Après la résurgence, à la fin des années 70, des thèses néolibérales de l'Ecole de Chicago préconisant les mécanismes du libre marché et la libéralisation des mouvements de capitaux, assistons-nous à un retour de l'Etat dans la vie économique ?
Depuis le début des années 80 nous avons assisté au recul de l'Etat dans la vie économique, majoritairement dans les pays anglo-saxons au départ, puis dans l'ensemble des démocraties occidentales, à quelques nuances près.
La construction européenne et la création de l'euro en 1999 ont parachevé cette tendance lourde. L'ordo du libéralisme est ainsi devenu la pensée dominante et même unique quant à la manière de concevoir et de conduire les politiques publiques, comme l'illustre «There is no alternative» de Margaret Thatcher.
La crise des années 70 avec l'émergence du concept de stagflation − désignant le phénomène de concomitance de la hausse générale des prix et de ralentissement de la croissance économique − a ainsi remis en cause les préceptes keynésiens, jusqu'alors appliqués par les gouvernements, consistant en la relance de la demande par l'augmentation des dépenses publiques afin de pallier les défaillances du marché.
A contre courant, le pouvoir socialiste en place en 1981 en France avait tenté de relancer l'activité économique par la demande, alors que les autres pays industrialisés conduisaient des politiques d'inspiration monétariste (politique consistant à réduire la quantité de monnaie en circulation afin de maîtriser l'inflation).
Bien mal lui en a pris.
En effet, les mesures de relance du pouvoir d'achat (augmentation du Smic, du minimum vieillesse, des allocations familiales...) prises en 1981 ont généré un déficit record de la balance commerciale de la France de l'ordre de 50 milliards de francs. Une politique de relance de la demande (consommation) ne peut être efficace dans une économie ouverte (c'est-à-dire intégrée dans la mondialisation) que si tous les pays mènent de manière concertée la même politique, ce qui n'a pas été le cas du fait de l'inflation à deux chiffres touchant majoritairement les plus grandes économies du monde.
Cependant, cet échec est à mettre sur le compte d'une absence de solidarité des États industrialisés. Si ceux ci avaient conduit des politiques économiques concertées, celles ci auraient vraisemblablement réussi. Au lieu de cela, c'est le dogme monétariste et les égoïsmes nationaux qui l'ont emporté, avec pour conséquence le tournant de la rigueur de 1983 initié par le gouvernement Mauroy et son ministre de l'Economie et des Finances Jacques Delors.
Si les politiques de désinflation compétitive, consistant en un ralentissement de la hausse des prix tout en adaptant l'économie française aux exigences de la concurrence internationale, ont permis de juguler l'inflation et ainsi d'améliorer la compétitivité des entreprises françaises en 1983 et 1997, elles ont été cependant coûteuses en emplois.
Disposant de marges de manœuvre très faibles, tous les gouvernements successifs ont mis en place des réformes tendant à plus de flexibilité du marché du travail et qui ont abouti à faire place à la précarité. Les lois El Khomri en 2016 dont l'initiateur n'est autre qu'Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, puis les ordonnances Pénicaud en septembre 2017 ont ainsi achevé l'œuvre de tous les gouvernements précédents.
Depuis lors, la donne a changé. La crise sanitaire résultant de la propagation du COVID-19 est passé par là en se répandant sur l'ensemble de la planète comme une traînée de poudre.
A l'instar de ce qui s'est produit avec la crise des «subprimes» de 2008, nous assistons actuellement au retour des Etats dans la vie économique afin d'éviter un effondrement plus général, à coup de milliers de milliards de dollars injectés dans le circuit économique via les banques centrales.
Sans doute est-ce là une prise de conscience quelque peu tardive des erreurs de diagnostic et de conduite des politiques économiques largement dictées par la Commission de Bruxelles au nom du respect du sacro-saint pacte de stabilité de 1997.
En effet, des politiques de rigueur, consistant en une diminution des dépenses publiques et du déficit budgétaire imposées par la Commission de Bruxelles, ont été menées en France alors même que la croissance économique était faible, à l'exception de la période 1997-2000 durant laquelle l'économie française a créé plus de 800 000 emploi, un chiffre jamais atteint jusqu'alors sous un gouvernement de la Ve République. Sans que pour autant les normes du Pacte de stabilité de 1997 (à savoir un déficit budgétaire limité à 3% maximum du PIB et une dette publique limitée à 60% de la richesse nationale) ne soient satisfaites. Ces politiques, dont l'efficacité est somme toute limitée quant au retour d'une croissance saine et durable, ont eu des effets négatifs, notamment sur les services publics dont certains d'entre eux ont été supprimés dans les territoires ruraux, les zones périurbaines au point de créer une véritable fracture sociale qui a été un des facteurs déclencheurs du mouvement des Gilets jaunes à l'automne 2018.
Puis la réforme des retraites − une fois encore dictée par Bruxelles et très controversée dans l'opinion publique − s'apprêtait à accentuer les inégalités déjà existantes entre les retraites.
Le coronavirus aura finalement emporté cette réforme «mort-née» qui avait été adoptée de force sans vote de l'Assemblée nationale via la mise en œuvre de l'article 49-3 de la Constitution, une disposition constitutionnelle également controversée, véritable incarnation du parlementarisme rationalisé (principe selon lequel l'exécutif reste responsable devant l'Assemblée nationale mais selon des procédures qui le protègent d'une défiance abusive).
Sans faire preuve de cynisme dans le propos, la pandémie actuelle aura eu le mérite de pointer les excès voire les dérives d'un libéralisme économique sans freins et d'y mettre au moins pour longtemps (peut-on l'espérer) un coup d'arrêt.
Aujourd'hui, les peuples souverains ressentent de plus en plus le besoin d'être protégés notamment au regard des conséquences excessives d'une mondialisation incontrôlable.
A tout le moins, cet événement majeur doit conduire à nous interroger : peut-on revenir après cette crise sanitaire au monde ancien ou bien doit-on changer de modèle de pensée, notamment notre vision de l'avenir de notre société ?
Si l'Etat ne peut pas tout, ce qui relève de l'évidence, à du moins doit-il être plus protecteur et remédier aux insuffisances du marché qui a révélé toutes ses défaillances.
Pour sortir de la crise économique sans précédent depuis 1929 qui se profile à l'horizon, l'Etat se devra d'être meilleur stratège en proposant via ses acteurs (administration centrale et locale) de nouvelles orientations. Cela ne pourra toutefois pas se faire sans une démocratie plus participative reposant sur la délibération et/ou la consultation permettant une plus grande implication des citoyens dans le processus de décision, et, hors la présence des corps intermédiaires.
Il faudra passer pour le cas de la France du «beaucoup d'Etat» au «mieux d’Etat», de l'affrontement direct au compromis entre les partenaires sociaux. Sans doute cela devra être nécessairement précédé d'une réforme plus profonde de nos institutions et, partant, de l'édification d'un nouveau pacte social.
Franck Pallet
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