La politique française en Syrie, entre hésitation, revirement et mesures cosmétiques

La politique française en Syrie, entre hésitation, revirement et mesures cosmétiques Source: Reuters
Le président Hollande en conférence sur le Moyen-Orient notamment
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En annonçant de possibles frappes aériennes en Syrie contre Daesh, François hollande a opéré un revirement dans la position française. Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie, revient pour RT France, sur les enjeux de ce revirement.

RT France : Comment comprendre le changement de stratégie de la France en Syrie qui a été annoncé par François Hollande ?

Fabrice Balanche (F.B.) : La France ne pouvait plus continuer à tenir sa diplomatie sur le «ni Daesh, ni Assad». Elle se devait de trouver une solution réaliste. Le pays est membre permanent du Conseil de sécurité, le Syrie est un ancien protectorat français, Paris se sent donc des responsabilités dans la région.

De plus, on subit des attentats à répétition sur le sol français dans lesquels beaucoup de jeunes Français sont impliqués. Selon les renseignements, près de 2000 nationaux sont engagés aux côtés des djihadistes. Ce sont des bombes à retardement quand ils reviendront en France. Les services français sont aujourd'hui débordés, ils n'arrivent plus à faire face. Certes, ils préviennent des attentats mais il y a trop de monde à surveiller. Forcément, quelqu'un finira par passer entre les mailles du filet comme on l'a vu pour le Thalys. 

Enfin, il y a cette masse de réfugiés qui arrive. 300 000 personnes ont quitté le sud de la Méditerranée depuis le 1er janvier. On aura 500 000 demandeurs d'asile en Europe pour l'année 2015. Hollande dit que l'Europe doit intégrer 120 000 réfugiés sur deux ans mais le compte n'y est pas. En fait, il faut compter sur 1 million au minimum. Que va-t-on faire des 880 000 autres ? On a l'impression qu'il a minimisé le phénomène pour ne pas affoler les Français. C'est une vague migratoire sans précédent qui va s'abattre. Il faut comprendre que sur 23 millions de Syriens, la moitié a perdu sa maison : 5 millions de réfugiés et 8 millions de déplacés internes en Syrie et qui sont des candidats à l'immigration. Evidemment, il faut traiter le problème à la source et le principal problème est Daesh. 

RT France : La réponse de François Hollande est-elle à la mesure de ces enjeux ?

F.B. : J'en doute fortement. Ce sont plutôt des mesurettes qu'un véritable changement politique. La France a été dans le discours très anti-Assad: «Assad doit partir, Assad est un boucher, si Assad franchit la ligne rouge, la réponse sera foudroyante» selon les mots même de Laurent Fabius en mai 2013 et rien ne s'est passé au final. Cette rhétorique a brouillé les enjeux, a coupé toute possibilité de relation avec le gouvernement syrien. Aujourd'hui, il est difficile à la France de faire volte-face. Mais il serait justement réaliste de le faire. Mais la France ne veut pas déjuger complètement, elle ne peut s'y résoudre.

la France de Hollande n'a pas une politique étrangère digne de ce nom et digne de sa place au Conseil de sécurité.   

RT France : Donc la doctrine du «Ni-Ni» (Ni Assad, Ni daesh) aura limité, voire enfermé la diplomatie française ?

F.B. : Pour être honnête, je ne pense que la France a désormais au Moyen-Orient un rôle très important. Les acteurs majeurs y sont les Etats-Unis et la Russie, l'Iran et l'Arabie saoudite. C'est d'ailleurs pourquoi la politique française à l'égard de la Syrie est plus destinée à l'opinion publique. Mais elle est aussi destinée à récupérer quelques contrats auprès de ses amis saoudiens et qataris en retardant par exemple l'issue des négociations sur le nucléaire iranien ou en se faisant le porte-parole de l'Arabie saoudite ou du Qatar sur le dossier syrien auprès du Conseil de sécurité, histoire de récupérer pour Alstom le métro de Riyad et de vendre quelques rafales aux Qataris. Malheureusement, la France de Hollande ne va pas au-delà et n'a pas une politique étrangère digne de ce nom et digne de sa place au Conseil de sécurité.  

Ce droit-de-l'hommisme cache mal des intérêts économiques importants. Cela va concerner la Syrie mais ne va surtout pas concerner l'Arabie saoudite

RT France : C'est très cynique comme politique pour un pays qui parle souvent des droits de l'Homme...

