Franck Pallet, collaborateur dans plusieurs cabinets d'avocats, s'interroge sur l'efficacité du système universitaire français et notamment la pertinence des grandes écoles dans un monde post-covid.
Depuis 40 ans, les universités françaises n'ont cessé d'être sacrifiées par les gouvernements successifs en les privant des moyens pourtant nécessaires à leur rayonnement tant au niveau national qu'international, notamment dans la recherche, alors même qu'outre les enseignements qu'elles dispensent, c'est le propre de leurs activités.
Locaux vétustes pour la plupart d'entre elles, amphithéâtres bondés voire saturés (au point que bon nombre d'étudiants se voient contraints de suivre leurs cours assis sur les marches), maîtres de conférence souvent mal payés et peu reconnus pour la qualité de leurs travaux, conditions de nomination opaques, quand ce n'est pas le copinage qui s'impose à ceux qui sont injustement écartés de certains postes...
La situation est telle que de plus en plus d'étudiants s'orientent vers les classes préparatoires aux grandes écoles afin de passer des concours d'entrée aux écoles les plus «prestigieuses».
Ces classes préparatoires disposent d'ailleurs des meilleures infrastructures et des professeurs les plus renommés afin d'atteindre les meilleurs taux de réussite et faire ainsi partie du haut du podium. Un peu comme le top 10.
Mais cette différenciation entre universités et grandes écoles a-t-elle encore un sens en 2021 ? N'est-ce pas la une spécificité bien française qui apparaît désuète à l'heure de la mondialisation de l'enseignement supérieur ?
À titre d'exemple, quelle est la différence entre une école de commerce et un institut d'administration des entreprises hormis la différence de coûts de la scolarité, dès lors que ce sont les mêmes enseignements ? Et l'on pourrait faire encore bien d'autres comparaisons au niveau de l'enseignement scientifique.
Il existe ainsi un enseignement supérieur à deux vitesses, avec d'une part les lycées les plus prestigieux, et par ailleurs les autres. Cela est d'autant plus vrai avec la crise sanitaire actuelle, qui s'est traduite par le confinement de milliers d'étudiants des universités, tout en laissant ouvertes les classes préparatoires aux grandes écoles qui bénéficient quant à elles d'un privilège injustifié aux yeux des autres étudiants.
Ce qui est encore plus déplorable c'est que le Conseil d'état ait entériné de fait cette rupture d'égalité devant la loi dans le cadre d'un référé liberté entrepris courant du mois de janvier par certaines universités afin de permettre aux étudiants de reprendre leurs cours. Une initiative bien évidemment rejetée par la haute juridiction administrative au regard du risque de propagation du virus, et, partant, d'une augmentation du nombre de personnes contaminées.
Mais quid des risques de contamination, qui existent à l'évidence dans les transports, notamment dans le métro, utilisés par plusieurs millions de franciliens ou dans d'autres grandes villes de France tant le matin qu'à 18h, l'heure à laquelle commence le couvre feu. A 17h59, il n'y aurait pas de risque ; à 18h, le virus reprendrait ses activités pour sévir parmi la population. Souscrire à ce type de raisonnement, n'est ce pas s'exclure de la raison humaine ?
Des dirigeants ambitieux, arrogants, surtout soucieux de conserver leur pouvoir, méprisant le bas peuple, l'industrie qu'ils n'ont cessé de démanteler au fil des décennies, et qui pensent pour la plupart tous la même chose ? Est-ce vraiment cela que nous voulons à l'avenir ?
Cette petite parenthèse, provisoirement refermée, reprenons sur la situation des universités. On entendait récemment sur France culture, dans l'émission L'esprit public, qu'il y avait actuellement 1 700 000 étudiants dans les universités. C'est précisément ce nombre qui est aujourd'hui privé de cours magistraux et de contacts directs avec les professeurs. À regarder de plus près les statistiques officielles, 80% des étudiants dans les grandes écoles sont issus des milieux favorisés (CSP plus) contre seulement 2% de jeunes du monde ouvrier ou agricole selon une étude de l'Institut des Politiques Publiques. Cela signifie clairement que la grande majorité des autres doit se contenter des universités délabrées, dans lesquelles les conditions de travail des enseignants sont par ailleurs dégradées, alors que les universités sont de manière générale les lieux de la diversité des savoirs, des intelligences et de la recherche.
Mais quelle classe dirigeante veut-on pour demain ? Toujours la même, issue des mêmes écoles, majoritairement parisiennes, formées selon les mêmes méthodes de raisonnement et préceptes dont il est imprudent de s'écarter sous peine de ne pas être bien classé dans la hiérarchie sociale ?
Nous voyons chaque jour le résultat d'un tel système. Des dirigeants ambitieux, arrogants, surtout soucieux de conserver leur pouvoir, méprisant le bas peuple, l'industrie qu'ils n'ont cessé de démanteler au fil des décennies, et qui pensent pour la plupart tous la même chose ? Est-ce vraiment cela que nous voulons à l'avenir ?
Il ne s'agit pas de sombrer dans la démagogie en fustigeant les grandes écoles. Là n'est pas le propos de cet article. Sans doute les personnes qui y étudient sont-elles dotées d'une grande intelligence. Cependant, il est urgent de rétablir l'équilibre dans un système par trop discriminatoire.
Il ne saurait exister d'un côté le nec plus ultra de l'enseignement supérieur et les «facs poubelle» de l'autre. C'est précisément ce clivage séculaire entre les établissements d'enseignement supérieur et la faiblesse du budget consacré à la recherche qui est à l'origine de nos mauvaises performances au niveau international.
La jeunesse est l'avenir de notre pays. C'est elle qui reprendra le flambeau avec toutes les difficultés auxquelles elle sera inévitablement confrontée, à savoir le risque climatique, les pandémies de toutes sortes aujourd'hui inconnues, l'instabilité géopolitique permanente... En sacrifiant toute une génération de jeunes, on sacrifie notre pays dans ce qu'il a apporté de meilleur à notre civilisation occidentale.
Il devient donc urgent que nos dirigeants politiques changent leur politique d'éducation et qu'ils entreprennent les réformes nécessaires pour faire de grandes universités capables de rivaliser avec les plus prestigieuses, notamment celles des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de Suisse.
Seule la diversité sociale permettra de renouveler notre élite économique et politico-administrative, car comment pouvons-nous avoir l'ambition de réformer notre société avec des personnes qui pensent toute la même chose et qui fréquentent les mêmes cercles ? N'oublions pas que, comme l'affirmait Pierre Joliot, «le progrès nait de la diversité des cultures et de l'affirmation des personnalités».
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