L’Union européenne et le gouvernement de Macron réussissent à ruiner toute une part de la diplomatie française fondée sur la fabrication et la vente d’armes. Le point de vue de Mathieu Epinay.
En février dernier une PME de l’Yonne, Nicolas Industrie, renonçait à un marché de 120 porte-chars pour l’armée saoudienne. Verboten ! avait enjoint Rheinmetall à ce sous-traitant qui licenciait en conséquence les deux tiers de ses effectifs.
Et ce alors que le 22 janvier à Aix-la-Chapelle, Emmanuel Macron et Angela Merkel avaient signé, sous les sifflets des Gilets jaunes, un nouveau traité franco-allemand dans lequel ils se promettaient de surmonter leurs divergences en matière d’exportation d’armement !
Outre les vieilles rengaines sur l’Europe de la défense, Macron y demandait pour l’Allemagne un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies et prévoyait des dérogations pour «surmonter les obstacles à la réalisation de projets transfrontaliers». Ses ennemis populistes, raillés par la presse d’argent, avaient dénoncé non sans raison une menace indirecte sur notre propre siège au Conseil de sécurité et sur notre souveraineté en Alsace-Lorraine ; on s’amusera, ou non, de la très récente déclaration de la Moselle décidant de devenir un eurodépartement.
En Allemagne, personne ne s’inquiéta pour la Sarre.
Après cette affaire, les licenciés de Nicolas Industrie rejoignaient donc les Gilets jaunes, Rheinmetall délocalisait sa production en Inde, le Bundestag, dans son palais de verre, se félicitait de sa vertueuse transparence et les chars saoudiens, transportés par d’autres moyens, poursuivaient le pilonnage du Yémen.
La rupture d’un contrat d’armement pèse peu dans le cours d’un conflit qui dépend de bien d'autres choses. Interdire le marché parisien aux couteliers de Tiers après chaque égorgement à la Goutte d’Or ferait uniquement l’affaire de ceux de Laguiole. Les Saoudiens qui s’arment d’abord chez les Américains et les Britanniques n’ont que faire des pudeurs de l’Allemagne, qui ne pèsent en rien sur le sort dramatique des Yéménites. Ce conflit local et ses interactions régionales relèvent d’un autre ordre.
Par ailleurs, indépendamment des causes du conflit et des responsabilités de l’Iran comme de l’Arabie saoudite, la suspension par l’Allemagne de ses licences d’exportations, sans aucune concertation avec ses partenaires, souligne le décalage entre l’euro-utopie macronienne et le nationalisme allemand. Notre ministre de la Défense s’en émeut devant les députés : «La décision [de l’Allemagne] a suscité, de notre part, par la voix du président de la République, une réponse très franche.» Cause toujours ! «Une discussion aurait été souhaitable avant que l’Allemagne prenne cette décision unilatérale». Décision qui porte aussi sur l’exportation d’autres armements plus pointus à la fabrication desquels l’Allemagne a contribué, comme le missile d’interception Météor destiné au Rafale français et au Typhoon européen acheté par les Saoudiens.
Le ministre poursuit : «Il est d’autant plus regrettable que cette discussion n’ait pas été possible alors que nous avons signé un traité à Aix-la-Chapelle au début du mois de janvier, traité dans lequel nous avons souhaité développer notre coopération en matière de défense». Insondable aveuglement idéologique !
Quoi qu’en pense le pape François, dont les services avaient diffusé naguère un clip incongru contre les marchands de canons, l’exportation d’armes n’est pas en soi un péché, pas plus que la vente de serrures de sécurité parce qu’elles favoriseraient à son domicile le «repli sur soi» contre «l’accueil de l’étranger». Notre industrie d’armement, qui est d’un excellent niveau, est aux fondations de notre indépendance par la maîtrise de l’ensemble de nos systèmes de défense. Son financement, auquel les 15 milliards de notre budget d’équipement ne suffiraient pas, nécessite la contribution de clients étrangers. Par le fait, choisis avec discernement, ils deviennent plutôt des alliés et pour le moins acceptent une relative tutelle assortie d’une coopération militaire et parfois industrielle.
Par ses exportations d’armements, la France peut consolider des alliances stratégiques et peser sur certains équilibres mondiaux ; elle dispose d’un puissant levier diplomatique. À titre d’exemple, ses partenariats avec l’Australie pour les sous-marins ou avec l’Inde pour les avions Rafale lui assurent une présence durable en Asie.
Sur ce plan, les dogmes européistes du gouvernement, qui exigent à tout prix une coopération sur nos programmes, nous nuisent. On explique même chez Dassault, politiquement correct, que le successeur du Rafale sera européen ou ne sera pas ! Ce n’est qu'un mythe fondé sur une idéologie et non sur des réalité techniques, financières ou industrielles. Pour mémoire, le développement national du Rafale a coûté 9 milliards ; en coopération, celui de son concurrent européen a coûté le double pour un résultat très inférieur, une évidence liée à la lourdeur des processus de décision collégiale et de partage industriel. Une coopération ne paie que si elle s’appuie sur des raisons opérationnelles et techniques sérieuses, c’est le plus souvent une entente bilatérale avec parrainage politique où la question des licences n’est pas la moindre.
L’exportation d’armement est un acte économique certes, mais éminemment stratégique et diplomatique, où il convient de conserver son indépendance.
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