Les différentes mesures mises en place par Emmanuel Macron au cours de sa première année de mandat, principalement sur le plan économique, ne laissent pas indifférents les électeurs et les personnalités de droite. De quoi faire redouter aux cadres des Républicains (LR) et du Front national (FN) une hémorragie électorale dans leurs propres rangs. Pour éviter de voir leurs soutiens se laisser séduire par le chef de l'Etat, les deux partis tentent de se démarquer de La République en marche (LREM) en essayant de faire apparaître le «vrai visage» d'Emmanuel Macron – celui d'un homme de gauche.
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De fait, 45% des Français qui avaient voté pour François Hollande en 2012 ont choisi Emmanuel Macron dès le premier tour il y a un an, faisant presque de lui le candidat de facto du Parti socialiste (PS). A titre de comparaison, ceux qui avaient voté pour Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle précédente n'étaient que 18% à s'être laissés convaincre par celui qui a été membre du PS pendant trois ans. A cela s'ajoutent les très nombreux ralliements de personnalités politiques issues des rangs du PS, avant comme après sa victoire. Elu en grande partie grâce au soutien de la gauche, Emmanuel Macron ne s'est d'ailleurs pas montré ingrat envers cette dernière. Il y a un an, il nommait ainsi pas moins de sept ministres venus de la gauche, parmi lesquels des figures importantes du PS, tels Jean-Yves Le Drian, Gérard Collomb ou encore Florence Parly.
A l'époque, droite et FN y avaient vu la confirmation de leurs arguments de campagne : Emmanuel Macron serait le digne héritier de François Hollande. Pourtant, un an plus tard, le constat est amer pour la droite. Les sympathisants LR sont 50% à approuver l'action du président de la République, et même si une minorité des sympathisants FN est acquise à ses idées, ils sont désormais près d'un tiers à les approuver... soit une hausse de 8% en seulement un mois, selon le baromètre mensuel de confiance politique de Harris Interactive.
Un programme économique qui prend Les Républicains au dépourvu
Le succès rencontré par Emmanuel Macron auprès de l'électorat de droite est bien évidemment lié à la politique économique qu'il a décidé de mettre en place. La réforme du Code du travail, à l'occasion de laquelle il est parvenu à passer outre toute opposition avec bien plus d'efficacité que François Hollande, aura posé des premiers jalons. Confortant l'image d'un réformateur opiniâtre face aux syndicats, elle a marqué le début de la dynamique favorable au chef de l'Etat dans l'opinion des sympathisants de droite.
En outre, plusieurs des décisions économiques prises dès sa première année de présidence, comme la réduction de l'impôt sur les sociétés ou l'abrogation annoncée de l'«exit tax», ont confirmé l'orientation libérale décidée par Emmanuel Macron. Si celle-ci figurait déjà dans son programme de campagne, et peut être analysée comme la poursuite logique de la transformation de la gauche, elle ne fait que renforcer la perception positive du président par les sympathisants de droite. Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, lui-même issu des rangs de LR, estimait même dans un tweet adressé à Eric Woerth qu'Emmanuel Macron, en matière économique, ne faisait que tenir les promesses passées de son ancien camp politique.
Eminemment inconfortable pour ses dirigeants, cette position contraint LR à faire profil bas lorsque la majorité présidentielle propose par exemple la suppression de l'ISF – une mesure votée de concert par les députés LREM et LR. Même scénario lors du vote à l'Assemblée de la réforme de la SNCF : les élus de droite ont voté comme un seul homme en faveur du texte du gouvernement. Difficile en effet pour la droite, dont la réforme de l'entreprise publique est un leitmotiv depuis plusieurs années, de jouer la carte de l'opposition. La voilà contrainte à des contorsions argumentatives qui témoignent d'un certain embarras : «Nous aurions eu de nombreux arguments pour ne pas voter ce texte, mais les députés LR ne sont jamais en posture politicienne», expliquait ainsi le député LR du Jura Jean-Marie Sermier.
Le retour de l'homme fort et du présidentialisme
La plus forte hétérogénéité des préférences économiques des électeurs du FN ne permet pas d'établir un lien entre les réformes entreprises par Emmanuel Macron sur ce terrain et la forte progression enregistrée par le président chez ceux qui, un an plus tôt, lui ont préféré Marine Le Pen, dont le programme était pourtant presque en tous points opposés au sien. En revanche, le retour à un présidentialisme fort a tout pour rassurer un électorat sensible à l'incarnation du pouvoir et lassé des méandres des débats partisans. C'est d'ailleurs un point commun entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron que d'être les deux leaders incontestés de formations politiques essentiellement dévouées à promouvoir leurs candidatures respectives lors des échéances électorales. A l'heure où même Les Républicains se sont convertis au principe des primaires, LREM et le FN honorent la tradition, historiquement chère à la droite, du chef naturel. De quoi séduire en outre nombre de sympathisants de LR qui, depuis son virage post-Sarkozy, ne se reconnaissent plus dans leur parti.
