A Berlin, Macron tente de convaincre une Allemagne très réticente de réformer la zone euro
Le président français vient chercher à Berlin l'aide de la chancelière pour son projet de réforme de la zone euro. Mais en Allemagne, ce programme au nom d'une «Europe qui protège» rencontre un fort scepticisme, d'ailleurs général en Europe du Nord.
Emmanuel Macron est à Berlin le 19 avril pour une réunion de travail avec Angela Merkel, la chancelière allemande. Il attend son soutien pour un ambitieux programme de réformes, en particulier au sein de la zone euro. Mais il est attendu avec méfiance.
«Le président français sait bien que toutes ses propositions ne pourront être réalisées, nous examinons à présent ce qui est possible, sans en demander trop aux différents Etats», a ainsi déclaré le 14 avril, lors d’une interview au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung Olaf Scholz. Le nouveau vice-chancelier allemand et ministre des finances issu du SPD évoquait ainsi les différents projets de réforme de l’Union européenne (UE) et surtout de la zone euro proposés par Emmanuel Macron.
Le président français souhaite notamment la création d’un fonds monétaire européen, ainsi que d’un budget, d’un Parlement et d’un ministre des finances de la zone euro et l’aboutissement de l’union bancaire, un projet en panne sèche depuis 2012.
Devant le Parlement européen, où il s’est exprimé le 17 avril dernier, Emmanuel Macron avait jugé la réforme de la zone euro «indispensable avant la fin de cette mandature». Il avait également répété son idée d’une «Europe qui protège», dans le but de faire barrage à une vague eurosceptique, lors des prochaines élections européennes de mai 2019. Avec le Brexit, la formation du groupe de Vysegrad, largement opposé à la politique d’accueil des migrants, cette perspective n'a rien d'absurde, surtout en France, où le Front national (FN) a remporté la dernière consultation en 2014.
La presse allemande ironise sur les rebuffades subies par Macron
Ces préoccupations sont d’ailleurs conformes aux inquiétudes inscrites en filigrane dans le programme de travail de la Commission européenne pour l’année 2018 que l’exécutif européen juge «déterminante […] pour que l’Union puisse atteindre ses objectifs avant que ses citoyens se rendent aux urnes en 2019».
Mais, en Allemagne, bien que la réforme de la zone euro figure dans le programme de la Grande coalition, personne ne semble impatient de la mettre en œuvre, ou alors a minima. Le quotidien Handelsblatt titrait récemment «Merkel bloque Macron», estimant que le chef de l'Etat français avait espéré que les réformes économiques en France pourraient amadouer la position allemande, mais qu’il «doit avoir le sentiment d'être comme un prétendant qui tente sans cesse de séduire sa promise en chantant à son balcon, mais doit se contenter en retour de roses en plastique et de platitudes».
Le projet de budget de la zone euro, souhaité par Emmanuel Macron, rencontre une opposition franche et déclarée. A son propos, Annegret Kramp-Karrenbauer, numéro deux du parti démocrate-chrétien d'Angela Merkel citée par l'AFP a simplement déclaré : «Je ne pense pas que cela soit une bonne idée.»
Les Allemands veulent bien d'une «Europe qui protège», mais pas avec leur argent
Il reste un autre dossier sur lequel Emmanuel Macron espère pouvoir annoncer des progrès : celui de l’union bancaire européenne. En 2012, Manuel Barroso, prédécesseur de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne en annonçait l’aboutissement pour 2013. Cette union bancaire prévoit depuis le début un système de coordination, de sauvegarde des grandes banques européennes, qui inclurait un rôle de supervision par la BCE avec pouvoir de décréter la fermeture d’une banque, tout en laissant le coût de l’opération à l’Etat où se trouve le siège de la banque. Mais à l'inverse, dans le cadre de cette union bancaire, la BCE pourrait aussi décider d'organiser le sauvetage direct de banques en difficulté par le biais du Mécanisme européen de stabilité (MES).
Pourtant, ce projet qui implique par nature une mutualisation des risques ne soulève guère d’enthousiasme en Allemagne. «Il ne faut pas que l'épargnant allemand se retrouve garant des banques grecques et italiennes», avertissait le 19 avril l'un des experts du dossier au sein du parti d'Angela Merkel, le député CDU-CSU Eckhardt Rehberg.
Cette idée que les contribuables allemands paient pour les citoyens insouciants de l’Europe du sud est largement répandue dans la presse non seulement d’outre-Rhin, mais de l’Europe du Nord. En mars 2017, par exemple, l'ancien président de l’Eurogroupe, le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem, avait fait scandale en déclarant : «Durant la crise de l'euro, les pays du Nord ont fait montre de solidarité avec les pays touchés par la crise. En tant que social-démocrate, j'accorde une importance exceptionnelle à la solidarité. Mais on a aussi des obligations. Je ne peux pas dépenser tout mon argent en schnaps [alcool fort] et en femmes et ensuite vous demander de l'aide.»
#Allemagne : à 66 % les militants du #SPD ont dit oui à la coalition avec le parti d'Angela #Merkel, moment de répit pour l'Union européennehttps://t.co/EyPfLvhuNvpic.twitter.com/oEwgQW9oGV
— RT France (@RTenfrancais) 4 mars 2018
A l’époque, ces propos avaient provoqué une forte indignation dans les pays du Sud de l’Europe, directement visés. Mais Jeroen Dijsselbloem avait aussi reçu un soutien de taille, celui de Wolfgang Schaüble, alors ministre allemand des Finances, qui avait fait dire par son service de presse qu’il «appréci[ait] fortement le travail de M. Dijsselbloem en tant que président de l'Eurogroupe.»
Au Nord de l'Europe un nouveau front contre les réformes de Macron
Au-delà de l’Allemagne, s’est d’ailleurs ouvert un nouveau front contre les réformes économiques défendues par le président français pour l'Europe. Début mars, une coalition hétéroclite de huit pays du Nord (membres et non-membres de la zone euro) a en effet publié un communiqué commun qui peut se lire comme une remise en cause du rôle du couple franco-allemand et une critique des projets d’Emmanuel Macron.
Les ministres des Finances danois, estonien, finlandais, irlandais, letton, lituanien, néerlandais et suédois amorçaient leur prise de position commune par une mise en garde : «Les discussions sur l'avenir de l'Union économique et monétaire (UEM) devraient se dérouler dans un format inclusif.» Et ils ajoutaient : «Une UEM plus forte nécessite avant tout des actions décisives au niveau national et une conformité totale vis-à-vis des règles communes». Autrement dit, pas question de créer de nouveaux mécanismes de transferts financiers entre pays tant que chaque gouvernement n'aura pas respecté les critères de stabilité, ce qui semble une perspective lointaine, si l'on considère l'obligation de maintenir la dette publique en-dessous de 60% du produit intérieur brut (PIB).
Autant dire qu’entre les doutes au sein du camp d’Angela Merkel et la pression de l’Europe du Nord à laquelle Berlin ne peut qu’être sensible, ce serait une surprise si Emmanuel Macron pouvait, aujourd’hui, au sortir de sa réunion de travail avec Angela Merkel, annoncer autre chose, une fois de plus, que l’élaboration d’une feuille de route d’ici le prochain conseil européen du mois de juin.