Journaliste, Romain Migus est le fondateur du site francophone d’information sur l’Amérique Latine, www.les2rives.info.

Qui combat au Venezuela, par Romain Migus

Qui combat au Venezuela, par Romain Migus© Marcelo GARCIA / Venezuelan Presidency Source: AFP
Le président vénézuélien, Nicolas Maduro, et le ministre de la Défense, Vladimir Padrino, à Caracas le 3 juin 2019 (image d'illustration).
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Dans la troisième partie de son analyse de la crise au Venezuela, le journaliste Romain Migus se penche sur le rôle et l'influence que peuvent avoir au sein du pays les bandes criminelles qui font régner la terreur dans les zones qu'elles contrôlent.

Le storytelling occidental laisse entrevoir la situation au Venezuela comme un conflit interne où s’opposent deux armées, deux légitimités, deux présidents. D’un coté, les «défenseurs de la démocratie» de l’autre, les tenants de la «dictature maduriste», défendue par une armée en lambeaux et une garde prétorienne russo-cubaine. Ce récit médiatique permet de passer sous silence la robustesse des forces armées bolivariennes et le soutien non négligeable dont bénéficie le chavisme au sein de la population. Qui plus est, il élude complètement les enjeux géopolitiques et les ingérences prédatrices des Etats-Unis et de leurs complices internationaux.

C’est dans cette optique qu’il convient de présenter une armée composée de vénézuéliens. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil caribéen où d’anciens membres des forces de sécurité publique et de défense ont déjà pris les armes contre leur Patrie. Depuis l’accession au pouvoir d’Hugo Chavez en 1999, l’histoire de la révolution bolivarienne a toujours été ponctuée de défections et de complots militaires. Du coup d’Etat d’avril 2002 à celui du 30 avril 2019, en passant par celui de l’ancien colonel Palomo (2019), ou encore par les conspirations des généraux Baduel (2007) ou Rodrigues Torres (2018), par l’Opération Jericho (2015) ou par les actes terroristes perpétrés par d’anciens militaires (2003), et par le commando de l’ancien policier Oscar Perez (2017), il a toujours existé – et existe encore certainement- des militaires et des policiers prêts à en découdre avec le pouvoir légitime du Venezuela.

S’il est évident que les déserteurs, même peu nombreux, constitueront le cœur visible de cette force militaire, ils auront certainement, de par leur expérience de combat, la tâche d’encadrer et de former des civils qui les rejoindront une fois démarré le tragique engrenage de la guerre.

A la différence de la guerre en Syrie et de son Armée Syrienne Libre, il n’existe pas au Venezuela de conflits interethniques, interreligieux ou régionaux significatifs qui puissent servir de catalyseurs dans la création d’une armée «rebelle». En revanche, d’autres dimensions – politiques, identitaires, émotionnelles – ne manqueront pas d’être mises à profit pour grossir les troupes de cette armée de l’ombre. La polarisation politique, la construction dans le temps d’une véritable identité chaviste et de son corollaire contrerévolutionnaire, les visions du monde qui en découlent, les sentiments de haine savamment entretenus par un appareil médiatique aux mains des groupes privés, la perte certaine d’une qualité de vie – acquise durant les premières années de la révolution bolivarienne – due au blocus économique et aux multiples sabotages des services publics, devraient certainement avoir pour conséquence d’attirer de nombreux civils vénézuéliens dans une aventure guerrière. Sans compter sur ceux à qui on ne laissera pas le choix, et où le refus de combattre dans une zone contrôlée par l’opposition pourrait s’apparenter à une complicité avec le pouvoir légitime chaviste.

Déserteurs et civils

Nous avons pu avoir un rapide aperçu de ce type de mobilisations durant les guarimbas, ces épisodes insurrectionnels qu’a connus le Venezuela au cours des années 2014 et 2017. Nous reviendrons plus loin sur ces évènements, car à la lumière des faits récents, l’analyse des guarimbas acquiert une nouvelle dimension.

Ces combattants vénézuéliens recevront sans aucun doute l’appui de certains de leurs compatriotes : les bandes criminelles qui luttent déjà contre l’Etat pour le contrôle de couloirs stratégiques.

Si le noms d’El Picure, du Tren de Aragua, d’El Coporo, El Topo ou encore de la Guardia Territorial Pemon ne doivent pas dire grand'chose à nos lecteurs, ils s’agit pourtant de quelques unes des bandes criminelles qui opèrent – ou ont opéré – sur le territoire vénézuélien. Ces bandes armées se livrent à la vente de stupéfiants, au racket, aux kidnappings, ainsi qu’aux meurtres à gages. Mais surtout, elles effectuent un strict contrôle territorial et font régner la terreur dans les zones qu’elles contrôlent.

Ces organisations criminelles sont principalement installées dans les régions centrales du Venezuela (Aragua, Carabobo, Guárico), dans certains quartiers populaires des grandes villes, et dans le riche Etat du Bolivar, situé à la frontière brésilienne. 

