Après l'instauration de sanctions économiques et de restrictions sur les exportations vers la Russie et alors que Washington vient d'annoncer une série de sanctions visant le président russe Vladimir Poutine et le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, les Etats-Unis ont sciemment évité de frapper le secteur pétrolier, jugeant que les conséquences ne seraient néfastes que pour eux-mêmes.
«Les sanctions ne cibleront pas les flux de pétrole à mesure que nous avançons», a ainsi confié Amos Hochstein, conseiller principal du département d'Etat américain en matière de sécurité énergétique, lors d'une interview accordée à Bloomberg le 25 février.
«Si nous ciblons le secteur du pétrole et du gaz pour [Vladimir] Poutine, et en l'occurrence l'establishment énergétique russe, alors les prix s'envoleront. Peut-être n'en vendrait-il que la moitié, mais pour le double du prix», a-t-il ajouté, estimant que le président russe ne serait donc pas affecté par une telle mesure, mais que ce sont les Etats-Unis et ses alliés qui en subiraient les conséquences.
Selon Amos Hochstein, cette décision se ferait d'ores et déjà ressentir sur le cours actuel du pétrole, dont on «peut voir les prix baisser à partir de maintenant».
La Russie, troisième producteur de pétrole au monde
Les prix du pétrole ont dépassé les 100 dollars le baril pour la première fois depuis 2014 à la suite du début de conflit en Ukraine. Mais ces gains ont été en grande partie effacés après que les sanctions annoncées par Joe Biden ont évité le secteur de l'énergie. Le 25 février, le West Texas Intermediate perdait 1,10 dollar à 91,71 dollars le baril, tandis que le Brent perdait 1,69 dollar à 97,39 dollars le baril.
La Russie fait partie des tout premiers fournisseurs d’énergie et de métaux rares au monde. «Le pays est le troisième producteur de pétrole au monde, le premier exportateur de gaz, de blé, de nickel et de palladium, et le troisième exportateur d’aluminium», rappelle ainsi Benjamin Louvet, expert en matières premières chez le gérant OFI AM dans les colonnes de Capital.
«Si la Russie ne peut plus exporter son pétrole, le prix du baril pourrait atteindre rapidement 120 dollars», analyse-t-il, soulignant que les exportations russes ne pourraient être compensées, les pays de l'Opep ayant remonté leurs objectifs de production ces derniers mois sans toutefois parvenir à les atteindre. Il serait donc impossible de maintenir l'offre de pétrole au niveau actuel en cas de sanctions sur ce secteur contre Moscou, ce qui ferait mécaniquement monter le cours.
Or comme le souligne Bloomberg, le président démocrate Joe Biden est déjà confronté «au risque politique d'une inflation record qui a fait grimper en flèche le coût des biens de consommation, de la nourriture au carburant». Reste pour les Occidentaux la solution des réserves stratégiques, dans lesquelles Joe Biden a puisé 50 millions de barils l'année dernière, mais elles ne sont pas éternelles et ne tiendraient que quelques mois.
Sanctions : mains liées pour les Européens ?
Côté européen, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a affirmé devant la presse le 25 février que l'UE voulait «couper tous les liens entre la Russie et le système financier mondial». «Notre objectif est de faire plier l'économie russe, cela prendra le temps nécessaire», a encore déclaré le locataire de Bercy au lendemain de l'annonce de sanctions européennes qui visent les secteurs de la finance, de l'énergie et des transports. Mais l'Europe a-t-elle les moyens de ses ambitions ?
Si le ministre a ajouté que la Direction générale des finances publiques allait se charger d'identifier les avoirs en France de Russes visés par les sanctions, il a également précisé que pour l'heure, aucune action n'avait été décidée concernant l’exclusion de la Russie du système d'échanges bancaires internationaux SWIFT, bien que cette option soit à l'étude. «C'est la toute dernière option», a affirmé Bruno Le Maire au sujet de cette mesure, qui compliquerait largement les exportations russes.
«Certains Etats membres ont fait part de réserves, la France ne fait pas partie de ces Etats», a commenté le ministre, ajoutant qu'il fallait «un consensus européen» pour activer cette «arme nucléaire financière» – un terme à relativiser, Moscou réfléchissant depuis plusieurs années déjà à une alternative à ce système.
En particulier, l'Allemagne se montre particulièrement hésitante sur le dossier, redoutant des répercussions sur ses approvisionnements en gaz, alors même que le projet de gazoduc Nord Stream 2 – jamais mis en service jusqu'à présent – a été suspendu.