Consultant juridique et doctorant, Franck Pallet décrypte les ravages de la pensée unique, notamment économique, à la lumière de la crise du Covid. Celle-ci permettra-t-elle une prise de conscience en profondeur ?
Il est en médecine ou en recherche scientifique, comme en sciences économiques et sociales, une pensée unique qui s'est solidement enracinée dans nos sociétés, où la moindre opinion divergente est systématiquement condamnée par ceux qui s'estiment détenteurs de la connaissance. Une forme d'obscurantisme des temps modernes, à l'instar de l'époque où l'on avait fustigé les théories de Galilée ou de Giordano Bruno à propos de sa théorie de l'héliocentrisme.
Depuis lors, l'orthodoxie néolibérale a supplanté les théories dominantes de l'Eglise, dont l'influence sur nos sociétés n'a eu de cesse de s'éroder au point de s'effacer au profit d'une autre forme de dictature de la pensée. On nous dit en économie que l'Etat n'a pas à se substituer aux défaillances du marché et que les déséquilibres temporaires pouvant s'y manifester disparaîtront au regard de la rationalité de ses acteurs (les producteurs et les consommateurs) sous l'effet de la loi de l'offre et de la demande, brandie pendant des siècles par les économistes classiques et néoclassiques, qui permettrait ainsi d'atteindre l'équilibre. L'Etat serait en quelque sorte non seulement un perturbateur, mais s'avérerait par ailleurs totalement inefficace dans son action.
Son intervention dans la vie économique via la planification serait ainsi une route qui nous mènerait vers la servitude, et partant, vers le totalitarisme. C'est en tout cas la thèse développée par Friedrich von Hayek, un économiste de l'école autrichienne, dans les années 1930-40. Fustigeant les thérapies keynésiennes alors jugées inopérantes pour surmonter les crises économiques, les adeptes de la révolution néo-conservatrice des années 1980 ont fait de ses théories les principaux fondements de leur politique économique.
On a vu depuis lors les résultats désastreux de ces politiques économiques qui ont finalement abouti au contraire de ce qui était recherché : déséquilibres persistants des finances publiques, endettements public et privé massifs sources de bulles spéculatives, système monétaire et financier instable depuis les accords de la Jamaïque de 1976 instaurant un système de change flottant.
Or, l'ordolibéralisme ou néolibéralisme (quel que soit l'appellation ou le sens que l'on donne à ces termes) est précisément à l'origine des maux dont souffrent nos sociétés, gangrenées par les inégalités de revenus, la stagnation séculaire de nos économies, et l'économie de la rente financière au détriment du travail source de création de richesse.
On oublie trop souvent que ce sont les entreprises et leurs salariés qui en sont les principaux acteurs. Ce n'est pas l'épargne préalable qui suscite l'investissement, mais la demande anticipée des entrepreneurs qui est génératrice de ce même investissement, reposant lui-même sur la confiance des agents économiques. La thésaurisation excessive étouffe toute reprise de la croissance.
La crise sanitaire, révélatrice des limites de la doxa libérale
La crise sanitaire actuelle a révélé toutes les limites de cette doxa libérale et a vu le retour de l'Etat stratège, celui qui intervient dans la vie économique en cas de défaillance des marchés, là précisément où les agents privés se sont révélés incapables d'inverser la tendance. Non pas que nos dirigeants actuels se soient subitement convertis au keynésianisme, ne nous y trompons pas. Mais par la force des choses, ils y ont recours faute d'autres mesures plus efficaces. Nous en paierons d'ailleurs tous un lourd tribut une fois cette pandémie définitivement sous contrôle.
Depuis le 17 mars 2020, nous assistons à un défilé incessant de médecins et de scientifiques aux avis divergents sur les plateaux de télévision, au point d'occulter les autres éléments de l'actualité, tout en distillant là aussi chaque jour à petites doses une pensée unique. Ceux qui ont l'imprudence de développer d'autres hypothèses comme les professeurs Raoult, Peronne ou encore Toubiana, pourtant considérés jusqu'alors comme d'éminents scientifiques, sont considérés au mieux comme des complotistes, au pire tels des imposteurs ou de dangereux charlatans.
Nous en revenons une fois encore à l'époque de Galilée et de Giordano Bruno, où l'église excommuniait ou brûlait les «hérétiques». Il n'est pas question de minimiser dans mon propos la gravité de cette épidémie et ses conséquences désastreuses sur la santé humaine.
Toutefois, il faut rétablir une vérité que peu de gens, même parmi les plus éclairés, contesteront : c'est la diminution des moyens en matériel et en personnel dans les hôpitaux publics au cours des 20 dernières années qui est en partie responsable des deux confinements imposés dans tous les pays, au nom d'un équilibre budgétaire et financier préconisé par les ayatollahs de l'ordolibéralisme, notamment ceux de la Commission européenne. Cet équilibre n'a pourtant jamais été atteint en dépit de tous les efforts déployés par nos gouvernements successifs, à l'exception notable du cas de l'Allemagne.
Or, lorsqu'on se trompe manifestement de voie, n'est-il pas temps d'en changer et d'en revenir aux fondamentaux, c'est-à-dire d'œuvrer pour le bien-être de l'humanité ? Aucun être sur Terre ne dispose à ce jour du monopole de la connaissance. Il est toujours utile de s'inscrire dans un processus essai-erreur, car nous apprenons tous de nos propres erreurs. Et c'est tant mieux ! Y persister est en revanche éminemment blâmable.
Car comme disait Karl Popper, «une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable». C'est l'objet même de la science : être contredite par d'autres théories. Imposer une pensée unique, c'est s'installer dans un déni de réalité et nous empêcher de répondre aux nouveaux enjeux de demain qui façonneront l'humanité tout entière.
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