F.B. : Mais les Etats n'ont pas d'amis, que des intérêts. Mais ce qui brouille un peu tout cela est cette idéologie «droit-de-l'hommiste» comme dit Hubert Védrine, qui est très en vogue dans l'opinion française et au Quai d'Orsay. On fait de la promotion des droits de l'homme le fer de lance officiel de notre politique étrangère, mais elle est très ciblée : cela va concerner la Syrie mais ne va surtout pas concerner l'Arabie saoudite. Ce droit-de-l'hommisme cache mal des intérêts économiques importants. Dans l'affaire syrienne, si l'Iran avait été un meilleur client, on n'aurait pas eu la même position sur la Syrie. Maintenant que les sanctions commencent à être levées sur l'Iran, que les chefs d'entreprises français se précipitent à Téhéran, que l'Arabie saoudite du fait de la baisse du pétrole achète moins, on commence à réajuster notre politique étrangère vis-à-vis de l'Iran pour bénéficier de l'ouverture de son marché. Cela nous oblige aussi à évoluer sur la Syrie. Quand Fabius s'est rendu en Iran, il a été fraîchement reçu : on lui a fait comprendre que si la France voulait bénéficier de quelques contrats, elle devait changer de position vis-à-vis de l'Iran et de ses alliés dans la région. 

RT France : Ce qui explique pourquoi François Hollande a fait plusieurs fois allusion à l'Iran comme partenaire pour une solution en Syrie ?

F.B. : Exactement. Plus encore, on sent bien qu'entre Hollande et Fabius, il commence à y avoir une divergence. Fabius est incontournable politiquement d'où la grande liberté que lui laisse le président sur la diplomatie. On a presque l'impression qu'on est en cohabitation et que le ministre des Affaires étrangères gère la diplomatie sans en référer. C'est assez incroyable. Même les députés s'en plaignent. Je suis intervenu plusieurs fois en audition au Parlement sur l'affaire syrienne expliquant mes positions, beaucoup de députés et sénateurs, de gauche et de droite, se démarquaient nettement de la politique étrangère suivie par Fabius.

Même le Ministère de l'Intérieur estime que cette politique envoie la France dans le mur : les services de renseignement intérieur ont grogné en disant que la politique menée par la France, laquelle soutient certains éléments sur le terrain ou la Turquie, entraîne un retour de boomerang en France avec le terrorisme. Aujourd'hui, il y a un rééquilibrage de cette politique, comme si François Hollande la reprenait en main. Beaucoup espèrent même que Laurent Fabius partira après les Régionales, et qu'on lui trouvera une place à l'ONU ou au Conseil constitutionnel. Car si on veut vraiment changer de politique au Moyen-Orient, il faudra sacrifier Fabius car il est allé vraiment trop loin.

Laurent Fabius a été le fer de lance de cette politique très anti-Assad, s'alignant sur les Qataris, Turcs et Saoudiens.

RT France : Notamment par rapport à sa position inflexible vis-à-vis de Bachar al-Assad ? On a eu l'impression que François Hollande infléchissait cette position et qu'il ne faisait plus du départ d'Assad un préalable.

F.B. : Les Etats-Unis, dès 2013, quand ils ont vu qu'il n'était pas possible de bombarder Damas, que les djihadistes prenaient en puissance, que les alliés russes et iraniens de Bachar al-Assad ne le laisseraient pas tomber, ont compris qu'il fallait être pragmatique. Il ne fallait plus faire du départ d'Assad un préalable si on voulait un règlement du conflit. Les Saoudiens et les Turcs ont été furieux de ce changement de position américain et la France a rejoint la position turco-saoudienne. Ce qui nous a permis d'avoir pal mal de contrats à Riyad. Fabius a été le fer de lance de cette politique très anti-Assad, s'alignant sur les Qataris, Turcs et Saoudiens.

Mais aujourd'hui, ce n'est plus tenable. Les Saoudiens eux-même, après le deal sur le nucléaire iranien, ont fait contre mauvaise fortune bon coeur. Surtout qu'ils sont tétanisés par la guerre menée au Yémen et que la Syrie leur semble maintenant secondaire. La politique d'Erdogan joue aussi avec le feu. Hollande a fini par comprendre que la politique de Fabius mène à une catastrophe, d'autant que plusieurs voix au PS commencent à le dire à voix haute. 