Les Etats de Guárico, Aragua et Carabobo sont les zones territoriales où transitent la plupart des marchandises produites au Venezuela et de nombreux biens importés soit depuis la Colombie, soit par voie maritime via le port de Puerto Cabello, situé dans l’Etat de Carabobo.

Par ailleurs, la présence de ces bandes criminelles dans ces Etats centraux leur confère une position stratégique sur les couloirs par lesquels s’achemine la drogue provenant de Colombie et destinés à sa revente au Venezuela. Par ce commerce illégal, les bandes criminelles vénézuéliennes entrent d’ailleurs en relation avec les narco-paramilitaires colombiens, un autre acteur de cette armée de l’ombre.

Il en est de même dans l’Etat du Bolivar, frontalier avec le Brésil. Le contrôle de ce territoire est stratégique en raison de sa richesse exceptionnelle en minerais mais aussi en production d’énergie. On y trouve les deuxièmes réserves d’or au monde, ainsi que la ceinture pétrolifère riche en hydrocarbure. Ajoutons à cela que les sous-sols regorgent de bauxite, de coltan, de thorium, de fer et d’autres minerais essentiels. L’Etat du Bolivar détient aussi 82% des réserves d’eau douce superficielles du pays, grâce notamment au fleuve de l’Orénoque (le deuxième plus important d’Amérique Latine après l’Amazone) et de son affluent principal la rivière Caroni. C’est sur cette dernière que sont construits les trois barrages qui alimentent à 70% le Venezuela en électricité. L’Etat du Bolivar a de quoi attiser les appétits prédateurs, tant de la puissance impériale que de la pègre locale.

Plusieurs groupes armés prétendent d’ailleurs s’arroger le contrôle de ce territoire, et se battent déjà contre l’Etat vénézuélien, pas disposé à laisser ces bandes criminelles se livrer au trafic d’or et d’autres minerais, au racket ou aux enlèvements.

Enfin, les organisations mafieuses des grandes villes, qui s’adonnent principalement à la distribution de la drogue, à la prostitution, au trafic d’armes, au vol de voitures et autres délits. Comme leurs «collègues» des champs, les malfrats des villes sont fortement installés dans certains quartiers populaires, les transformant en zone de «leur droit». Lorsque la structure pyramidale d’une bande criminelle est déployée dans un barrio, le contrôle territorial est total, et la police locale repoussée hors du territoire. A Caracas, des bandes criminelles ont ainsi gagné le contrôle de certaines zones dans les barrios de Jose Felix Ribas, de la Cota 905, de Boquerón, del Valle et del Cementerio. De par leurs implantations dans les quartiers périphériques populaires, les bandes criminelles exercent ainsi un contrôle sur les voies d’entrée et de sortie des grandes villes, ainsi que sur certaines zones stratégiques à l’intérieur de métropoles.

Implication des bandes criminelles vénézuéliennes

Ces groupes criminels constituent un bataillon de réserve de poids, qui ne manquera pas de venir grossir les rangs de cette armée de l’ombre qui s’apprête à déferler sur le Venezuela. D’une part, elle est déjà en guerre avec l’Etat vénézuélien. Ce dernier ne se résout pas, à l’inverse de son voisin colombien, à céder des portions de son territoire. D’autre part, les autorités vénézuéliennes ont maintes fois dénoncé les liens qui unissent l’opposition politique à certaines bandes criminelles.

Lors des épisodes insurrectionnels des guarimbas, en 2014 et 2017, les barricades les plus exposées sont constituées par ces délinquants, qui n’hésitent pas à racketter tous ceux qui veulent franchir leurs barricades pour aller travailler ou rentrer chez eux.

Les bandes criminelles sont un des acteurs de la guerre qui vient. Leur présence dans les régions centrales et dans le bassin minier en font des alliés militaires de poids pour couper l’Etat vénézuélien de la gestion de ses richesses, et empêcher l’approvisionnement des grandes villes. La présence de membres de ces organisations dans les coups d’éclats les plus violents de l’opposition montre que certains comptent déjà sur leur collaboration, leurs troupes et leur arsenal pour renforcer la lutte militaire contre le gouvernement bolivarien.

Militaires déserteurs, militants de l’opposition, citoyen lambda pris entre deux feux, membres de la pègre… Il existe un vivier important de vénézuéliens prêts à en découdre militairement avec le pouvoir légitime de Nicolas Maduro. Ils constituent la force de frappe vénézuélienne des troupes de l’opposition, celle qui permettra de construire l’image d’un conflit interne que seule une ingérence étrangère pourrait arrêter. A cette façade vénézuélienne ne manqueront pas de s’ajouter de nombreux éléments étrangers, disposés à semer le chaos dans le pays bolivarien.

Lire aussi : Venezuela : attention aux sources d'information !

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