Peuples confinés, Etats confinés, même combat ?

Peuples confinés, Etats confinés, même combat ?© Luis ACOSTA / AFP Source: AFP
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Le coronavirus met à nu les mutations de l’équilibre international : obnubilé par les sanctions et centré sur lui-même, l’Occident accepte mal la perte de son hégémonie face à la montée d'un bloc eurasien ouvert sur le monde.

Nous sommes désormais plus de quatre milliards à vivre en résidence surveillée. On la dira citoyenne si l’on est bon public. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le phénomène du «confinement» a pris une extension sidérante, faisant souffler sur la planète un vent de surréalisme. On glosera longtemps sur l’origine de ce mystérieux virus qui a précipité notre monde familier vers un avenir inquiétant.

Faut-il pour autant céder à la folie ambiante en reléguant au rang de souvenir la mutation géopolitique qui, depuis une dizaine d’années, refaçonne le monde sur de nouvelles bases. Si cette vague de fond n’était qu’une illusion d’illuminé, aurait-on vraiment dramatisé le virus comme on l’a fait ? A moins que la pandémie n’ait été un catalyseur propice à l’avènement du «nouvel ordre» messianiste prophétisé par Kissinger, Attali, Gordon Brown, Bill Gates et consorts ? C’est l’issue de l’affrontement en cours entre le bloc atlantique, maître du monde menacé dans son hégémonie, et le challenger eurasien à direction russo-chinoise qui tranchera. En effet, si la «vague corona» n’est pas un épisode banal, c’est surtout en raison du chaos qu’elle a semé en cent jours. Provoquer le «confinement» d’une bonne moitié de l’humanité, sur les cinq continents, relève du jamais-vu. Innombrables seront donc, de part et d’autre de l’Atlantique, là où l’on recense 90% des infectés et des morts, les experts ou justiciers qui diront l’avenir sans avoir rien vu venir. Avant de tirer des plans sur la comète pour réparer l’incommensurable dégât, ils devront en tout cas remiser leurs idées préconçues qui ont volé en éclats. Le confinement généralisé complété par un confinement audiovisuel omniprésent à haute dose de coronavirus se prête mal à une révision déchirante, mais les faits sont têtus.

Le bloc atlantique a perdu sa suprématie globale et son magistère intellectuel ou moral. Dur à admettre pour les Trump, Pence, Pompeo, Bolton et Cie, mais aussi pour la gent occidentaliste. Les effets de manche sur la mort cérébrale de l’OTAN ou le déclin de l’Occident sonnent faux tant est enraciné le nombrilisme. Le coronavirus aura ruiné l’image de l’Amérique et de l’Europe, et c’est auprès de l’Organisation de coopération de Shanghai (Chine, Russie et alliés asiatiques) que la plupart des pays, même les plus inattendus, auront cherché assistance.

La Chine, première à juguler le fléau, est très sollicitée. Forte d’un prestige certain, elle affirme son leadership. Son aide à l’Italie, abandonnée par ses partenaires européens, voire à la France, ne passe pas inaperçue… La Russie a lancé elle aussi des opérations de secours à destination de l’Italie (matériel de dépistage et de désinfection, médecins, virologues et épidémiologistes) et de seize autres pays : membres de l’Union économique eurasienne (ex-URSS), Iran, Egypte, Venezuela, Corée du Nord, Mongolie. La Serbie a choisi de faire appel à Moscou et Pékin.

Cette implication des grands de l’Eurasie a de l’impact. Médiatisation ? Ni plus ni moins que naguère les «grandes démocraties». D’ailleurs, que pourraient médiatiser nos médias de révérence, sinon le cynisme égocentrique des occidentaux, la vanité de leurs leçons, leur acharnement dans des guerres illégales et la fin de leur monopole humanitaire, cheval de bataille pour l’ingérence. D’où la campagne de mensonges sur les pays qui fâchent : la Chine «responsable» de la pandémie (Trump demande indemnisation), la Russie accusée de «surmilitarisation», l’Iran, la Syrie…

On a espéré en vain que les Européens décrètent une trêve des sanctions et menaces d’ingérence, occupés comme ils le sont par le corona. Aux Etats-Unis, l’arrivée en trombe du virus a déchaîné une rage de sanctions tous azimuts. Or, celles-ci, devenues l’arme majeure de la stratégie de l’Amérique et de l’Union européenne, ont précisément pour but d’entraver le fonctionnement d’un Etat, d’étrangler son économie et d’empêcher son peuple de vivre. En ces temps coroniques, elles ont pour résultat d’interdire les importations de médicaments et matériels sanitaires et de rendre impossible la réparation des équipements. On confine bien les populations, pourquoi se priverait-on de «confiner» les Etats ?

