Amendement sur le vote par anticipation : «On est sur une méthode de voyou» (ENTRETIEN)

Amendement sur le vote par anticipation : «On est sur une méthode de voyou» (ENTRETIEN)© FRED TANNEAU Source: AFP
entretien
Pour l'heure, un moratoire met un terme à l'extension du vote électronique en France (image d'illustration).
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Le sénateur Eric Bocquet, qui qualifie de «gadget» l'amendement sur le vote par anticipation pour la présidentielle, déplore son inscription au dernier moment dans le débat. Pour l'élu PCF, le gouvernement méprise de plus en plus le Parlement.

Au sein d'un texte sur l'organisation technique du scrutin présidentiel de 2022, le gouvernement a déposé au dernier moment, le 16 février, un amendement au Sénat visant à introduire «un vote par anticipation» sur «une machine à voter» installée dans chaque préfecture.

Cela a d'autant plus créé la surprise chez les sénateurs que l'amendement n'avait pas été inscrit lors de la première lecture à l'Assemblée nationale en janvier dernier. Réunis en commission, les sénateurs, majoritairement de droite, l'ont une première fois largement rejeté, le 17 février. Soumis au vote dans l'hémicycle du Sénat le 18 février, il a de nouveau subi un rejet massif, avec 321 voix contre et seulement 23 pour. Le sénateur communiste (PCF) Eric Bocquet se dit sidéré par la méthode employée par le gouvernement.

RT France :Monsieur Eric Bocquet, le gouvernement a tenté d'insérer à la dernière minute un amendement pour instaurer le vote par anticipation et sur machine électronique en vue de la présidentielle de 2022. Comment avez-vous réagi en apprenant cela ?

Eric Bocquet (E. B.) : C'est une forme de sidération. On a déjà vu le Parlement être maltraité, négligé, enjambé. On est sur une méthode de voyou. J'emploie un terme très fort, mais on a vu tomber cet amendement la veille de l'examen par le Sénat sur le projet de loi organique. Or, ce texte a déjà été voté à l'Assemblée et cette disposition n'a même pas été introduite dans la loi initiale. Ce qui aurait dû être le cas. 

RT France : Pourquoi le gouvernement ne l'a-t-il pas introduit dans la loi initiale, à votre avis ?

E. B. : Si cela avait été introduit dans le projet de loi initial, l'amendement aurait dû suivre tout un circuit de validation, par le Conseil d'Etat par exemple. Tout projet de loi doit aussi faire l'objet d'une étude d'impact. Car si on n'est pas sur des coûts démentiels, il y en a tout de même qui peuvent retomber, notamment, sur les collectivités territoriales. Enfin, ce texte aurait dû également être soumis pour consultation à l'avis du conseil d'évaluation des normes. Donc le fait de déposer cet amendement comme ça, au débotté, avant l'examen au Sénat, ça a permis d'éviter toutes ces étapes. C'est tout de même assez sidérant y compris d'un point de vue démocratique. J'ai rarement vu un truc pareil.

C'est tout de même assez sidérant y compris d'un point de vue démocratique. J'ai rarement vu un truc pareil

RT France : Pour vous, est-ce inédit ?

E. B. : Je trouve cela de plus en plus fréquent. Etant à la commission des Finances, lors des débats sur le budget en fin d'année, des amendements du gouvernement tombent comme cela en pleine discussion, sans même avoir pu être étudiés par la commission des Finances. On doit alors lever la séance en commission et celle-ci doit se réunir pour donner un avis sur l'amendement en question, parce que c'est la loi. C'est un fonctionnement complètement abracadabrantesque. 

RT France : Etant donné votre carrière politique (sénateur depuis 2011), ces méthodes sont-elles propres à ce gouvernement et à cette nouvelle majorité depuis 2017 ?

E. B. : Je trouve qu'il y a eu globalement une dégradation des conditions de travail du Parlement. Je viens de citer les exemples de ces amendements qui tombent du ciel, à la dernière minute. Il y a aussi le recours très fréquent et de plus en plus souvent aux procédures accélérées. Cela évite qu'il y ait deux lectures sur un texte. Parfois, évidemment, cela peut être justifié comme sur le Covid et l'état d'urgence. En revanche, sur les textes législatifs plus inscrits dans la durée et plus profonds, il faut prendre le temps du débat pour produire une loi qui ne soit pas contestée et qui fonctionnera bien. 

Le Parlement est de plus en plus dépossédé de ses prérogatives, de son pouvoir et n'est pas écouté

J'ai le sentiment que, dans ce quinquennat, même si à mon avis c'est une tendance ancienne, cela s'accélère sur le fait que le Parlement est de plus en plus dépossédé de ses prérogatives, de son pouvoir, et n'est pas écouté. On peut multiplier les exemples : cette semaine, plusieurs sénateurs se sont plaints – et j'en ai moi-même fait le constat – du peu de réponses que nous recevons aux questions écrites. Des questions que les parlementaires peuvent adresser au gouvernement. Il y a moins de 30% des questions adressées par les parlementaires qui reçoivent des réponses des ministères concernés. C'est complètement hallucinant.

