Par Sébastien Boussois Tous les articles de cet auteur
Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur sur le Moyen-Orient et les relations euro-arabes, le terrorisme et la radicalisation. Il est également enseignant en relations internationales.

20 ans de guerre en Afghanistan pour rien ? Les conséquences tragiques à venir du retrait américain

20 ans de guerre en Afghanistan pour rien ? Les conséquences tragiques à venir du retrait américain© JOHN MOORE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
Des soldats américains rentrent aux Etats-Unis après avoir été déployés en Afghanistan, le 10 décembre 2020 à New York (image d'illustration).
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Pour Sébastien Boussois, la prégnance islamiste en Afghanistan 20 ans après son invasion, illustre l'échec des armées occidentales à vaincre le «terrorisme de guérilla» au sein de civilisations étrangères. Et présage de graves menaces.

C’était un vœu de longue date des locataires successifs de la Maison Blanche. Joe Biden l’annonçait lors de son élection : «L’heure est venue de mettre fin à la plus longue guerre de l’Amérique.», déclarait-il en avril dernier en annonçant le retrait total des soldats américains d’Afghanistan, 20 ans après l’invasion du pays dès le 1er mai 2021. Il y eut plusieurs phases successives de retrait mais le 11 septembre 2021, les 2500 GI’s américains [1] auront quitté «définitivement» l’Afghanistan qu’ils avaient investi à l’issue des attentats de New York et du Pentagone, le plus gros attentat de l’histoire perpétré sur le sol américain et orchestré par Oussama Ben Laden.     

Au tout début, l’objectif américain était de capturer le chef d’Al-Qaïda hébergé avec la bénédiction des Taliban et faire tomber ce régime. Puis les choses s’enlisèrent rapidement. En effet, 20 ans plus tard, et depuis des mois, les négociations entre Washington et les Taliban, pour trouver une issue à cette guerre sans fin, se sont fait en direct, accueillies par le Qatar, et par-dessus la tête du gouvernement afghan. A peine élu et en poste à la Maison Blanche, Joe Biden allait rapidement confirmer le choix de Donald Trump de se désengager du pays. Il n’y avait plus d’autre solution cohérente et rapide pour stopper net cette gabegie.

Un nouveau traumatisme pour le statut d’hyperpuissance politique et militaire unique au monde que sont les Etats-Unis

Pendant deux décennies, Washington et la force internationale Resolute Support, qui comptent encore à l’heure actuelle au total 9 600 soldats issus de 36 Etats sur le sol afghan vont tenter de venir à bout en vain, dans leur «guerre contre le terrorisme» [2], des Taliban enracinés comme jamais depuis sur les 2 tiers du pays. On est loin du temps où en 2010, il y avait près de 100 000 soldats américains sur le sol afghan qui espéraient encore parvenir à une pacification du pays, la normalisation de la vie politique et la démocratisation de Kaboul. Clairement, cela sonne non seulement comme une défaite américaine, mais aussi la défaite de tout l’Occident et de ses armées conventionnelles qui croient encore parvenir à défaire le terrorisme de guérilla dans des pays qu’ils connaissent par définition mal, maîtrisent mal, et n’y sont pas adaptés. Si le bourbier afghan avec 3 000 soldats américains morts, n’a rien à voir avec la guerre au Vietnam, qui fit près de 50 000 morts du côté des militaires, il n’en demeure pas moins un nouveau traumatisme pour le statut d’hyperpuissance politique et militaire unique au monde que sont les Etats-Unis.

Mais cette bérézina est surtout hélas la promesse quasi-certaine d’un retour de la violence et surtout de la menace pour nos pays. Les Taliban sont en embuscade et contrôlent déjà les trois quarts du pays. L’armée afghane n’a évidemment aucun moyen de contenir leur avancée inexorable.  

Il y a peut-être pire encore à venir. Depuis l’invasion du pays par les Soviétiques en 1979, les débuts d’Al-Qaïda en 1987 pour résister à ces derniers, le djihad mondialisé et la terre de ressourcement islamiste [3], la naissance d’un premier Califat affilié à Daesh, appelé la Villa Khorasan, le risque majeur désormais d’émergence d’un second Califat au cœur du pays, plus violent, plus dangereux, est réel, prenant le pas sur les Taliban qui risquent d’être dépassés. En effet, il n’est pas à exclure l’émergence d’un nouveau Daesh encore plus violent et virulent contre lequel l’Etat afghan ne pourra pas grand-chose hélas dans les mois ou années à venir.