RT France : En ce qui concerne l'Irak, c'est le président irakien qui avait fait appel à la coalition internationale. Mais quelle sera la base juridique de l'intervention aérienne française en Syrie ?

F.B. : On en trouve toujours une. Dans ce cas, ce sera la légitime défense. Il est établi que c'est Daesh qui a commencé ses attentats en France, même si à l'époque on faisait très attention à ne pas reconnaître officiellement que les djihadistes venaient de Syrie, à ne pas mélanger les deux dossiers pour ne pas que la population française incrime la politique étrangère de Fabius. Aujourd'hui que l'on a besoin d'une justification pour aller bombarder Daesh en Syrie, on dit publiquement que c'est cette organisation qui a commandité ces attentats. Hollande s'est appuyé dans son discours sur la Charte des Nations unies et l'article sur la légitime défense.  

RT France : Ces frappes aériennes seront-elles efficaces, avec le recul que donnent les frappes en Irak ?  

F.B. : Si on veut qu'elles soient efficaces, il faut que ce soit en coordination avec les troupes qui se battent sur le terrain. Mais les troupes kurdes en ce moment sont frappées par la Turquie en Irak. Or le soutien logistique des troupes kurdes en Syrie vient d'Irak. Les Kurdes veulent constituer un territoire homogène au nord de la Syrie, le long de la frontière turque. De cela, la Turquie ne veut absolument pas en entendre parler. Le pays s'oppose à toute forme de soutien militaire aux Kurdes qui leur permettrait d'avancer.

Donc sur qui s'appuyer après les frappes aériennes ? La brigade entraînée par les Américains a été un échec total. S'appuyer sur Al-Nosra, donc Al-Qaïda contre Daesh ? Non, ce n'est pas possible. Il reste qui ? L'armée syrienne de Bachar al-Assad? On n'en est pas encore là. Donc on va d'abord faire des opérations de reconnaissance, puis balancer au hasard quelques missiles, protéger quelques zones assyriennes, quelques Chrétiens, ce sera de l'ordre du symbolique.

Frapper Daesh est très compliqué. le groupe a compris les principes de la contre-insurrection. Ils sont au milieu des populations civiles. En Syrie, j'ai pu interviewer des gens de Raqqa : si Daesh est dans un immeuble, le reste est habité par de simples civils. Si un avion français lance un missile sur l'immeuble, il tuera ces combattants mais aussi des civils. Ce sera alors le scandale. Toute cette annonce est au final du cosmétique, comme tout ce que fait François Hollande. 

RT France : Vos vous êtes rendu plusieurs fois en Syrie. On entend des choses très contradictoires. Quel est le sentiment de la population vis-à-vis du président syrien ?

F.B.: J'étais dans la zone gouvernementale. Le sentiment par rapport à ce président est qu'il n'est pas pire que les autres. Les Syriens sont assez blasés. Après 5 ans de guerre, ils aspirent à la paix et à la sécurité. Ils estiment qu'au moins avec lui, ils avaient cela. Mais ils aimeraient bien qu'Assad fasse le ménage dans son entourage, notamment sur des questions de corruption et d'affairisme. J'ai rencontré des Chrétiens, des Alaouites qui ne sont pas fondamentalement anti-Assad. Même les hommes d'affaires sunnites disent qu'ils avaient la paix sociale et pouvaient faire des affaires.

Quant à son départ, les Syriens ne voient pas qui pourrait le remplacer. Il n'y a pas pour eux de remplacement possible. Assad assure la cohérence du système, l'unité. S'il tombe, il y aura une guerre de clans qui sera pire selon eux. Par défaut, par lassitude, ils ne voient personne d'autre que lui. L'opposition politique syrienne n'a pas de leader et c'est là un problème. Or un leader est nécessaire pour faire l'unité.

Il faut aussi que cette opposition ait une branche militaire. Or il y a deux oppositions : une politique, très divisée, sans leader d'un côté ; de l'autre côté, il y a une opposition militaire, tout autant divisée, avec pour leader Al-Bagdadi (Daesh) et  Al-Joulani (Al-Qaïda-Al-Nosra). Il faut donc une base sociale, politique et militaire. Il n'y a donc pas d'alternative à al-Assad aujourd'hui. 

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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