Réforme de la fonction publique : «Emmanuel Macron prend des risques assez inconsidérés»

Réforme de la fonction publique : «Emmanuel Macron prend des risques assez inconsidérés»© JACQUES DEMARTHON Source: AFP
Gérald Darmanin et Edouard Philippe, en conférence de presse pour présenter le plan de transformation de la fonction publique
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Pour l'économiste de l'OFCE Xavier Timbeau, le projet du Premier ministre Edouard Philippe et du ministre Gérald Darmanin s'annonce explosif. En cause : le bouleversement du statut des fonctionnaires, avec le lancement d'un plan de départs.

RT France : Le Premier ministre Edouard Philippe et le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, ont annoncé le 1er février une vaste réforme chamboulant la fonction publique, intitulée «Action publique 2022». Au menu, notamment : le lancement d'un plan de départs volontaires et le changement du statut des fonctionnaires. Ce projet traduit-il la promesse présidentielle de suppression de 120 000 postes de fonctionnaires d'ici à 2022 ?

Xavier Timbeau (X. T.) : Il faut attendre un peu de voir comment cela s'organise. Dans le programme d'Emmanuel Macron, l'objectif de l'économie des dépenses était posé. Ici, le gouvernement concrétise cette trajectoire des dépenses, en annonçant des objectifs assez clairs en matière de nombre de fonctionnaires. C'est donc conforme à ce qu'avait dit Emmanuel Macron pendant la campagne. Il reste néanmoins une petite interrogation : Emmanuel Macron avait répété, à plusieurs reprises, qu'il fallait sortir d'une logique comptable, qu'il fallait s'intéresser à l'efficacité et à la qualité du service dans la fonction publique, qu'il y avait des secteurs dans lesquels il faudrait augmenter l'effort et d'autres dans lesquels il faudrait faire des gains d'efficacité. Tout cela devait passer par le plan d'investissement, l'utilisation du numérique...

Or, là, on a l'impression qu'on retombe sur un objectif quantitatif, derrière lequel on n'est pas capable de mettre beaucoup d'éléments de méthode. Le seul élément sur lequel il y a un petit signe d'amélioration qualitatif du service public, c'est le fait d'abandonner le statut de la fonction publique.

Emmanuel Macron prend des risques assez inconsidérés

RT France : Selon vous, cette annonce ne sert-elle pas à tester l'opinion publique pour voir comment elle réagit ? Ne serait-ce pas ainsi une bonne manière de faire passer une réforme ?

X. T. : Oui bien sûr. L'expérience de la Loi travail peut les conforter là-dessus. Le gouvernement peut ainsi dire qu'il n'a pas peur d'une réaction sociale, en attaquant le problème frontalement et en étant pédagogique... Cela semble passer comme une lettre à la poste. On se rappelle de la difficulté qu'avait eue François Hollande avec le projet de Loi travail et au contraire, la façon dont ça s'est passé au début du quinquennat d'Emmanuel Macron.

Avec la Loi travail, il y avait eu beaucoup de concertations avec les syndicats. Elles avaient été assez médiatisées. Il y avait l'affirmation d'un objectif et d'un mandat clairs qui avaient été donnés par le résultat des élections mais aussi d'une méthode qui consistait à recevoir et à parler avec tout le monde, avec laquelle on avait fait en sorte que la CFDT soit dans l'accompagnement complet du projet, pour mettre dans un coin la CGT et FO. Là, j'ai l'impression que c'est moins préparé, moins orchestré, avec moins d'accompagnement, moins de concertation. Emmanuel Macron n'a peut-être pas le même doigté dans la présentation des choses que François Hollande et cela va peut-être plus apparaître comme une provocation à un moment plus critique. On voit mal l'objectif final. On ressent plutôt une manœuvre un peu provocatrice vis-à-vis des syndicats de la fonction publique. J'ai l'impression qu'Emmanuel Macron prend des risques assez inconsidérés.

RT France : Avec le risque cette fois-ci d'une mobilisation plus forte des syndicats ?

X. T. : Oui, on a toujours en tête Alain Juppé et la fonction publique en 1995. Ou encore le mouvement contre le CPE avec les jeunes. Là on est peut-être sorti de la relative rigueur avec laquelle Emmanuel Macron a fait passer la réforme du Code du travail et on entre dans un domaine où c'est un peu plus brutal. Il va peut-être se heurter à des mobilisations que ce soit dans la fonction publique ou dans la jeunesse. Cela semble moins tranquille pour le gouvernement.

RT France : Le gouvernement entend moderniser le secteur public, en passant notamment par une réduction des effectifs. Or, ces réductions d'effectifs ne risquent-elles pas de faire empirer la situation ?

X. T. : Je pense que c'est soit un paradoxe, soit une maladresse [de la part du gouvernement]. Je pense qu'il faudrait insister sur la nécessité d'avoir une grande qualité de services, probablement dire que cela ne marche pas aujourd'hui – la qualité de services rendus aujourd'hui n'est pas celle qui est attendue et ce n'est pas acceptable. On a tous les éléments de diagnostique pour l'éducation, on en a un certain nombre pour la santé et je pense que cela fait écho au ressenti de beaucoup de gens et je pense que la réponse idéale est de changer l'organisation, de restructurer la façon d'offrir ces services.

RT France :Dans le projet porté par le gouvernement, il est question d'avoir recours plus fréquemment à des contractuels ou des vacataires, qui seraient également payés par l'Etat et parfois plus chers que les fonctionnaires, comme c'est parfois le cas aujourd'hui...

X. T. : C'est pour cela que je pense que le discours devrait plutôt porter sur l'efficacité, sans parler de vacataires ou de contractuels. Là on renvoie à de vieilles méthodes, car la fonction publique a souvent recours aux vacataires. Ces dernières années, il y a plutôt eu un mouvement de régularisation des vacataires et des contrats à durée déterminée dans la fonction publique.

RT France :Selon vous, quels types de fonctionnaires seront ciblés par le projet gouvernemental ? Des fonctionnaires d'un domaine régalien ou plutôt de la fonction publique territoriale ?

X. T. : La fonction publique territoriale va faire partie des cibles pour les plans de départs volontaires, parce que c'est là que sont identifiés le plus de sureffectifs aujourd'hui.

Le changement de statut, quant à lui, peut s'appliquer aux secteurs comme l'éducation ou comme la santé, qui représentent des services hybrides. Il n'y a pas de police privée mais il existe une éducation et une santé privées.  Il y a coexistence de statuts public et privé, donc on peut s'appuyer là-dessus pour procéder à ces mutations.

Et puis il y a aussi tous les «nouveaux» secteurs, je pense notamment au secteur de la dépendance, dans lequel on n'a peut-être pas envie de créer de nouvelles fonctions publiques. Et si on doit augmenter les effectifs, parce que c'est ce qui nous pend au nez avec le vieillissement de la population dans les Ehpad [Etablissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes], peut-être conviendrait-il de les augmenter sur la base d'un statut un peu différent de celui du fonctionnaire. Mais tout n'est pas encore très clair aujourd'hui.

Bastien Gouly

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