L’histoire a prouvé depuis quatre décennies que le pire du pire était toujours à craindre avec l’hydre djihadiste

L’histoire a prouvé depuis quatre décennies que le pire du pire était toujours à craindre avec l’hydre djihadiste et que l’Afghanistan a toujours été un heartland, un épicentre géostratégique pour l’islamisme. Sur les cendres encore fumantes de Daesh en terre de Syrie et d’Irak, on a rapidement assisté à une reprise des attentats, à un déplacement des djihadistes qui ont survécu à l’effondrement du Califat sur d’autres terres de régénération de l’idéologie djihadiste comme au Sahel ou en Asie Centrale. L’Afghanistan, a été, reste et restera toujours un totem. Et le Pakistan pas loin, une autre cible de choix pour viser l’extension régionale. La présence américaine n’a jamais rien réglé : depuis l’invasion, il y a toujours eu un tiraillement violent dans le pays entre l’Etat fragile, l’emprise très forte des Taliban qui n’a cessé de progresser, la présence historique d’Al-Qaïda, et la rivalité de Daesh en Afghanistan qui a pris de plus en plus d’importance. Avec la chute de Raqqa en 2018, l’Etat islamique créé et proclamé en Afghanistan en février 2015, a très vite ambitionné de devenir le nouveau Califat islamique.

Pour peser davantage sur le plan régional, l’Etat islamique afghan a attiré des groupes de djihadistes ouzbeks, comme le Mouvement islamique d’Ouzbékistan et tous les groupes qui sont en déroute traqués par l’armée afghane ou pakistanaise. Il a fait de même au Pakistan et multiplié des attentats bien ciblés à Kaboul ou Karachi. Ce sont de véritables allégeances pragmatiques et de survie. Aujourd’hui, on estime de 1 000 à 3 000 combattants le nombre d’insurgés de Daesh qui se battent au quotidien dans leur pays pour leur survie. Et le ratio de 1 à 10 entre Daesh et les Taliban. Et la guerre est plus ouverte que jamais entre les deux protagonistes qui se disputent le statut de leader islamiste du pays.

Les conséquences pour la région seront radicales avec la talibanisation d’une partie du Pakistan et l’hystérisation haineuse de la frange très pauvre et illettrée de sa population de près de 200 millions d’habitants. Quid avec le Bangladesh dont une partie important de la population est dans une situation fragile voire critique ? Nous risquons de nous retrouver confrontés à un bloc idéologique salafiste ivre de haine anti-chrétienne, anti-occidentale, anti-chiite et anti-tout ce qui ne partage pas totalement cet extrémisme de près de 500 millions d’habitants, soit la population de l’Union européenne. Certes, le retrait sur le plan militaire des Etats-Unis ne sera pas très spectaculaire avec 2 500 soldats. Mais psychologiquement, il sera énorme de ne plus avoir de présence américaine et de soutien militaire au gouvernement afghan. C’est pour cela que le monde doit se préparer au plus vite, et anticiper l’évolution vertigineuse du triangle Pakistan-Afghanistan-Bangladesh qui risque de devenir un des enjeux sécuritaires, religieux et géostratégiques majeurs de la décennie 2020-2030.

Sébastien Boussois

Notes :
[1] https://www.france24.com/fr/amériques/20210115-les-troupes-américaines-désormais-réduites-à-2-5000-en-afghanistan-comme-en-irak

[2] Après avoir au moins éliminé Oussama Ben Laden, le chef d’Al-Qaïda.

[3] La création d’Al-Qaida au Maghreb islamique est due à Mokhtar Ben Mokhtar, formé en Afghanistan, devenu seigneur de guerre au sein du GIA pendant la décennie noire en Algérie avant de se retrancher dans le Sahel. Il est sur la liste noire des pires terroristes recherchés sur la planète pour ses affinités avec Al-Qaïda et les Taliban.

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