En janvier 2018, lors de ses vœux à la presse, Emmanuel Macron, dans un contexte d'émergence de canaux d'information alternatifs aux médias traditionnels, annonçait vouloir «faire évoluer [le] dispositif juridique pour protéger la vie démocratique [des] fausses nouvelles».
«C'est vous journalistes qui êtes les premiers menacés par cette propagande. Elle adopte votre ton [...] votre vocabulaire. Parfois même, elle recrute parmi vous», avait-t-il déploré, ajoutant qu'elle était «parfois même financée par certaines démocraties illibérales». Emmanuel Macron faisait alors une «allusion voilée» aux médias «russes», selon les termes de l'AFP, notamment quant il communiquait le but de la loi : «lutter contre toute tentative de déstabilisation par des services de télévision contrôlés ou influencés par des Etats étrangers».
Ce discours avait suscité de nombreuses critiques, le blogueur Olivier Berruyer, animateur du site Les Crises, fustigeant par exemple un «mouvement de diminution de la liberté d'expression et d'information sur internet».
Lors de la visite de Vladimir Poutine à Versailles, le 29 mai 2017, le président français avait par ailleurs déjà accusé les médias russes RT et Sputnik de s'être «comportés comme des organes d'influence [...] et de propagande mensongère». En janvier 2018, il détaillait les contours du texte législatif qu'il appelait de ses vœux : «En cas de propagation d'une fausse nouvelle, il sera possible de saisir le juge [afin] de supprimer le contenu mis en cause, de dé-référencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné, voire de bloquer l'accès au site internet.»
Fini les fake news, place à la «manipulation de l'information»
Le texte porté par la majorité présidentielle après l'offensive du président de la République, faisait initialement référence à la lutte contre les fausses informations ou fake news. Mais son intitulé a changé au printemps, pour cibler dès lors la «manipulation de l'information». Changement de stratégie gouvernementale ?
Dans une interview accordée à la chaîne Arte début 2017 et diffusée le 13 mars 2018, Mounir Mahjoubi, responsable de la campagne numérique du candidat Emmanuel Macron et désormais secrétaire d'Etat au Numérique, livrait sa vision de RT France.
Alors que le journaliste d'Arte lui demandait s'il pouvait citer des exemples de fake news relayées par RT ou Sputnik, celui-ci répondait : «C'est plus ensuite un état d'esprit permanent.» En d'autres termes, sans doute conscient qu'ils n'en avaient jamais diffusées, Mounir Mahjoubi expliquait que les griefs que son parti nourrit contre les journalistes de RT ne concernaient pas les fausses informations mais une ligne éditoriale qui ne serait pas favorable au président de la République. Quelques mois plus tard, il estimait que le texte de loi devait empêcher des pays étrangers de «manipuler l'opinion des Français».
Le 3 juillet 2018, la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, citait en exemple l'Ofcom, le CSA britannique, prêt à envisager un retrait de la licence attribuée à RT en Grande-Bretagne en cas d'«utilisation illégale de la force par l'Etat russe». Venue défendre devant l'Assemblée nationale la proposition de loi du gouvernement, elle expliquait devant le feu nourri des critiques, ne pas vouloir «céder à la démagogie, en renvoyant à la seule capacité de discernement des citoyens.»
Après des mois de débat et deux rejets par le Sénat, le 20 novembre, l'Assemblée nationale adoptait définitivement la loi controversée contre la «manipulation de l'information».
Cette loi vise, selon le texte, à permettre à un candidat ou à un parti de saisir le juge des référés pour faire cesser la diffusion de fausses informations durant les trois mois précédant un scrutin national. Elle impose aux plateformes numériques (Facebook, Twitter, etc.) des obligations de transparence lorsqu'elles diffusent des contenus contre rémunération.
Elle prévoit également des dispositions relatives à l'éducation aux médias et à l'information. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pourra suspendre la diffusion de services de télévision contrôlés «par un Etat étranger ou sous l'influence» de cet Etat, s'ils diffusent «de façon délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin».
RT France persona non grata à l'Elysée ?
Dans les mois précédents l'adoption de la loi, RT France avait eu maille à partir à de nombreuses reprises avec le service de presse de l'Elysée. Fin mai 2018, par exemple, un journaliste de RT France s'était vu priver d'accès à l'Elysée par un gendarme, sur consigne expresse de la présidence et malgré la présentation de sa carte de presse. Dans un entretien à PureMédias, le 22 octobre, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, avait justifié le non-accès des journalistes de RT à la salle de presse de l'Elysée, au seul motif que le média était financé par un Etat étranger, ce qui en ferait selon lui un outil de «propagande».
Néanmoins, l'Elysée, par la voix de l'un de ses conseillers, a annoncé le 13 novembre que les journalistes de RT France se verraient désormais délivrer des accréditations au palais. Et le conseiller d'estimer : «Je préfère prévenir que guérir, en l'occurrence et donc on verra comment ils se comportent au fur et à mesure que les accréditations [seront accordées].»
Depuis, RT France a obtenu une accréditation. Une seule fois. Toutes les autres demandes n'ayant pas abouti. L'année 2019 se révélera-t-elle différente ? A suivre.
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