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Jacques Nikonoff est professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8. Il est également porte-parole du Parti de l’émancipation du peuple (ex-M’PEP).

Hégémonie des partis pro-austérité aux élections en Grèce

Hégémonie des partis pro-austérité aux élections en Grèce Source: Reuters
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Professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université, Paris 8 Jacques Nikonoff analyse pour RT France les résultats des élections législatives grecques.

Victoire écrasante des partis pro-mémorandum

Ils rassemblent 81,1% de l’électorat et 267 sièges sur 300 au Parlement : Syriza (Coalition de la gauche radicale, 35,5%, 145 sièges dont 50 de prime) ; Nouvelle démocratie (droite, 28,1%, 75 sièges) ; Pasok (socialistes, 6,3%, 17 sièges) ; To Potami (centristes, 4,1%, 11 sièges) ; Grecs indépendants (souverainistes, 3,7%, 10 sièges) ; Union des centristes (3,4%, 9 sièges). Quant aux partis anti-mémorandum, ils ne rassemblent que 17,2% et 33 sièges au Parlement, ceux du parti néo-fasciste Aube dorée (7,0%, 18 sièges) et ceux du Parti communiste (5,6%, 15 sièges). Jamais une telle majorité de soutien à l’austérité n’avait été réunie à la Vouli.

Le débat en Grèce ne porte donc plus sur l’acceptation ou non du mémorandum et de l’austérité, mais sur la meilleure manière de les mettre en œuvre. Les Grecs vont payer très cher le recul social et démocratique fondamental qui s’annonce et connaîtront de nouvelles années de souffrances pendant au moins une génération. Avec le 3ème mémorandum, la récession va reprendre très vite. Les 4 millions d’actifs seulement payant impôts et charges pour 2,5 millions de retraités et 1,5 million de chômeurs sont insuffisants. Avec l’importation de 85% de sa consommation, le modèle économique actuel de la Grèce n’est pas viable.

Les commentaires satisfaits des oligarques européens après les élections grecques confirment leur soutien à Alexis Tsipras. Aucun d’entre eux, d’ailleurs, contrairement aux précédents scrutins, n’est intervenu pendant la campagne électorale pour donner des recommandations de vote, si ce n’est une invitation voilée à voter Syriza.

Victoire du chantage et des manipulations

La révélation selon laquelle la menace proférée par la Banque centrale européenne (BCE) et l’Allemagne de sortir la Grèce de l’euro n’était qu’une machination a eu l’effet d’une bombe. Le 16 septembre, le vice-président de la BCE, le portugais Vitor Constâncio, dans une interview à Reuters, déclarait que la menace de la sortie de l’euro «n’a jamais été lancée pour de vrai parce que ce ne serait pas légal […] Il n’y a jamais eu de doutes pour la majorité des pays membres, nous maintenons que l’euro est irréversible».

Cette menace avait été préalablement agitée par Wolfgang Schäuble, le ministre allemand, et par Benoît Cœuré, le Français membre du directoire de la BCE. Ce dernier, le 30 juin, à quelques jours du référendum grec du 5 juillet, affirmait que «la sortie de la Grèce de la zone euro, qui était un objet théorique, ne peut malheureusement plus être exclue». Le 11 juillet, Wolfgang Schäuble en remettait une couche et présentait son «plan d’exclusion temporaire» de 5 ans de la Grèce. Le but était de faire peur aux dirigeants de Syriza.

C’est ce qui a notamment conduit Tsipras à signer l’accord honteux du 13 juillet. Il s’est fait rouler dans la farine, les oligarques européens jubilent. Ils avaient compris que le point faible de Syriza était la peur panique de la sortie de l’euro, un dossier que Tsipras maîtrisait mal, faisant preuve d’une rare incompétence et d’un amateurisme surprenant à ce niveau de responsabilité. Ce parti et ses dirigeants passaient leur temps à jurer qu’ils voulaient rester dans l’euro, autrement ce serait la «catastrophe» pour la Grèce. Les oligarques n’avaient plus qu’à appuyer sur la menace de la sortie de l’euro pour obtenir tout ce qu’ils voulaient de Tsipras.

Ces révélations confirment que Tsipras avait le choix, et que le «revolver sur la tempe» qui l’avait prétendument obligé à signer le 3ème mémorandum n’était qu’un jouet en plastique, un pistolet à eau. C’était une farce, les oligarques européens en ont bien ri. Si Tsipras avait résisté, le rapport de forces s’inversait instantanément. Il fallait prendre Schäuble au mot et engager le processus de sortie de l’euro, le bâton serait passé du côté des Grecs.

Victoire du double langage

Les élections grecques marquent une profonde mutation du parti Syriza et de son leader Alexis Tsipras. D’un parti de lutte contre le système, il est devenu un parti de gestion du système et du double langage. C’est d’abord ce qui frappe lorsqu’on tente de faire le bilan du gouvernement Tsipras I. Très peu de choses ont été réalisées pendant ces sept mois, on peut même parler de bilan calamiteux. Certes, quelques mesures favorables à la population ont néanmoins été prises, comme la loi pauvreté de mars 2015. Cela étant, rien n’a été entrepris pour changer l’économie et les institutions en profondeur, organiser la séparation de l’Eglise et de l’Etat. La corruption, notamment de la Justice, n’a pas été éradiquée, le système fiscal a été laissé globalement en l’état.

Syriza se présente désormais comme une force morale, mettant au second plan les questions économiques, sociales, institutionnelles et culturelles. Elle devient un parti humanitaire, maniant la langue de coton, tenant un discours compassionnel qui dépolitise. Elle veut «humaniser» la mise en œuvre du mémorandum et «neutraliser» ses mesures néolibérales. C’est un gouvernement de soins palliatifs qui considère qu’il n’y a plus rien à faire, sauf apaiser le malade pour qu’il parte dans la dignité.

Appliquant une politique d’austérité alors qu’il s’était engagé à faire le contraire, Tsipras en vient à bâtir sa posture sur un double langage généralisé et permanent. D’un côté il dénonce l’austérité et annonce la création d’ «un gouvernement de combat, prêt à mener des batailles pour défendre les droits de notre peuple», et d’un autre côté il applique le 3ème mémorandum d’austérité et promet «d’honorer les engagements de cet accord le plus tôt possible».

En janvier 2015 Syriza était un parti tourné vers le combat social. Aujourd’hui c’est un parti tourné vers le pouvoir. En janvier, les Grecs avaient fait un vote idéologique pour le parti Syriza, alors qu’en septembre ils ont voté Tsipras qui est devenu un bonapartiste de gauche.

Les oligarques européens triomphent. Selon Le Figaro (19 et 20 septembre 2015), «la grande bourgeoisie et les hommes d’affaires, comme le confie un armateur, préfèreraient cependant que Tsipras, converti à l’euro, se charge d’appliquer le plan européen qu’il a signé». Le journal fait parler cet armateur : «Tsipras va poursuivre son chemin vers la social-démocratie»…

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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