Les députés votent en nouvelle lecture le texte controversé sur «la manipulation de l'information»
L'Assemblée nationale a voté en nouvelle lecture la proposition de loi ordinaire contre «la manipulation de l'information» en période électorale, qui avait été rejetée par le Sénat cet été et présentée comme inutile par l'opposition.
La proposition de loi ordinaire relative à la lutte contre la «manipulation de l'information» a été adoptée par – seulement – 45 voix contre 20 à l'Assemblée nationale, dans la nuit du 9 au 10 octobre. «Face la multiplication des tentatives de manipulation, il est urgent d'agir», a lancé la ministre de la Culture Françoise Nyssen, donnée partante du gouvernement mais présente dans l'hémicycle pour défendre son texte. «Tous les garde-fous ont été instaurés [et ce projet] ne restreint en rien la liberté d'expression», a-t-elle assuré, alors que l'opposition et les associations de journalistes ont dénoncé un texte au mieux «inapplicable» et «inefficace», au pire «dangereux pour la liberté d'opinion».
La ministre a également annoncé à cette occasion le lancement d'une mission en vue de la création d'un «conseil de déontologie de la presse», confiée à l'ex-PDG de l'AFP Emmanuel Hoog.
Les deux propositions de loi contre «la manipulation de l'information» – ordinaire, et organique pour la présidentielle – visent selon l'AFP à permettre à un candidat ou un parti de saisir le juge des référés pour faire cesser la diffusion de «fausses informations» durant les trois mois précédant un scrutin national. Les propositions de loi entendent imposer aux plateformes numériques (comme Facebook et Twitter) des obligations de transparence lorsqu'elles diffusent des contenus contre rémunération. De plus, le texte prévoit la possibilité pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'«ordonner la suspension de la diffusion [d'un service] contrôlé par un Etat étranger ou sous l'influence [de cet Etat s'il] diffuse de façon délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin».
«Une mauvaise plaisanterie», selon Mélenchon
Déposées en mars dernier, les deux propositions de loi avaient été adoptées par l'Assemblée mais rejetées par le Sénat fin juillet. Pour son deuxième passage au palais Bourbon, le texte a de nouveau soulevé les critiques de l'opposition.
Ainsi, les députés de gauche, l'UDI-Agir (qui n'est pourtant pas dans une logique d'opposition systématique au gouvernement) et Les Républicains (LR), cités par l'AFP, ont déploré un texte inutile, rappelant en outre que «les fausses informations [étaient] déjà réprimées par la loi sur la presse de 1881». Ils ont notamment fait valoir une définition non-aboutie d'une «fausse information», la difficulté pour un juge de trancher dans l'urgence sur des situations complexes, ainsi que le pouvoir de censure exorbitant accordé selon eux au CSA. «Nous doutons que la procédure de référé soit suffisante pour qualifier l'infraction. Cela fait peser sur le juge un enjeu assez lourd avec des risques de pression et d'instrumentalisation», a fait valoir Constance Le Grip (LR).
#FakeNews : le sujet n'existe pas !
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 9 octobre 2018
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A gauche, Marietta Karamanli (PS) a déclaré que «les bonnes intentions ne faisaient pas forcement des bonnes lois», et rappelé que la meilleure solution contre les «fausses informations» restait la mobilisation de la presse indépendante. «Ce sujet n'existe pas. C'est une mauvaise plaisanterie», a également martelé le chef de file de La France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon, pour qui la loi sur la presse répond déjà à la diffusion des «fausses nouvelles».
Désormais, après ce nouveau vote de l'Assemblée, le texte repart au Sénat pour sa dernière navette avant le scrutin final.
RT dans le viseur ?
Si le texte porté par la majorité présidentielle faisait initialement référence à la lutte contre les «fausses nouvelles» ou «fake news», il a changé d’intitulé au printemps, pour cibler la «manipulation de l'information». Pas plus tard que le 9 octobre, le secrétaire d'Etat chargé du Numérique, Mounir Mahjoubi, a déclaré que «l'essentiel de cette loi» n'était pas de «dire ce qui est vrai ou ce qui est faux», mais d'empêcher «des forces étrangères [d']investir de l'argent dans notre espace médiatique ici pour manipuler l'opinion des Français».
Or, des membres du gouvernement et de la majorité ont laissé entendre à plusieurs reprises que ces propositions de loi visaient des médias comme RT et Sputnik.
«On ne va pas laisser un pays étranger, on ne va pas laisser des forces étrangères, investir de l'argent dans notre espace #médiatique ici pour manipuler l'#opinion des Français» a également déclaré le secrétaire d'Etat#FakeNews
— RT France (@RTenfrancais) 9 octobre 2018
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Quelques mois plus tôt, le 3 juillet, la ministre de la Culture Françoise Nyssen avait cité en exemple l'Ofcom, le CSA britannique, qui se disait prêt à envisager un retrait de la licence attribuée à la RT en cas d'«utilisation illégale de la force par l'Etat russe». A la question de savoir si la future loi contre les fausses informations visait directement RT, Françoise Nyssen estimait déjà, dans une interview accordée au quotidien Le Figaro en mars, qu'elle allait «effectivement étendre les pouvoirs du CSA pour contrôler les services audiovisuels émanant de gouvernements étrangers».