Investiture américaine : la grande diversion du show diversitaire

Investiture américaine : la grande diversion du show diversitaire© Win McNamee / POOL Source: AFP
Joe Biden et son épouse Jill, lors de la cérémonie d'investiture du nouveau président des Etats-Unis à Washington, le 20 janvier 2021.
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Pour Anne-Sophie Chazaud, la fascination de médias français pour la cérémonie d'investiture de Joe Biden témoigne d'une colonisation des imaginaires par les industries de la communication, de l'information et de la culture américaines.

La cérémonie d’investiture du 46ème président des Etats-Unis a donné lieu à un curieux spectacle, quelque part entre le mauvais remake de House of Cards – relevant à ce titre précisément de la société du Spectacle portée à sa quintessence dès lors que le politique s’y réduit , la dramatisation à outrance et le pathos parfois grotesque dont les Américains sont si friands, mais aussi à une débauche de fascination de la part des médias français mainstream et d’une partie de la classe politique à qui il eût été judicieux de rappeler que la France n’est pas une province de l’Empire non plus qu’elle n’est représentée par quelque étoile du fameux drapeau, et que jamais une cérémonie d’investiture d’un président français ne donnerait lieu à une semblable débauche d’énergie médiatique outre-atlantique.

Les directs se sont enchaînés sans discontinuer depuis Washington, escamotant toute autre information, comme si subitement le monde entier ne dépendait plus que de la manière dont Lady Gaga allait chanter (tout un programme, en soi, résumant bien l’aspect burlesque de la situation…), les yeux brillaient, l’enthousiasme était à son comble, des ministres du protectorat de la Gaule en Marche twittaient la larme à l’œil, bref, rien ne manquait pour une cérémonie qui, Covid oblige, était encore davantage que d’habitude, destinée à être vue de par le vaste monde plutôt que vécue : pas de citoyens sur le trajet du véhicule présidentiel dont on ne nous épargna pas la description minutieuse au gramme près, mais des téléspectateurs par centaines de millions dont on se demandait s’ils pouvaient commander cette série directement depuis Netflix en se faisant livrer des pop-corns par quelque prolétaire de l’ubérisation, de ceux qui pédalent pendant le spectacle et à qui la si démocrate et bien-pensante Californie a refusé d’octroyer un statut social protecteur le jour même où elle a voté massivement pour Joe Biden afin de faire triompher le camp du Bien.

On ne saurait évidemment reprocher au peuple américain d’être attaché à la symbolique, en quelque sorte à la sacralité mise en scène du pouvoir, et notamment, en l’occurrence, à la symbolique de la passation démocratique de celui-ci au gré des alternances politiques, dont la manifestation publique est le garant de l’attachement à la démocratie elle-même. On comprend bien que cette symbolique a été quelque peu écornée pendant 4 ans par un président qui entretenait avec le registre du symbolique des relations plus que lointaines et fantaisistes, puis particulièrement mise à mal cette année par les épisodes psychodramatiques rocambolesques qui avaient agité le Capitole quelques jours plus tôt, pris d’assaut par quelques illuminés pro-Trump dans une sorte d’insurrection en carton-pâte, télégénique à la manière d’un vidéo-clip des Village People ou d’un film d’animation Disney.

Tout fut fait du reste lors de l’investiture pour dramatiser et théâtraliser à outrance cette thématique d’une démocratie qui aurait été sauvée par l’intervention quasi-divine du président cacochyme et de son faire-valoir diversitaire, en l’occurrence Kamala Harris : spectacle délibérément hollywoodien de ces soldats «protégeant» le Capitole contre quelque réincarnation de Batman ou de Davy Crockett, jonchant le sol armes à la main tels des marines à la veille de la bataille de Saïgon ou du débarquement de Normandie. Il fallait bien mettre les moyens pour que le show rencontre son public.

La question se pose de comprendre ce que traduit cet engouement français pour une cérémonie qui ne la concerne pas

Par-delà la question du spectacle aux ressorts grossiers, la question se pose de comprendre ce que traduit cet engouement français pour une cérémonie qui ne la concerne pas car, certes, la France et les Etats-Unis ont une histoire commune depuis de longs siècles mais on doute que cette fascination-là relève du souvenir de la lointaine Louisiane ou de l’appui de La Fayette aux fondateurs d’une démocratie qui précéda de peu la Révolution française, non plus que de l’attachement à la littérature d’un Hemingway ou d’un Faulkner qui n’auraient certainement plus le droit d’écrire une ligne dans l’Amérique actuelle. Un tel attachement aurait des racines culturelles enrichissantes mais elles ne constituent hélas pas le ressort de la situation contemporaine.

Celle-ci relève bien davantage d’un ensemble de mécanismes pernicieux. La colonisation des imaginaires, tout d’abord, par le biais de l’Empire de la «culture» de masse et des industries d’information et de communication dont on a pu voir quelle part active elles avaient prise en s’invitant directement dans l’élection afin d’y promouvoir leur candidat, quitte à purger et épurer les réseaux de toute pensée dissidente.

Cette fascination a par ailleurs permis aux zélateurs d’une conception minoritariste de la société, communautariste, victimaire, larmoyante, phobophobique à souhait, de prendre leur revanche sur toute une partie honnie et méprisée (les «deplorables» de Hillary Clinton) des peuples occidentaux tentée par le fameux repli sur soi des «populistes» opposés à l’immigration de masse non désirée, attachés à leur identité culturelle et désireux de ne plus être invisibilisés par l’idéologie politiquement correcte dominante. C’est bien tout un «camp» qui exultait devant l’investiture de Joe Biden, le même qui n’a jamais considéré que les lynchages et les émeutes du mouvement Black Lives Matter mettaient en danger la démocratie non plus que les saccages des antifas lors de l’élection de Donald Trump, un camp qui, de ce côté de l’Atlantique fustigeait les Gaulois réfractaires ou les Britanniques obstinés de la perfide et indépendante Albion, un camp qui revendique l’atomisation des sociétés en une foultitude de minorités geignardes ce qui permet d’escamoter sans scrupules les actions réelles menées sur le terrain social, un camp que les errements terrifiants du campus d’Evergreen ne dérangent pas, un camp qui, comme Obama, ne comprend pas voire fustige certains Noirs ou hispaniques pour avoir voté Trump au lieu d’avoir fondé leur vote sur le seul et imbécile critère régressif de la prétendue race. Un camp qui a beau jeu désormais de n’appeler à l’unité que lorsqu’il est aux manettes.

Pendant le grand show diversitaire, la grande diversion pourra de nouveau battre son plein sur fond de guerre menée contre les souverainetés populaires

Un camp, aussi, qui n’a jamais vu de problèmes à ce qu’au nom du Bien l’on s’engouffre derrière les Etats-Unis pour conduire toutes sortes de guerres de déstabilisation qui ont, en particulier et pour la période qui nous occupe, considérablement contribué à produire les conditions du terrorisme islamiste. Un camp qui inventa des armes chimiques dans la plus grande fake news de l’histoire contemporaine, par exemple.

Bref, ce fut la fascination onaniste d’un camp auto-satisfait d’avoir vite repris les rênes d’une société américaine dont on dit, depuis quelques décennies, qu’elle préfigure toujours avec quelques années d’avance ce qui se passera ensuite en Europe. Autant dire que, pendant le grand show diversitaire, la grande diversion pourra de nouveau battre son plein sur fond de guerre menée contre les souverainetés populaires. Mais enfin, puisqu’il paraît que la démocratie a été sauvée, chacun peut aller dormir tranquille après le spectacle…

Anne-Sophie Chazaud

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