RT France : Toutefois, pour le gouvernement et ses soutiens, le vote par anticipation permettrait de lutter contre l'abstention dans une démocratie un peu malade. Pour vous, cet argument peut-il être valable ?

E. B. : Non, ce ne sont pas avec des gadgets comme cela qu'on va rétablir la confiance entre les citoyens et le politique au sens large. L'abstention ne fait que croître depuis trois décennies, y compris sur des élections qui en étaient épargnées comme la présidentielle et les municipales. Elles étaient pourtant reines en termes de participation. Cela témoigne de la défiance qui s'est installée dans l'esprit des Français. Il y a un discrédit du politique, sans parler des affaires et des scandales qui n'ont pas amélioré les choses.

Ce ne sont pas avec des gadgets comme cela qu'on va rétablir la confiance entre les citoyens et le politique

Les gens sentent confusément que le politique n'a plus complètement la main sur les affaires du monde pour changer la vie ou pour faire avancer et progresser la société. C'est cela le problème de fond. On ne va pas régler ces choses avec des gadgets de ce genre. L'élection présidentielle est tout de même particulièrement sérieuse. Elle conditionne tellement de choses dans notre démocratie, comme la majorité à l'Assemblée nationale, puisque les gens ont du bon sens : s'ils élisent un président, ils donnent ensuite une majorité pour qu'il puisse mettre en œuvre le programme sur lequel il a été élu. Même si je tiens à nuancer. On est de plus en plus amenés à voter contre qu'à voter pour.

RT France : La majorité, à l'instar de Christophe Castaner, s'appuie sur la dernière élection présidentielle américaine et la forte participation lors de la dernière élection présidentielle au Portugal pour vanter le système par anticipation et sur machine...

E. B. : S'il devait y avoir un débat sur le processus électoral, ayons le débat. Tout le monde est ouvert à tout mais pas avec cette manière-là, c'est à dire une manière cavalière. La présidentielle est programmée depuis cinq ans, parce qu'on ne parle que de ça. Au lendemain de l'élection, on en vient déjà à parler de la suivante cinq ans plus tard. On ne découvre pas l'élection présidentielle qui arrive. Il faut travailler sur le fond. Notre démocratie est malade, la République et ses institutions ne correspondent plus à l'état de la société d'aujourd'hui. Pour moi, cette Ve République est au bout avec un pouvoir hyper-présidentiel concentré au sommet, qui décide de tout, tout seul et donc sans l'avis du Parlement. Tout cela, il faut le mettre en débat. Mais il faut arrêter avec les gadgets. Et ce mépris du Parlement est insupportable et dangereux.

Les gens vont se demander si ce n'est pas un peu de la magouille tout cela

RT France : Ce gadget, comme vous le nommez, pourrait-il donc instaurer un climat supérieur de défiance, qui est déjà assez forte en France, à l'égard des politiques et des élections ?

E. B. : Oui. Comment voulez-vous que les Français interprètent cela ? On est à 15 mois de la présidentielle et le gouvernement voudrait changer les règles en mettant en avant la lutte contre l'abstention. L'abstention est un vrai sujet mais on ne va vraiment pas la régler de cette façon-là. Les gens vont se demander si ce n'est pas un peu de la magouille tout cela. Ils vont se demander si on n'est pas en train d'instrumentaliser une élection. Car il y a cet aspect technique qu'on évoque, mais il y a des choses plus fondamentales qui me chagrinent comme le débat la semaine dernière entre Marine Le Pen et Gérald Darmanin. Il m'a laissé sans voix et m'inquiète profondément. C'est un des éléments de la préparation du scénario souhaité par ce pouvoir pour le second tour, qu'il souhaite avoir en 2022, avec une lutte entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. On instrumentalise ce vote d'extrême droite et j'ai été mal à l'aise avec ce débat organisé par le service public. Ce n'était pas un duel mais un duo. Je m'inquiète aussi quand j'entends les déclarations de la ministre Frédérique Vidal sur «l'islamo-gauchisme». On est sur des méta-débats, et non sur des débats de fond. Le gouvernement lance des trucs pour distraire – au sens étymologique du terme – les gens.

RT France : Pensez-vous que le gouvernement ira jusqu'à présenter un nouveau texte dédié à cette mesure en le proposant en première lecture à l'Assemblée ou passera en force, en redéposant l'amendement dans le cadre du texte ?

E. B. : Je m'interroge. Juridiquement, le gouvernement a la capacité d'aller jusqu'au bout, mais il faut qu'il fasse attention. On ne peut pas en effet jouer impunément comme ça avec des élections et l'expression démocratique.

Propos recueillis par Bastien Gouly

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