Un rappel à ce propos. C’est la disparition de l’URSS qui, en 1991, avait permis à l’Amérique de prendre le contrôle du Conseil de sécurité, autorité suprême (chapitre VII de la charte de l’ONU) en matière de maintien de la paix, sécurité internationale et règlement des conflits, et ce en lui substituant une «communauté internationale» toxique, incarnée par un triumvirat au comportement «préoccupant». Washington pouvait dès lors infliger des sanctions de tous ordres (restrictions à la circulation des biens, des personnes, des valeurs financières, embargos sur des produits ou des armes, gels d’avoirs) à l’encontre des Etats «voyous» accusés de ne pas respecter la légalité internationale en matière de non-prolifération des armes interdites, lutte contre le terrorisme et «gouvernance». Une évidence s’imposerait au fil des ans : les Etats voyous ne sont pas forcément ceux que traque notre «troïka». Les résultats sont connus : entre «chaos créateur», «théorie du fou» de Nixon/Kissinger et «responsabilité de protéger», les Etats-Unis, leur cœur battant israélien et leurs supplétifs européens, pensent être en mesure d’entretenir partout un désordre sans fin, à l’ombre de la nouvelle peste coronique.

Si la Chine et la Russie, déjà cibles de lourdes sanctions, doivent être traitées avec précaution, l’arrogante patrie du Bien se défoule sur ceux qui dans son arrière-cour la défient. Cuba, qui a développé une médecine de pointe, dépêchant près de 600 spécialistes vers quatorze destinations (y compris Italie, France d’Outre-Mer et Caraïbes, Syrie), irrite certes l’Oncle Sam vieillissant, mais le vétéran de l’embargo yankee a fait ses preuves. C’est donc le Venezuela, détenteur d’immenses réserves pétrolières, qui est la cible «latine» par excellence. Qu’il soit victime du virus ne fait qu’exciter chez Trump et ses sbires un acharnement «viral» qui se manifeste par des sanctions meurtrières et dévastatrices. Des experts onusiens les qualifient de «crimes contre l’humanité», «s’apparentant à une action génocidaire», ajoutant que «dans un monde décent, leurs architectes devraient être emprisonnés à vie». L’objectif avoué est de capturer Maduro, accusé de narcotrafic, et de le remplacer par un fantoche. En attendant, le coût des dépistages du covid se trouve propulsé à des niveaux exorbitants et le FMI a refusé le prêt demandé par Caracas. Paris et Londres appuient cette agression grossière, envoyant des navires dans les parages au prétexte d’aider à la lutte contre la pandémie (sic).

«Le coronavirus signifie que l’Amérique est totalement brisée. Trump devrait sortir de l’enfer syrien», écrit Doug Bandow le 22 mars dans The American Interest. En attendant, agressée par la coalition hybride que l’on sait, théâtre de la guerre «invisible et sans fin» menée par Trump et ses alliés pour interdire paix et reconstruction, et occupée illégalement à l’est de l’Euphrate pour «contrôler le pétrole», la Syrie est en outre frappée depuis 2011 par une pléthore de sanctions occidentales sadiques.... C’est dramatique pour un pays dévasté, alors que le coronavirus y a fait son apparition. Est également criminel le siège imposé par Washington à Téhéran, résistant depuis 1979 aux sanctions occidentales. Confronté à la réescalade engagée par Trump, l’Iran est durement affecté par la pandémie. Pour ces pays de «l’Axe de la résistance», l’interdiction de commercer en dollars vise à empêcher tout achat de médicaments et d’équipements sanitaires, alors qu’ils sont économiquement étranglés. Comment compter sur des Européens velléitaires dont le coronavirus est le seul horizon et les sanctions le seul outil politique ?

«Soyez humains, levez les sanctions pour tous les pays et mettez fin à toutes vos guerres contre tous les pays. Cessez de fabriquer des armes et tournez-vous vers l’humanité…». Cet appel d’une journaliste syrienne fera-t-il réfléchir ? C’est mal parti. Rohani rappelle que l’Amérique n’est pas seulement responsable de la mort d’un Iranien toutes les dix minutes, mais qu’elle menace la vie du monde, et il met l’Europe en garde : Qom n’est pas si loin de Londres ou de Paris. Khamenei aurait-il tort  d’invectiver Washington ? : «Vous êtes des insolents, des oppresseurs, des terroristes». Il n’y a que la vérité qui blesse.

Michel Raimbaud

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