L'opération «Mains propres» veut nettoyer le système de santé
L'amélioration de la prescription de médicaments permettrait de lutter contre leur surconsommation et leur surfacturation, générant même des économies atteignant 10 milliards d'euros pour la Sécurité sociale qui annuleraient son déficit chronique.
L'association anti-corruption Anticor et une association de médecins indépendants (Formindep), ainsi que des élus du groupe écologiste européen viennent de lancer l'opération «Mains propres sur la santé». Elle a pour but de reprendre le contrôle des politiques de santé et du médicament afin de «faire économiser 10 milliards d’euros par an» à la Sécurité sociale et d'en finir avec les «conflits d’intérêts» auxquels le système de santé français serait aujourd'hui en proie. Les initiateurs de l'opération ont interpellé la ministre de la Santé.
Une corruption généralisée
L'initiative part d'un constat qui évoque une généralisation de la corruption et une prépondérence du «lobbying institutionnel des multinationales» qui fait passer les intérêts privés avant l’intérêt général.
Depuis Claude Evin, tous les ministres de la Santé ont eu des liens soit antérieurs, soit postérieurs à leur exercice de la fonction avec l’industrie pharmaceutique, explique le communiqué de l'opération.
Selon ce dernier, les dernières affaires Cahuzac et le scandale du Médiator par exemple, ont révélées ces situations de conflits d’intérêts au plus haut sommet de l’État. En cause, le poids des firmes pharmaceutiques dans la fixation des prix des médicaments. C’est l’État qui négocie avec les industriels le prix remboursable aux assurés sociaux de chaque médicament.
Halte au "racket" des labos! Une médecin du travail signe notre appel http://t.co/jOsLSbSdyVpic.twitter.com/0nchStMWDP
— mainspropres (@Mains_Propres) June 1, 2015
Toujours dans leur communiqué, les initiateurs de l'opération reviennent sur les récentes révélation de Médiapart selon lesquelles le président de la commission de la transparence - qui décide de la mise sur le marché des médicaments et qui fixe leur seuil de remboursement - Gilles Bouvenot (2003-2014), est accusé de toucher des pots-de-vin émanant directement des laboratoires. ont eu pouvoir de vie et de mort sur les médicaments en décidant de leur mise sur le marché et de leur remboursement.
@Formindep@PBenkimoun@mediapart la corruption dans la politique de santé est insupportable : droite et gauche ont été corrompues
— Laurent Alexandre (@dr_l_alexandre) April 23, 2015
Selon deux responsables de cette campagne interrogés par Rue89, les liaisons entretenues par les experts, les hommes politiques et l'industrie pharmeceutique auraient parfois des conséquences graves sur la santé publique. En effet, sous la pression des lobbies, certains médicaments sont mis sur le marché inutilement et provoquent parfois de graves effets indésirables, brisant des vies.
On repense évidemment au fameux Mediator (ou Benfluorex) qui affectait gravement les valves cardiaques. Interdit dès 1997 en Suisse pour sa dangerosité, la France ne l'a retiré du marché qu'en 2009. Deux procédures judiciaires sont toujours en cours contre les laboratoires Servier dont le fondateur Jacques Servier, est décédé en avril 2014.
Mediator : pas de procès avant 2018 http://t.co/B0cuG1vbqV
— Le Figaro (@Le_Figaro) May 5, 2015
En février 2013, la revue Prescrire a publié une liste noire de médicaments dangereux à éviter de toute urgence. Dans la liste, on trouve par exemple, L'Aliskirène du laboratoire Rasilez, un antihypertenseur sans efficacité démontrée et qui expose, aucontraire, le patient à un surcroît de troubles cardiovasculaires et d’insuffisances rénales.
La surconsommation médicamenteuse, un mal français
La France est le plus gros consommateur de médicaments d'Europe au niveau physique et économique. Le coût global des médicaments en France s'élevait à 34 milliards d'euros en 2013 (contre 18 milliards en Italie) et certains médicaments coûteraient jusqu'à 10 euros de plus en France qu'en Italie, comme c'est la cas pour le médicament Lantus, l'insuline du laboratoir Sanofi : 53 euros en Italie contre 63 euros dans les pharmacies de l'hexagone.
Comment lutter contre la surconsommation de #médicaments de France : http://t.co/Bt45vlS0IE@LeHubSante#automédication#prevention
— Medaviz (@Medaviz_) February 25, 2015
Cette surconsommation viendrait notamment du fait que les Français ont beaucoup d'idées reçues par rapport aux médicaments.
Selon les deux responsables de cette campagne, de nombreux patients seraient par exemple persuadés, à tort, que certaines marques de médicaments fabriqués par les grands laboratoires pharmaceutiques seraient plus efficaces que les médicaments génériques. Ces derniers seraient deux fois moins consommés en France que dans les pays voisins.
Médicaments #génériques: pourquoi la France est en retard (en + de notre #dataviz) http://t.co/FrBz7Lfxf5#rediffpic.twitter.com/jtNaAFBo89
— DataMatch (@Data_Match) April 1, 2015
De plus, les médicaments seraient souvent considérés comme des «remèdes miracles», ce qui pousserait les médecins à en prescrire inutilement dans le seul but de «rassurer les patients».
Ainsi, l'opération «Mains propres» vise à revoir la formation des médecins afin que ceux-ci réduisent drastiquement les prescriptions abusives. Cela nécessite notament une formation à la pharmacovigilance et à la sobriété.
Les solutions proposées
L'opération «Mains propres» souhaite renforcer les lois pour plus de transparence en élargissant les missions de contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique à l’ensemble des agences sanitaires.
Opération Mains propres sur la santé publique : stop à la corruption http://t.co/2kSJyJvDny via @Reporterre
— anticor (@anticor_org) January 25, 2015
Elle prévoit également la création d'un pôle d’expertise publique indépendant qui garantira cette transparence en publiant tous les résultats d’essais cliniques.
En outre, elle vise une baisse générale des prix des médicaments en réformant les instances de régulation des prix et de remboursement.
Enfin, la logique sanitaire devra primer sur la logique commerciale. Selon l'opération, la notion d’«autorisation de mise sur le marché» ne veut pas dire «autorisation d’usage». Ainsi, seuls les médicaments identifiés par les chercheurs comme présentant un fort intérêt public devront être brevetés en vue de leur appropriation par l'Etat.