques sanitaires possibles.
Meriem Laribi
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