Au-delà de l'affaire Kohler : le pantouflage, cette relation incestueuse entre l'Etat et le privé

Au-delà de l'affaire Kohler : le pantouflage, cette relation incestueuse entre l'Etat et le privé© Philippe Wojazer Source: Reuters
L'affaire Alexis Kohler suscite la controverse sur les liens nombreux et étroits entre les fonctionnaires liés à l'action politique et le secteur privé
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Si Alexis Kohler, proche d'Emmanuel Macron et secrétaire général de l'Elysée, est suspecté de conflit d'intérêts pour ses navettes entre le privé et le public, de précédents cas de pantouflage font également polémique.

Le pantouflage, cette pratique qui consiste pour un fonctionnaire, en particulier pour un ancien élève d'une grande école, à quitter le service de l'Etat pour celui d'une entreprise privée, est une habitude bien française. Cette navette du public au privé fait généralement l'objet d'une étude au sein de la Commission de déontologie de la fonction publique – chargée de contrôler le départ des agents publics dans le secteur privé – et nombre de cas n'ont pas fait l'objet de condamnations judiciaires pour un supposé conflit d'intérêts.

Lors du dernier quinquennat, le cas Jean-Jacques Barberis, conseiller politique de François Hollande à partir de 2013 est sans doute le plus symptomatique de cette tendance. Alors que le président plonge dans les sondages, Jean-Jacques Barberis quitte discrètement l'Elysée après trois ans de bons et loyaux services, pour une société de gestion d'actifs, Amundi. A la clef un salaire annuel de 400 000 euros. L'Obs évoquait en 2015 «ce trentenaire surdiplômé [à]l'allure de trader de la City», alors promu «conseiller pour les affaires économiques et financières nationales et européennes».

En mars 2016, soit peu de temps après la révélation de ce pantouflage par le média La lettre A, Laurent Mauduit s'interroge dans Mediapart : «Allez vous étonner ensuite que François Hollande ait multiplié les cadeaux les plus extravagants aux milieux les plus réactionnaires du patronat ou cherche à dynamiter le code du travail : ses conseillers sont, en effet, tous du même acabit. La finance, c’est leur port d’attache. Ils en viennent ; ou alors ils savent qu’ils vont bientôt pouvoir y trouver refuge.»

Une évolution de carrière qui ressemble fortement à celle de Laurence Boone, conseillère économique de François Hollande de juillet 2014 à mars 2016, partie ensuite chez Axa. Sandrine Duchêne, elle aussi partie chez Axa en 2015, travaillait auparavant au ministère de l’Economie et des Finances. Elle a commencé sa carrière comme économiste à la Direction des études et des synthèses économiques à l’INSEE, avant de rejoindre la Direction du Trésor. Elle devient finalement chef du bureau de la politique économique, puis sous-directrice des finances publiques. Elle a par la suite été conseillère économique du président François Hollande en 2012.

Les exemples sont nombreux, tel celui de Sébastien Dessillons, ancien conseiller en entreprises et en affaires industrielles du Premier ministre Manuel Valls de 2014 à 2016, puis directeur à BNP Paribas.

Plusieurs médias, comme Mediapart, insistent sur l'idée que «l’intérêt général n’a plus grand sens dans certains cénacles de la haute fonction publique». La Tribune tape encore plus fort : «Les conseillers de l'Elysée et de Matignon retrouvent des postes dans la finance. Preuve que les conflits d'intérêts ne se sont pas estompés sous la mandature de François Hollande.»

Quelques exemples de réformes engagées par François Hollande semblent indiquer que l'influence du parcours de ces conseillers de l'ombre sur les politiques publiques adoptées pendant le quinquennat est bien réelle : la loi Macron (flexibilisation du travail du dimanche, libéralisation du transport en autocar,...), la loi Travail ou El Khomri (réforme du code du travail, plafonnement des indemnités prud'homales versées aux salariés,...) ou le CICE (une aide aux entreprises qui a servi, parfois, indirectement à l'augmentation de dividendes).

Sous Nicolas Sakozy, des pantouflages réguliers

Le pantouflage est loin d'être l'apanage des personnalités ayant gravité autour du Parti socialiste. En effet, ce phénomène était tout aussi répandu sous Nicolas Sarkozy qui, après la crise financière de 2008, avait notamment présenté un plan de 360 milliards d'euros pour aider les banques.

Et de fait, le président était entouré de pontes du monde de la finance et de la banque. Le haut fonctionnaire Xavier Musca, ex-membre du cabinet du Premier ministre Edouard Balladur, secrétaire général de l'Elysée entre 2011 et 2012 sous Nicolas Sarkozy, a rejoint en 2012, en tant que directeur général délégué, le Crédit Agricole, après autorisation de la Commission de déontologie.

Autre cas éloquent : François Pérol, ex-conseiller économique de Nicolas Sarkozy en 2007, est devenu numéro 1 du groupe BPCE (organe central commun de Banque Populaire et Caisse d'Epargne). Il a été blanchi en appel en 2017 des accusations de «prise illégale d'intérêts» qui le visaient : ces accusations étaient liées à son passage en 2009 de l'équipe du président Nicolas Sarkozy à la tête de BPCE. 

Le 30 juin 2017, devant une commission d’enquête parlementaire, François Pérol avait malgré tout admis avoir «donné son avis» à Nicolas Sarkozy à propos de la BPCE. Comme le rappelle Libération, «la prise illégale d'intérêts interdit à tout dépositaire d’une parcelle d’autorité publique [comme les fonctionnaires ou les agents publics] ayant eu l’occasion de contrôler, surveiller, proposer des décisions ou formuler des avis sur une entreprise, d’y travailler ou d’en prendre une participation, avant une période de trois ans, afin d’interdire ensuite tout renvoi d’ascenseur» d'un acteur public vers le privé. En 2018, François Pérol intègre finalement la holding Rothschild & Co.

Depuis une dizaine d'années, les allers-retours entre le secteur public et le secteur financier sont devenus monnaie courante

Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération bancaire française a, quant à elle, débuté sa carrière au Trésor, l'a poursuivie dans différents cabinets ministériels, avant de devenir directrice générale adjointe de la Fédération nationale du Crédit agricole... puis de revenir à Matignon auprès de François Fillon. 

L'inspecteur des finances Frédéric Oudéa a été conseiller de Nicolas Sarkozy au ministère du Budget en 1993. En 1995, il est recruté par la Société générale avant de devenir PDG en 2009 et de redevenir à la fonction de directeur général en mai 2015.

«Les connexions entre le secteur bancaire et financier, la haute fonction publique et la décision politique sont tellement fortes que cela atténue grandement la volonté de remédier aux dérives de la finance», argue l'avocate Jézabel Couppey-Soubeyran, interviewée par l'AFP.  «Depuis une dizaine d'années, les allers-retours entre le secteur public et le secteur financier sont devenus monnaie courante», estime Jézabel Couppey-Soubeyran, également maître de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Si le lobbying et son influence sur les décisionnaires politiques défraie régulièrement la chronique, le pantouflage apparaît comme une pratique plus floue et dont les implications sont plus difficilement mesurable. Qu'il s'agisse de personnalités venues du privé pour rejoindre le sommet de l'Etat, ou quittant la haute fonction publique pour travailler dans la banque et la finance, le soupçon demeure quant à l'existence d'échanges de bons procédés entre deux milieux pourtant supposés être hermétiques l'un à l'autre.

Bastien Gouly

Lire aussi : Affaire Kohler : le ministère des Finances perquisitionné, l'étau se resserre ?

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