Par ailleurs, Emmanuel Macron est parvenu à s'imposer comme un homme fort dans un autre domaine : la diplomatie. Toujours à l'aide d'une communication finement rodée, le président français s'est illustré en invitant Vladimir Poutine à Versailles peu après son élection, en étant l'hôte de Donald Trump pour la première visite d'un chef d'Etat étranger aux Etats-Unis depuis l'élection de ce dernier, ou encore en participant à l'intervention récente en Syrie. Le mantra «France is back» ne résiste certes pas tout à fait à l'épreuve des faits, mais il a au moins fini par convaincre ceux qui attendaient le retour d'une diplomatie charismatique et incarnée. Parmi ceux-là, Philippe de Villiers, jadis très critique envers le nouveau chef des armées et ancien ministre de l'Economie de François Hollande, assurait en janvier dernier qu'il était «comme le général de Gaulle» et qu'il avait «renoué avec [une] idée capétienne de la France».
Rompant radicalement avec la «présidence normale» dont son prédécesseur avait vainement tenté de tirer profit, Emmanuel Macron a rapidement tenu à donner un ton nouveau à l'exercice du pouvoir : discours devant le Congrès à Versailles, rétablissement des chasses présidentielles à Chambord, refus d'une promiscuité trop visible avec les journalistes... Le président veut indéniablement restaurer le caractère altier d'une fonction présidentielle trop banalisée ces dernières années. Plus question de feindre la collégialité ou l'horizontalité, comme a tenté de le faire par le passé une gauche mal à l'aise avec l'exercice du pouvoir. Plusieurs observateurs notent au contraire qu'Emmanuel Macron s'inspire de Charles de Gaulle. Peut-être vise-t-il même plus haut ? «La République n’a jamais remplacé la figure du roi», affirmait-il en pleine campagne présidentielle à l'occasion d'un entretien accordé au magazine Le 1. Les leçons qu'il aura tirées de la crise de l'autorité en France semblent en tout cas porter leurs fruits. Et Jean-Marie Le Pen de reconnaître : «Il incarne la fonction.»
Questions sociétales : une filiation de droite ?
La question de l'immigration, devenue un marqueur politique central dans la vie politique française bien avant la crise migratoire amorcée en 2015, n'a pas été négligée par Emmanuel Macron. Si ses détracteurs les plus zélés l'accusent volontiers d'«immigrationniste», force est d'admettre que les signaux envoyés par la loi asile-immigration ont de quoi satisfaire l'électorat de droite. Décriée par le Défenseur des droits Jacques Toubon, critiquée par La France insoumise et par le PS, affolant les associations d'aide aux migrants, elle a suscité des réticences jusque chez la frange la plus à gauche de LREM. Si la droite, par nécessaire opposition, a certes fustigé le «laxisme» du texte, il introduit pourtant des dispositions, comme l'allongement de la durée de rétention des étrangers en attente de leur expulsion, qui vont dans le sens d'une plus grande fermeté. De quoi rassurer une opinion de plus en plus défiante vis à vis de l'immigration, a fortiori à droite.
En assurant vouloir «réparer le lien entre l'Eglise et l'Etat» en avril dernier, Emmanuel Macron ne pouvait ignorer qu'il susciterait de vives réactions. Ces propos témoignent d'une vision assumée de l'histoire de la laïcité en France. Loin de la tenir pour un impératif d'endiguement radical de la foi et des religions, il semble ainsi l'envisager comme une simple séparation d'institutions pouvant toutefois collaborer. S'il n'existe pas d'électorat chrétien homogène, il existe en revanche une filiation d'idées clairement ancrée à droite, dans laquelle Nicolas Sarkozy en son temps avait déjà tenté de s'inscrire en affirmant que l'instituteur ne remplacerait pas le prêtre «dans la transmission des valeurs». Emmanuel Macron s'y identifie indubitablement. En février dernier, il organisait en outre un dîner à l'Elysée pour recueillir différents avis sur la question de l'euthanasie. Plusieurs représentants religieux, comme le nouvel archevêque de Paris, monseigneur Michel Aupetit, ou encore le grand rabbin de France, Haïm Korsia, avaient été conviés. En reconnaissant que les religions avaient voix au chapitre en matière éthique, le chef de l'Etat est parvenu, une fois de plus, à adresser un message efficace à l'opinion conservatrice qui ne lui était pourtant pas acquise.
Il est possible de douter de l'honnêteté de ces prises de position présidentielles qui pourraient bien n'être que d'habiles manœuvres électoralistes. Il est également permis de s'interroger sur leur portée, peut-être davantage symbolique que réelle. Toujours est-il qu'elles permettent à Emmanuel Macron de conquérir du terrain à droite, alors même que le climat politique dans lequel il est arrivé au pouvoir prédisposait LR et FN à un quinquennat d'opposition revigorante. Pourquoi les excursions de Laurent Wauquiez en terrain identitaire ne convainquent pas l'opinion quand le conservatisme affiché par Emmanuel Macron de manière quelque peu inattendue y parvient ? Pourquoi ses sorties sur les rapports entre le catholicisme et la France sont-elles jugées recevables, certes au prix de vifs débats, quand celles de Marine Le Pen sur les racines chrétiennes de la France sont aussitôt rejetées ? Tandis que LR et le FN se persuadent que la réponse réside dans une simple usurpation d'identité politique de la part du président, Emmanuel Macron ne cesse de marquer des points auprès d'un électorat plus que jamais réceptif à ses mouvements.