L'Ukraine ferme des chaînes TV d'opposition : des députés crient à la censure, Washington applaudit
Kiev a fait fermer par décret huit médias appartenant à un élu ukrainien de l'opposition. Le pouvoir ukrainien invoque la «sécurité nationale» contre la «propagande» pro-russe, tandis que de rares voix dénoncent une forme de censure.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a fait interdire huit médias ukrainiens (dont les chaînes de télévision 112 Ukraïna, Zik TV et Newsone) appartenant à l'opposition, le 4 février. Si certaines voix dénoncent une dérive inquiétante pour la liberté d'expression, la décision du pouvoir ukrainien a été applaudie par plusieurs gouvernements occidentaux, sous prétexte de lutte contre la «propagande» pro-russe.
Une attaque contre l'opposition ?
En vertu d'un décret signé par le président ukrainien et le Conseil de sécurité nationale, ces médias particulièrement critiques du gouvernement ukrainien font l'objet d'une interdiction d'émettre avec effet immédiat. Ils sont en outre visés par d'autres sanctions, dont un blocage de leurs avoirs, notamment.
Sanctioned TV Channel ZIK, 112, News One went off the air https://t.co/c0WI5P0Ima via @24tvua#Ukrainepic.twitter.com/tbKUoOSgkr
— Liveuamap (@Liveuamap) February 2, 2021
Tous sont la propriété du député ukrainien de l'opposition Taras Kozak, mais sont considérés comme proches d'un autre élu ukrainien, Viktor Medvedtchouk, chef du groupe Plateforme d'opposition-Pour la vie (OPZZh) au Parlement. Cette formation, la principale de l'opposition à l'assemblée législative, appelle notamment à une normalisation des liens avec Moscou. Viktor Medvedtchouk est en outre considéré comme un allié proche de Vladimir Poutine.
OPZZh a récemment redoublé de critiques contre le gouvernement ukrainien, annonçant même le 3 février souhaiter entamer une procédure de destitution de Volodymyr Zelensky, par ailleurs confronté à une chute de popularité.
Un timing qui ne serait, selon Viktor Medvedtchouk, pas anodin. Dans un communiqué publié le 4 février, le député qualifie ainsi de «totalement illégale» la décision du président ukrainien, qu'il accuse de vouloir faire taire toute critique. «Zelensky rêve de nettoyer le champ de l'information», lance encore Viktor Medvedtchouk.
De son côté, la porte-parole du président ukrainien, Ioulia Mendel, accuse le 3 février sur Facebook le groupe de médias sanctionné d'être «un instrument de guerre contre l'Ukraine» bénéficiant de «financements depuis la Russie», et évoque la «sécurité nationale».
«L'Ukraine soutient fortement la liberté d'expression, mais pas la propagande financée par le pays agresseur», souligne de son côté souligné le président ukrainien sur Twitter.
Quand Washington applaudit la censure
La décision a fait l'objet de nombreuses interrogations quant au respect de la liberté d'expression.
«Même s’il est légitime de préserver l’indépendance de l’information, les sanctions contre ces 3 chaînes TV pro-russes ne sont pas un outil approprié pour combattre la propagande», a commenté Reporters sans frontières (RSF) sur Twitter.
Même s’il est légitime de préserver l’indépendance de l’information, les sanctions contre ces 3 chaînes TV pro-russes ne sont pas un outil approprié pour combattre la propagande. [2/2]
— RSF (@RSF_inter) February 4, 2021
Porte-parole de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Peter Stano a pour sa part fait état de réserves auprès de l'agence Interfax-Ukraine. Tout en estimant que le paysage médiatique ukrainien était «affecté par des campagnes soutenues de désinformation pro-russes» et que Kiev pouvait «légitimement» se «défendre» contre cela, il a jugé : «Cela ne devrait pas se faire au dépens de la liberté des médias, et [cela] doit être fait dans le respect des droits et libertés fondamentaux.»
La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a quant à elle vivement dénoncé cette mesure, qu'elle a qualifiée d'«exemple scandaleux de censure politique». La porte-parole a souligné que ces sanctions contredisaient «les obligations internationales de Kiev pour protéger la liberté d'expression».
Dans un message publié sur Telegram, Margarita Simonian, rédactrice en chef monde de RT, a proposé un poste aux journalistes ukrainiens laissés sur le carreau.
La décision de Kiev a néanmoins bénéficié de certains soutiens, du côté des gouvernement occidentaux mais aussi... de militants des droits de l'Homme.
L'ancien champion d'échec Garry Kasparov, désormais membre de la Human Rights Foundation, a ainsi appelé à prendre exemple sur Volodymyr Zelensky pour infliger la même sanction à RT et Sputnik.
Yesterday in Ukraine, president Zelensky banned three "trojan horse" Russian TV channels. It's a good example for what should happen in the West to Russia Today and Sputnik propaganda outlets. https://t.co/2mqPJNMwaM
— Garry Kasparov (@Kasparov63) February 3, 2021
Sur Twitter, l'ambassade des Etats-Unis à Kiev a fait savoir qu'elle soutenait les efforts de l'Ukraine pour «contrer l'influence maligne de la Russie», poursuivant : «Nous devons tous travailler ensemble pour empêcher que la désinformation soit déployée comme arme dans une guerre d'information contre des Etats souverains.»
The US supports 🇺🇦 efforts yesterday to counter Russia’s malign influence, in line with 🇺🇦 law, in defense of its sovereignty & territorial integrity. We must all work together to prevent disinformation from being deployed as a weapon in an info war against sovereign states.
— U.S. Embassy Kyiv (@USEmbassyKyiv) February 3, 2021
La décision a également été saluée par les ambassades d'Estonie et de Lituanie, deux pays connus pour mener la vie dure à leurs concitoyens travaillant pour des médias russes.