Selon le spécialiste des questions économiques et de sécurité Jean Monjaret, l'Union européenne continue à imposer ses «valeurs» à ses membres, surtout lorsqu’il s’agit de la principale, l’orthodoxie néo-libérale.
Bruxelles a accordé la semaine dernière à la France deux années de plus pour se mettre enfin en conformité avec l’objectif commun d’un déficit public inférieur à 3% du Produit Intérieur Brut (PIB). Mais ce délai supplémentaire, qui fait grogner les Etats membres ayant consenti de lourds sacrifices pour s’en tenir aux critères de convergence de Maastricht, n’a rien d’un cadeau.
Deux ans pour atteindre cet objectif, c’est court. Les autorités françaises, qui espèrent ramener le déficit, attendu à 4,15% pour 2015, à 2,7% en 2017, en espéraient trois. La commission européenne, par ailleurs, a fait savoir qu’elle jugeait que le plan d’économies français, prévoyant plus de 50 milliards d’euros de restrictions budgétaires d’ici 2017, ne serait sans doute pas suffisant. Compte tenu des prévisions françaises tablant sur une croissance molle de l’ordre de 1,7% en 2016 et 1,9% en 2017 –que certains experts jugent au demeurant optimistes- Bruxelles estime qu’un tour de vis supplémentaire s’impose, de l’ordre de 30 milliards d’euros d’économies en plus. Rompant avec le dogme, la commission admet que de telles mesures d’austérité auront nécessairement un impact sur la croissance française, considération que l’on attribue généralement aux esprits attardés des seuls économistes hétérodoxes, mais que le résultat final ne pourra être acquis qu’à ce prix.
Près de 80 milliards d’économies au total, à réaliser en deux ans seulement pour un pays au bord de l’explosion sociale, l’UE n’exige pas seulement des sacrifices pénibles de la part des Français. Elle met aussi François Hollande au pied du mur. Celui-ci, qui espère bien se succéder à lui-même à l’occasion des Présidentielles de 2017, n’a plus que deux ans pour prouver à ses homologues européens qu’il s’est bel et bien converti à la social-démocratie tendance Blair-Schröder et obtenir leur soutien. Or il ne peut pas se permettre un changement de discours aussi radical. Emmanuel Macron, qui a déclaré hier que la France s’en tiendrait aux 50 milliards d’économies prévus et ne ferait pas un effort de plus, a clairement reçu mandat de ne rien céder sur ce point.
Certes le Président de la République français ne ferait pas sa révolution copernicienne en clamant son adhésion à la gauche libérale-libertaire. Apparatchik sans éclat du Parti Socialiste, il a gravi les échelons rue de Solférino en sachant louvoyer d’une allégeance à une autre. Entre un refrain du « Temps des Cerises » aux Universités du PS pour flatter les militants les plus à gauche et un soutien sans faille à un Lionel Jospin n’ayant jamais prononcé une seule fois le mot « ouvrier » lors des Présidentielles de 2002, il n’est pas à un grand écart prêt. Sa seule constance est de n’avoir jamais eu de conviction réelle si ce n’est celle qu’il avait un avenir.
Mais il sait qu’il ne peut gagner en 2017 qu’à la condition expresse de rassembler toute la gauche derrière lui, mélenchonistes, écologistes et frondeurs du Parti Socialiste inclus. Il doit donner des gages à cette gauche traditionnelle, keynésienne, n’ayant jamais renoncé à imposer la mainmise de l’Etat sur l’économie. Entre Bruxelles et les pèlerins du mur des Fédérés, il est pris entre le marteau et l’enclume.
Evidemment il peut toujours user des expédients traditionnels de la gauche pour satisfaire simultanément les caciques de la commission européenne et ceux de la place du colonel Fabien. Il suffit de pressurer un peu plus encore les classes moyennes pour atteindre les objectifs assignés. Sauf que Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement a assuré qu’il n’y aurait pas de nouvelles hausses d’impôts. Et que les classes moyennes, frappées par la crainte du déclassement, pourraient bien basculer très vite vers la droite de Marine Le Pen, où les ont précédé les ouvriers abandonnés par la gauche, ou à défaut vers celle de Nicolas Sarkozy. Ce dernier a annoncé hier toute une série de mesures fortes en cas de réélection à l’Elysée en 2017. Retraite à 63 ans, restriction drastique du nombre de fonctionnaires, fin de l’impôt sur la fortune… Dans une France dont les fractures sociales se multiplient l’ancien chef de l’Etat annonce clairement la couleur : si une partie de la société française doit consentir de nouveaux sacrifices ce sera au tour de la clientèle électorale de la gauche, les fonctionnaires, de souffrir. Il a toujours été accusé de cliver, il assume.
Coincé entre Bruxelles d’un côté, la gauche traditionnelle de l’autre, une droite en difficulté mais en embuscade enfin, François Hollande peut encore recourir à quelques expédients pour gagner du temps. L’Etat français peut vendre quelques-uns de ses derniers joyaux. Michel Sapin et Emmanuel Macron ont annoncé hier de concert la vente de 3,96% des actions du groupe Safran, l’un des leaders mondiaux des moteurs aéronautiques et de l’électronique de défense, pour environ un milliard d’euros. L’Etat de la sorte descendrait de 22 à 18% du capital du groupe. D’autres cessions pourraient intervenir sur les industries de souveraineté. Mais elles ne seraient que cautère sur jambe de bois et seraient de nature à priver la France d’outils industriels indispensables à son indépendance.
Le Président de la République, acculé par les nouvelles exigences de Bruxelles, risque donc de rester fidèle à sa ligne de conduite habituelle : tout promettre et ne rien donner. Surtout ne rien faire en espérant que la droite « de gouvernement » s’effondre sous les coups de Marine Le Pen. Celle-ci, n’en doutons pas, sera la grande gagnante de l’immobilisme qui s’annonce. En voulant contraindre Hollande à céder, la commission de Bruxelles prend le risque d’amener au second tour des présidentielles de 2017 celle qui a fait du rejet de l’UE son fonds de commerce. Le pari est risqué.
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