La position de Paris sur le devenir de la Syrie a-t-elle (encore) varié ? La ministre française des Armées, Florence Parly, dans une interview au Parisien le 14 avril, évoque la fameuse «ligne rouge» supposément franchie par le gouvernement syrien pour justifier les frappes occidentales de la nuit du 13 au 14 avril. Cependant, la ministre française précise dans ce même entretien : «Je rappelle néanmoins que notre présence en Syrie [des membres des forces spéciales françaises se trouvent dans le pays] a pour seul objectif l’éradication de Daesh.» Faut-il comprendre en creux : et non le renversement de Bachar el-Assad ni quelque politique de «changement de régime» ?
Dans son interview au quotidien, Florence Parly déclare également ne pas souhaiter la résolution du conflit syrien par l'emploi de la force : «Nous avons pris grand soin de ne pas conduire cette opération [les frappes occidentales] dans un sens qui pourrait constituer une quelconque escalade, militaire ou politique. Ce n’est pas le but. Nous sommes conscients que la résolution de la crise syrienne ne passera pas par l’utilisation des armées. C’est une solution politique et diplomatique dont nous avons besoin.»
Nouveau changement de position des autorités françaises ?
Quelques jours auparavant, le 12 avril, alors qu'une frappe française en Syrie se profilait, Jean-Jacques Bridey, membre de La République en marche (LREM) et président de la commission de Défense de l'Assemblée nationale, jugeait pourtant que l'hypothèse d'un maintien au pouvoir de Bachar el-Assad en Syrie n'était «plus d'actualité», après l'attaque chimique présumée à Douma du 7 avril, que les Occidentaux attribuent à Damas.
«Ça fait sept ans que ça dure, ça fait sept ans que la communauté internationale n'est pas en capacité de trouver des solutions, donc il faudra trouver une solution, mais l'hypothèse que monsieur Bachar el-Assad reste au pouvoir après ce massacre là n'est plus d'actualité», avait ainsi déclaré Jean-Jacques Bridey sur CNews. Et d'ajouter : «Il faut le punir et il faut démolir, détruire toutes les capacités d'armes chimiques.»
Une position en cohérence avec celle du candidat Macron à la présidentielle, qui bandait les muscles en annonçant sur France 2 en avril 2017 : «Bachar el-Assad n'en est pas à son premier crime. Si les faits se confirment, il faut une intervention militaire internationale [...] On ne peut pas laisser ce qui s'est passé sans sanction.» En cela, il rejoignait la position de son prédécesseur à l'Elysée, François Hollande, qui avait longtemps fait du départ de Bachar el-Assad un préalable à la résolution du conflit syrien.
Les zigzags de la diplomatie française sur le dossier syrien
Peu après son élection, Emmanuel Macron s'était néanmoins montré moins inflexible sur le dossier syrien et avait tempéré, en juin 2017 : «Je n'ai pas énoncé que la destitution de Bachar el-Assad était un préalable à tout.» La diplomatie française semblait ménager chèvre et chou en septembre 2017, lorsque Jean-Yves Le Drian déclarait lors d'une visite en Russie que le départ de Bachar el-Assad «n’était pas un préalable», et que celui-ci n'était pas «la solution et l'aboutissement du processus politique» en Syrie.
Le spectre de Daesh s'est quelque peu dissipé au cours de l'automne 2017 aux yeux des autorités françaises, et particulièrement le 9 novembre, lorsqu'Emmanuel Macron annonçait : «Nous avons gagné à Raqqa et les prochaines semaines et les prochains mois nous permettront, je le crois profondément, de gagner complètement sur le plan militaire dans la zone irako-syrienne.» Toutefois, le président français ajoutait ensuite : «Mais il n'en sera pas terminé pour autant de ce combat. La stabilisation dans la durée, la lutte contre les groupes terroristes seront d'indispensables compléments à la solution politique inclusive, plurielle, que nous voulons voir émerger dans la région.»
Après les frappes occidentales du 14 avril, la question demeure donc quant aux intentions de la France sur le dossier syrien, notamment en ce qui concerne le rôle, sur le long terme, de ses forces spéciales présentes dans le pays.
Une action pour flatter les «forces euro-atlantistes» ou «pour se faire valoir» ?
Le chef de file de l'UPR, François Asselineau, évoquait au micro de RT France le 14 avril «un parfum de gesticulation» et des intérêts liés à «je-ne-sais quelles forces euro-atlantistes» qui auraient pressé la France d'agir en Syrie. Est-ce de ce côté qu'il faut chercher une explication à l'action conjointe de Washington, Londres et Paris ?
Ou bien, plus simplement, faut-il trouver quelque vérité dans les propos du député Jean Lassalle qui déclarait sur RT France le 14 avril à propos des frappes occidentales : «La France, hélas, paiera les conséquences des décisions d'un homme irréfléchi, qui a voulu se faire valoir.»
En tout état de cause, dans un contexte social tendu en France, entre grèves des transports, luttes étudiantes et évacuation musclée de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, la popularité d'Emmanuel Macron souffre auprès de ses concitoyens. Elle était même au plus bas le 23 mars 2018, selon un sondage BVA qui accordait seulement 40% d'opinion favorable au président : 12 points de moins qu'en décembre 2017.
D'aucuns pourraient penser que le gouvernement a bien saisi le revirement d'opinion des Français quant à son action et les deux interventions télévisées du chef de l'Etat dans la même semaine (le 12 avril dans le journal de 13h de Jean-Pierre Pernault sur TF1, puis le 15 avril sur BFMTV) montrent bien la volonté de la présidence de réoccuper l'espace public. Ces données intérieures auraient-elles aussi pesé sur la prise de décision ayant présidé aux attaques nocturnes sur le gouvernement syrien ?
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