Selon le journaliste et auteur Nicolas de Pape, le champion serbe est un phœnix et devrait revenir encore plus fort en 2022, alors même que son grand rival Raphaël Nadal vient de remporter son 21e Grand Chelem.
«L’affaire» Djokovic a défrayé la planète tennis entre le 4 et le 16 janvier 2022. Le n°1 mondial, non vacciné contre le covid-19 mais bénéficiant d’une exemption médicale, a cru pouvoir défendre un dixième titre à l’Open d’Australie mais au terme d’une bataille juridique lunaire, une Cour fédérale et ses trois juges à l’unanimité ont confirmé son expulsion pour trois ans du territoire australien.
Quelques éléments politiques factuels :
1) Il est évident que Novak Djokovic n’est pas un immigré clandestin et en ce sens, on peut dire que tout au long de cette affaire, l’esprit des lois a été trahi. Il disposait d’un visa en bonne et due forme et d’une exemption médicale dont on lui avait forcément dit qu’elle lui vaudrait sésame pour entrer sur le territoire australien. On ne peut imaginer un seul instant que le champion de tennis ait pris quatre billets en première classe avec «Emirates» s’il n’était pas persuadé de passer l’immigration. Tennis Australia a reconnu entre-temps des «problèmes de communication» liés à Omicron et aux changements incessants des règlementations. C’est bien la Fédération australienne de tennis qui a péché par négligence ou par optimisme excessif et a attiré Djokovic dans un piège.
2) Il faut dire qu’entre le moment où Djokovic embarque en Europe et atterrit en Australie, 24 heures se passent. Les médias (des Unes comme «You Must Be Djoking») et la population ont eu le temps de se retourner contre Djokovic. Dans un pays ayant tant souffert des confinements et désormais vacciné à 95%, il était devenu intolérable que la star du tennis non-vaccinée bénéficie d’un passe-droit et joue devant un public obligé de présenter un passe sanitaire pour assister à ses matches.
3) Plutôt ouvert quelques semaines plus tôt vis-à-vis d’une possible exemption pour Novak Djokovic, le Premier ministre conservateur Scott Morrison, en pleine période électorale, a subitement changé son fusil d’épaule. Il a présenté à son peuple excédé une tête sur une pique : celle de Djokovic, devenant le bouc émissaire idéal. Le numéro un mondial s’est retrouvé au milieu d’un ouragan politique ingérable. La réélection du gouvernement fédéral devenant prioritaire, «Novax», héraut involontaire de la mouvance anti-vaccin était sacrifiable.
Une fois en Australie, il a été traité comme un criminel
4) Si on peut reprocher beaucoup de choses au champion serbe au niveau du respect des règles sanitaires après l’infection, notamment d’avoir accepté une interview à L’Equipe se sachant contaminé – l’inversion des dates avec un test postérieur n’ayant jamais pu être prouvée –, une fois en Australie, il a été traité comme un criminel. Une véritable honte à l’endroit de celui qui avait construit une histoire d’amour avec l’Australie au fil de ses neuf victoires en Grand Chelem. On s’est aperçu au passage que la splendide et accueillante Australie – bien que souvent brandie en exemple par la droite de la droite – mène une des politiques migratoires les plus sévères de la planète.
La Russie, les Balkans et les pays de l’Est, n’entrent pas vraiment dans la grille de lecture occidentale "progressiste" actuelle
5) On peut de plus en plus se demander si la nationalité serbe de Djokovic n’est pas la principale explication du fait qu’il est moins apprécié que Federer ou Nadal. Daniil Medvedev, finaliste malheureux le 30 janvier de l’Open d’Australie face à Nadal a souligné que si le public australien était à ce point contre lui pendant cette finale épique, c’est parce qu’il est Russe. La Russie, les Balkans et les pays de l’Est, n’entrent pas vraiment dans la grille de lecture occidentale «progressiste» actuelle, c’est le moins qu’on puisse dire.
Ceci étant précisé, quel avenir pour Djokovic en 2022 ?
Pas si sombre, en réalité.
Tout d’abord, on a appris que le Serbe souhaite jouer l’open d’Australie en 2023. Le gouvernement australien dont on ne sait pas s’il sera réélu n’a pas dit non. Accusé par le ministre de l’immigration de représenter un danger d’ordre public et un mauvais exemple pour la jeunesse en tant que non-vacciné (mais sans aucun reproche factuel à son endroit), Djokovic pourrait voir son exclusion limitée à un an pour raisons compassionnelles. Et revenir défendre ses chances en janvier 2023. Preuve de la volonté des deux parties d’aplanir les différends alors qu’on a cru un moment que Djokovic réclamerait plus de 4 millions de dollars d’indemnité et que Tennis Australia a nié avoir payé les frais de justice de Djokovic. Son retour en 2023 est toutefois conditionné à son statut vaccinal.
Le fait que Djokovic accepte ou non la vaccination va d’ailleurs déterminer la réussite de sa saison 2022 et peut-être sceller son statut de «Greatest of all times».
Il devrait vers la mi-mars (au moment où son taux d’anticorps aura baissé) décider ou non de se faire vacciner. Dans deux mois, la pandémie pourrait avoir disparu en Europe et aux Etats-Unis. Si toutes les restrictions sont levées, il échapperait ainsi à la seringue tant redoutée par ce joueur qui croit profondément aux remèdes naturels et craint les médicaments. Si la pandémie n’est pas terminée ou pas suffisamment pour lever l’obligation de vaccination, le champion devra faire un nœud dans ses convictions. Car s’il s’entête sans vaccination, il pourrait ne pas pouvoir défendre son titre à Roland-Garros (a fortiori si Emmanuel Macron est réélu), peut-être pas à Wimbledon (pour le moment Boris Johnson a levé toutes les restrictions) et certainement pas tenter d’effacer la défaite cuisante l’an passé à New-York puisque les Etats-Unis demandent, à l’heure d’écrire ces lignes, à la fois le vaccin et un test négatif.
Sans vaccin, il pourrait également, au printemps, être interdit de plusieurs tournois majeurs dits «de préparation» comme les Masters 1000 d’Indian Wells, Miami, Monte-Carlo, Rome et Madrid.
Pour conclure : si Djokovic se fait vacciner prochainement, il peut encore gagner les trois derniers tournois du Grands Chelem de l’année et finir 1er mondial pour la 8e fois. Bien que naturopathe, végan et fan d’ésotérisme, le tennismen ne devrait pas risquer de ne pas être le «Greatest of all time» par entêtement. Après l’humiliation vécue en Australie, c’est du moins ce qu’on peut subodorer…
Nicolas De Pape
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