Un an après la tuerie du 13 novembre, la politique française contre Daesh a-t-elle vraiment changé ?
Au lendemain des attaques terroristes survenues à Paris, les annonces du gouvernement pouvaient laisser penser que la France allait mettre de côté son hostilité au président syrien Bachar el-Assad et concentrer ses efforts sur Daesh. Et pourtant…
14 novembre 2015, la France se réveille «en guerre». Mais contre qui ?
«La France est en guerre» : au lendemain des terribles attentats terroristes, qui ont enlevé la vie à 130 personnes le 13 novembre, à Paris, la phrase a été largement répétée par la diplomatie française, depuis le Premier ministre Manuel Valls jusqu’au chef de l’Etat François Hollande, tel un mantra.
Mais qui la France combattait-elle alors en Syrie ? D’une part, l’organisation terroriste Daesh, frappée par les chasseurs français pour la première fois le 27 septembre 2015. Mais pas seulement. Fournissant des armes aux groupes rebelles syriens, Paris a également un autre ennemi : le président Bachar el-Assad, dont l’armée se trouve elle-même sur le front pour combattre l’expansion des terroristes.
Nous sommes en guerre. Nous prenons donc des mesures exceptionnelles. Et cette guerre, nous la gagnerons.
— Manuel Valls (@manuelvalls) 14 novembre 2015
Dès lors, lorsque François Hollande annonce, le 16 novembre 2015 devant le Congrès de Versailles, que la France «parle avec tout le monde» et doit gagner la guerre contre Daesh à l’aide d’une «coordination internationale», on sent souffler un vent de renouveau. Dans l’entourage du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, on n'hésite alors pas à qualifier les attentats de «tournant» pour l’engagement français en Syrie.
Hollande et Poutine : même combat
Moscou, engagé depuis plusieurs semaines en Syrie sur demande officielle de Bachar el-Assad, se montre enthousiaste à l’idée de coopérer avec l’armée française dans un dessein commun : l’élimination de Daesh. Après s’être entretenu avec son homologue François Hollande, le président russe Vladimir Poutine évoque la nécessité d’un «plan d’action conjoint avec la France», dont les forces, insiste-t-il, doivent être traitées «comme des alliées». Paris annonce de son côté le déploiement de son porte-avion, le Charles-de-Gaulle, au large de la Syrie.
A la suite d’un passage par la Maison Blanche, François Hollande aborde même la coordination de la lutte antiterroriste lors d’une rencontre avec Vladimir Poutine le 26 novembre 2015, qui sera marquée d’une image forte : les deux hommes se tutoient. Le dirigeant français rappelle la nécessité d’une «large coalition […] contre le terrorisme et contre Daesh», proposant : «Nous devons être à l’initiative.» Le chef d’Etat russe marque son approbation.
A titre purement symbolique, le ministre français de l’Intérieur Bernard Cazeneuve acceptera quelques jours plus tard un cadeau très spécial de la part de son homologue russe Vladimir Kolokoltsev. Un chiot policier est en effet offert par Moscou après la mort d’un chien d’assaut français, Diesel, lors du raid à Saint-Denis du 18 novembre, qui visait à interpeller des membres du commando terroriste ayant frappé la capitale française quelques jours plus tôt.
Quand la lune de miel tourne au vinaigre
Aujourd’hui pourtant, à la veille de l’anniversaire des terribles attentats de Paris, bien de l’eau a coulé sous les ponts et la position de la France en Syrie semble revenue à ses premiers amours : alignement sur Washington, hostilité envers l’action de Moscou et position anti-Assad.
Le 6 octobre 2016, Jean-Marc Ayrault, de passage à Moscou, défend un projet de résolution proposé au Conseil de sécurité des Nations unies, réclamant l'«arrêt des bombardements» russes sur les «rebelles» de la ville syrienne d’Alep. La Russie, de son côté, souligne qu’elle ne cible que des groupes de djihadistes retranchés à l’est d'Alep, parmi lesquels un allié d’al-Qaïda, le Front Fatah al-Cham (anciennement Front al-Nosra), qui avait par ailleurs exprimé son approbation des attentats du 13 novembre 2015.
Quelques jours plus tard, l’ambiance ne se réchauffe guère lorsque le président français provoque l’annulation de la venue de Vladimir Poutine, qui avait été convié par l’Elysée à Paris le 19 octobre, en déclarant au micro de l’émission «Quotidien» qu’il se «pose encore la question» de savoir s’il recevra, ou non, le dirigeant russe. Qui plus est, il indique au passage qu’il envisage de faire comparaître la Russie et la Syrie devant la Cour pénale internationale pour leurs actions à Alep.
🔴 INFO #QUOTIDIEN
— Quotidien (@Qofficiel) 9 octobre 2016
Hollande hésite à recevoir Poutine et brandit la menace de la Cour pénale internationale
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Le locataire de l’Elysée récidive le 19 octobre lors d’un sommet à Berlin avec Vladimir Poutine, dans lequel il qualifie de «crimes de guerres» les bombardements russes contre les djihadistes d’Alep. Il appelle ensuite à mettre la pression sur Moscou, emboîtant au passage le pas au secrétaire d'Etat américain John Kerry qui, avait appelé quelques jours plus tôt à ouvrir une enquête contre la Russie et la Syrie pour crimes de guerre.
Un front commun contre Daesh ?
Un an après le massacre du Bataclan et les tueries survenues ailleurs dans Paris, la «large coalition internationale» prônée par François Hollande n’existe toujours pas en Syrie. Face aux accusations de la France et des Etats-Unis, Moscou reproche à ceux-ci de ne volontairement pas faire la distinction entre les soi-disants «rebelles modérés» et les nombreux groupes djihadistes qui combattent le gouvernement de Bachar el-Assad.
Une divergence qui vaut au Kremlin d’être maintenu à l’écart par les Etats-Unis, dont le secrétaire de la Défense Ashton Carter, aux côtés de Jean-Yves Le Drian, déclarait le 25 octobre 2016 au sujet d’une offensive imminente de la coalition contre le fief syrien de Daesh, Raqqa : «la Russie ne fait pas partie de notre plan.»
Le lendemain, la diplomatie française lançait une nouvelle attaque contre l’armée russe et syrienne par la voix de son ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault. Commentant l’attaque d’une école d’Idleb, ville syrienne tenue par les rebelles, qui avait fait 28 morts, ce dernier s’est empressé d’accabler Damas et Moscou, alors même qu’aucun élément de preuve sur l’identité des auteurs du massacre n’existait : «Qui est responsable ? En tout cas ce n'est pas l'opposition [au régime syrien] car pour bombarder il faut des avions. Ce sont soit les Syriens, le régime de Bachar el-Assad, soit les Russes.»
Une bien curieuse façon, pour la diplomatie française, de rassembler une coalition véritablement internationale autour d’un ennemi commun : le terrorisme.
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