Procès de la voiture de police incendiée sur le quai de Valmy : la justice doit-elle être clémente ?

Procès de la voiture de police incendiée sur le quai de Valmy : la justice doit-elle être clémente ?
Photo ©CYRIELLE SICARD/AFP
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16 mois après l'incendie d'un véhicule de police dans lequel se trouvaient deux agents, le procès de huit des auteurs présumés débute. Dénonçant à l'inverse la violence policière, des militants plaidant des circonstances atténuantes se mobilisent.

Le procès qui débute le 19 septembre à Paris pourrait opposer les dénonciateurs de la «haine anti-flics» à ceux de l'«impunité policière». Pendant quatre jours, huit prévenus comparaîtront pour l'attaque et l'incendie d'une voiture de police en mai 2016, une scène qui avait ému l'opinion. Et la mobilisation «contre la répression policière» s'organise en parallèle, avec un appel à manifester devant le palais de justice de Paris dès l'ouverture du procès.

Rappel des faits

L'été s'annonce chaud et la mobilisation contre la loi Travail de Manuel Valls et Myriam El Khomri, bat son plein dans les rues de Paris et de province. Dans les manifestations qui se succèdent, le gaz lacrymogène et les grenades de désencerclement répondent souvent aux pavés, cocktails molotov et autres projectiles envoyés en direction des CRS.

Ce 18 mai 2016, les policiers et leurs soutiens manifestent place de la République contre la «haine anti-flics». Une contre-manifestation non-autorisée s'organise alors à l'appel du collectif «Urgence notre police assassine». 

Vers 12h30, un individu donne un premier coup de pied dans un véhicule de police, stationné quai de Valmy en marge de la manifestation de policiers, sur le canal Saint-Martin à Paris. S'ensuit un déchaînement de violence : un groupe d'une vingtaine de personnes cagoulées prend d'assaut la voiture et la grêle de projectiles.

A l'intérieur, deux fonctionnaires de police tentent de manœuvrer afin d'échapper aux agresseurs, en vain. C'est alors qu'un individu jette un plot de stationnement dans la lunette arrière, qui cède. Un autre lance une fusée de détresse à l'intérieur de la voiture qui s'embrase. Les deux fonctionnaires de police, réussissent à s'en extirper in extremis.

Rapidement pris à partie par les casseurs, l'un des deux, Kevin Philippy, 1,83 m et 130 kilos, essuie les coups d'un nouvel assaillant. Une scène surréaliste qui fera le tour des réseaux sociaux, lui valant le surnom de «policier kung-fu». Entre-temps, un activiste a déposé sur la chaussée un panneau improvisé sur lequel on peut lire : «Poulets grillés.»

Encagoulés et vêtus de noir, qui sont les auteurs ?

L'enquête aboutit à la mise en cause de neuf protagonistes. Trois jeunes hommes sont très vite arrêtés : Bryan Morio et les deux frères Angel et Antonin Bernanos (arrières petit-fils du célèbre écrivain), respectivement étudiants en géographie, sociologie et histoire/sciences politiques. Les enquêteurs les décrivent comme des «membres de la mouvance radicale d'ultra-gauche».

Mais l'enquête bute vite sur la difficulté d'identifier avec certitude les auteurs et d'établir le rôle des uns et des autres, vêtus de noir et cagoulés, alors que les faits se sont produits dans un contexte confus. Les enquêteurs ont ainsi d'abord reproché à Angel Bernanos d'avoir frappé le policier, avant d'attribuer ces faits à un autre prévenu, porteur d'une veste semblable. Antonin Bernanos, lui, a passé 10 mois en détention préventive avant d'être libéré en mars 2017, suscitant la condamnation de plusieurs associations de défense, dont La Ligue des droits de l'Homme.

Cinq autres protagonistes présumés seront néanmoins identifiés. Ils sont aujourd'hui poursuivis pour «violences aggravées sur policiers en réunion», punies d'une peine allant jusqu'à dix ans d'emprisonnement. Certains nient les faits alors que d'autres les reconnaissent.

Un neuvième individu, né en 1989 et vivant en Suisse, qui aurait lancé la fusée de détresse ayant embrasé le véhicule, fait l'objet d'un mandat d'arrêt.

Au terme d'une enquête difficile et controversée, les faits, qui relevaient de la tentative d'homicide volontaire sur personnes dépositaires de l'autorité publique, un crime passible des assises, ont été progressivement requalifiés en délits, certes passibles de peines lourdes, mais jugés en correctionnelle.

Les huit prévenus seront plus précisément jugés pour participation à un «groupement formé en vue de la préparation de violences ou de dégradations», passible d'un an de prison.

Journalistes, profs et militants contre la «violence policière»

Malgré la requalification des faits, pour certains activistes, l'agression contre les policiers trouve une justification politique, ou du moins, des circonstances atténuantes. Plusieurs médias se sont chargés de théoriser une forme de résistance à une «vengeance d'Etat».

Dans une tribune publiée dans Libération du 14 septembre 2017, le sociologue et philosophe Geoffroy de Lagasnerie prend lui aussi la défense des «accusés du quai de Valmy». «L'affaire [...] appelle plus le regard compréhensif de la sociologie politique que l’action répressive de la justice pénale», assène-t-il. «Il faut se souvenir de la tension qui régnait lors du mouvement contre la loi travail», relativise-t-il encore.

Un texte collectif, signé par des sociologues et démographes de l'université Paris-Nanterre où Antonin Bernanos faisait ses études, et publié dans les colonnes de L'Humanités'inquiète de la «répression de la jeunesse». «Le fait d’être un étudiant "qui pense" et un militant "qui agit" (loi Travail, sans-papiers, antifasciste) a joué et joue encore comme facteur aggravant », déplorent-ils.

Le 2 mars, une journée de soutien à la faculté de Nanterre visant à réclamer la libération d'Antonin Bernanos avait rassemblé militants, professeurs et journalistes.

Mobilisation devant le palais de justice

Sur le terrain, le collectif «Libérons-les» appelle à la mobilisation chaque jour du procès et ce jusqu'au 22 septembre, devant le palais de justice. Le mot d'ordre est clair : «Débordons la bataille judiciaire.» «Médias dominants, syndicats de police, parlementaires, les tenants de l'ordre capitaliste n'ont eu de cesse de réclamer qu'on punisse durement les "coupables"», justifient-ils.

Face à eux, la justice devra statuer sur le sort des huit prévenus. Et quelle que soit l'issue du procès, elle aura, à n'en pas douter, des conséquences symboliques.

«La justice doit protéger ceux qui protègent la société [...] Si elle ne donne pas un signal fort avec la peine et l'exécution de la peine, c'est que tout est permis», a déclaré Jean-Claude Delage, patron du premier syndicat de policiers, Alliance, partie civile au procès.

Alexandre Keller

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