Histoire coloniale : la Conférence de Berlin (1884-1885) et les séquelles d’un partage cupide de l’Afrique
La Conférence de Berlin, à la fin du XIXe siècle, a finalisé la division coloniale du continent par les pays européens. Les conséquences de cette conférence, destinée à légaliser la maîtrise européenne sur les territoires capturés et à résoudre les différends entre les puissances coloniales, laissent aujourd’hui des séquelles considérables.
Arrivées en Afrique dès le XVe siècle, les puissances coloniales européennes occupaient déjà vers la fin du XIXe siècle plusieurs territoires africains, notamment sur les côtes, où elles établissaient des comptoirs commerciaux. Les premières explorations à l'intérieur du continent commencèrent en empruntant les fleuves, toutefois le contrôle sur des territoires aussi étendus fut menacé par les intérêts particuliers des uns et des autres.
Les tensions croissantes entre les puissances colonisatrices durant cette ruée vers l’Afrique ont abouti à des accords bilatéraux notables tels que l'accord anglo-portugais de 1883, qui visait à répartir le contrôle sur le fleuve Congo. Cependant, l’accord fut décrit comme «mort-né», puisqu’il n’a pas réussi à résoudre le conflit.
Il fallait donc un traité multilatéral entre ces puissances pour formaliser leur contrôle sur les territoires africains. À cette fin, une conférence sous la présidence du chancelier allemand Otto von Bismarck s'ouvrit à Berlin le 15 novembre 1884. Elle se termina le 26 février 1885 avec l’adoption d’une résolution générale actant le partage de l’Afrique par les puissances coloniales.
Lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté en 1914, presque tout le continent africain, à l'exception de l'Éthiopie et du Libéria, ainsi que l’Afrique du Sud qui accède à l'autonomie en 1910, était déjà tombé sous domination coloniale, la France occupant la majeure partie de l'Afrique de l'Ouest, la Grande-Bretagne dominant l'Afrique orientale et australe, les Portugais et les Belges occupant certaines parties de l'Afrique australe, notamment le Congo.
Moins d'un demi-siècle plus tôt, en 1870, seuls 10% du territoire africain était sous contrôle européen formel.
Un monde «sans propriétaire»
Les puissances coloniales décrivaient le continent comme un monde «non civilisé» et «sans propriétaire» qu’il fallait occuper, a expliqué Maxwell Boamah Amofa, directeur des recherches au Centre de justice transitionnelle en Afrique de l'Ouest (WATJCentre). Selon le chercheur, cette motivation impérialiste des puissances coloniales a abouti à l’adoption de l’Acte général de la Conférence de Berlin – un instrument juridique international pour la colonisation.
Cet acte général, relève le chercheur, a établi la «politique de la porte ouverte», qui visait à résoudre les tensions en garantissant une navigation libre et sûre pour les navires des diverses puissances, principalement pour leur commerce des ressources pillées.
De telles conditions nécessitait une démarcation claire des frontières artificielles, relève encore le chercheur du WATJCentre, expliquant que les articles 34 et 35 de l’Acte général de Berlin étaient spécifiquement consacrés, à cette fin, à la notion d’«occupation effective».
Ces deux articles stipulent en effet qu’il est de la responsabilité des colonisateurs de démontrer un «contrôle effectif» des territoires occupés et de réguler l’expansion de leurs frontières en tenant informé les autres puissances coloniales.
Frontières arbitraires
Grâce à cette conférence, le territoire africain divisé était devenu beaucoup plus viable pour l’exploitation. Mais ce partage de l’Afrique a été pour le moins que l’on puisse dire arbitraire, puisqu’il ne visait qu’à résoudre les conflits d’intérêts entre les puissances colonisatrices.
Le découpage géographique ne tenait souvent pas compte des peuples et des groupes humains. Maxwell Boamah Amofa a expliqué que, durant cette conférence, des éléments géographiques tels que les montagnes, les lacs et les rivières servaient à tracer de longues lignes de latitude et de longitude, à tracer des frontières artificielles, à délimiter les nouvelles colonies et à nommer les territoires.
Résultat, les conséquences de ce traçage arbitraire des frontières se font encore ressentir aujourd’hui dans bon nombre de pays africains. Le chercheur a notamment donné comme exemples le génocide des Tutsis au Rwanda, ainsi que l’ethnocentrisme et la ségrégation qui ont rongé l’Afrique du Sud.
L’on pourrait ajouter les nombreuses guerres civiles qui ont conduit à des affrontements sanglants entre les peuples africains depuis leur indépendance. Les plus récents sévissent notamment au Congo, en Centrafrique et au Burkina Faso. Le Soudan divisé et en proie à une énième guerre civile et la question du Sahara occidental sont autant de problématiques qui réveillent les vieux démons de la Conférence de Berlin.
Tous les pays participant à cette conférence ont signé l'acte, en l'occurrence la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, le Danemark, l'Allemagne, l'Italie, le Portugal, l'Espagne, l'Autriche-Hongrie et la Suède-Norvège, ainsi que la Turquie, la Russie et les États-Unis. Seuls ces derniers, en raison de leur politique étrangère de l’époque centrée sur la doctrine Monroe, avaient condamné le colonialisme européen.
En somme, la partition de l’Afrique n’a certes pas commencé avec cette Conférence de Berlin, mais cet évènement a officialisé l’occupation du continent par les puissances occidentales de l'époque et le pillage des ressources des peuples africains. Et ce sont ces derniers qui portent aujourd’hui les séquelles de cette longue histoire d’hégémonie coloniale.