L’humoriste devenu président de l'Ukraine, Volodymyr Zelensky, est-il en train d’imiter le parcours du président devenu humoriste (involontairement), Mikheil Saakachvili, ex-président de la Géorgie ?
Durant l'été 2008, Mikheil Saakachvili a initié une guerre avec l’objectif de reconquérir par la force deux territoires qui avaient fait sécession de la Géorgie au début des années 1990, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. L’opération a mal tourné pour la Géorgie. La Russie a volé au secours de ces deux provinces et elles sont désormais reconnues par elle et protégées par ses troupes. Un conflit gelé que la Géorgie voulait régler par la force a abouti à une défaite cuisante pour cette dernière et surtout pour ses projets d’intégrer l’OTAN : l’Alliance atlantique ne prend pas comme membres des Etats qui ont des guerres larvées sur leur territoire.
Au pire moment du conflit, quand le président géorgien s’est rendu compte qu’il devait manger son chapeau, il a été filmé par la BBC en train de manger sa cravate. C’était un joli numéro, mais peut-être moins passionnant que celui où, pendant une intervention explosive au Parlement ukrainien en 2015, il traite le ministre de l’Intérieur de voleur et se fait jeter un verre d’eau dans la figure. Ensuite il y eut la scène rocambolesque de son arrestation en 2018 dans un restaurant mexicain à Kiev quand la police l’a mis par terre pour avoir fomenté un coup d'Etat contre le précédent président ukrainien.
Récemment nommé par Zelensky à la tête d’un important organe gouvernemental, Saakachvili se retrouve une fois de plus proche du pouvoir à Kiev. Il semble vouloir pousser celui-ci à suivre son exemple catastrophique en essayant de récupérer les territoires sécessionnistes du Donbass. Saakachvili a notamment félicité Zelensky pour avoir fermé pas moins de trois chaînes de télévision «pro-russes» en février 2021 – au nom des fausses informations, bien sûr – et plusieurs sociétés et médias russes en mars. La visite du président ukrainien la semaine dernière à ses troupes sur le front dans l’est de l’Ukraine semble confirmer les craintes que le président Zelensky, élu en 2019 pour faire la paix avec la Russie, se prépare à lui faire la guerre.
Le pire des signaux est l’opération de séduction récemment lancée par Kiev envers l’OTAN. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères vient de se rendre au secrétariat général de l’Alliance à Bruxelles, tandis que le président Zelensky a déclaré que l’OTAN était «la seule façon de mettre fin à la guerre au Donbass». Kiev veut convaincre l’OTAN d’accepter l’Ukraine comme futur membre. Au lieu de lui expliquer discrètement que la politique n’est pas un feuilleton, Jens Stoltenberg, le patron politique de l’OTAN, a joué la même farce en donnant une série d’ordres publics totalement déplacés à Moscou... sur la façon dont les troupes russes doivent faire leurs manœuvres ! (Il y en a actuellement un grand nombre non loin de la frontière ukrainienne.)
Les Américains doivent comprendre que les intérêts ukrainiens et les intérêts américains sont opposés
Ceci est extrêmement grave. Encourager les Ukrainiens à croire qu’ils auront le soutien de l’OTAN dans une éventuelle opération militaire contre les séparatistes du Donbass relève d’une insouciance terrifiante. La Russie est sûre de gagner si elle venait au secours du Donbass car l’OTAN est parfaitement incapable de s’opposer à une éventuelle opération militaire russe en Ukraine. Avec quelles troupes l’OTAN ferait-elle la guerre à l'armée russe ? Les pays membres européens de l’OTAN ne sont pas prêts à mourir pour Donetsk tandis qu’un affrontement terrestre entre soldats américains et russes aurait des conséquences incalculables.
Dans ces conditions, une escalade en Ukraine nuirait plus encore aux Américains qu’aux Ukrainiens. Le seul pays qui en tirerait profit est la Chine, qui est pour les Américains un rival géopolitique et économique, à moyen et à long terme, bien plus redoutable que la Russie. Ou bien les Etats-Unis cautionnent une tentative ukrainienne de récupérer le Donbass par la force, ou bien il refusent de soutenir les Ukrainiens qui y vont tout de même. Dans la première hypothèse, la Chine serait en droit de faire la même chose à Taiwan, son territoire perdu, remportant ainsi une victoire géopolitique et symbolique énorme qui changerait considérablement les rapports de force dans le monde. Dans la seconde hypothèse, la Chine en tirerait la conclusion que les Américains ne se battront pas et le résultat serait identique. Les Etats-Unis essaient actuellement d’imposer leur loi dans la mer de Chine méridionale comme dans la mer Noire. S’ils échouent dans l’une ils échoueront aussi dans l’autre.
Par conséquent, soutenir les Ukrainiens dans un affrontement avec la Russie est tout aussi catastrophique pour Washington que de ne pas les soutenir. L’impératif absolu pour Washington est donc de faire le contraire de ce que veulent les comédiens à Kiev. Il faut empêcher toute escalade de la situation en Ukraine, coûte que coûte, et mater les folies ubuesques encouragées par Saakachvili. Les Américains doivent comprendre que les intérêts ukrainiens et les intérêts américains sont opposés.
Le discours belliciste habituel des Américains à l’égard de la Russie est redevenu à la mode depuis l’élection de Joe Biden à la Maison Blanche et la nomination d’Antony Blinken comme secrétaire d’Etat. Pourtant, Biden semble avoir compris les enjeux potentiellement fatals pour son pays en appelant à un sommet russo-américain, peut-être à Vienne, pour résoudre la crise ukrainienne, initiative à laquelle le président Poutine répondra sans doute par l’affirmative. Dans un contexte de guerre froide renaissante, il est impératif de remettre le conflit gelé en Ukraine dans le congélateur politique, et d'en refermer la porte, pour aussi longtemps que possible.