Fichiers de police, capacité d’expulsion des terroristes étrangers : ces deux dispositifs sont entre les mains l’Etat. Mais pour le criminologue et essayiste Xavier Raufer, ce dernier doit au préalable savoir décider.
L'appareil d'Etat français dispose de nombre de fichiers administratifs judiciaires ou de renseignement, voués à cibler et suivre tous types de criminels, terroristes, escrocs, aliénés, etc. En vrac : STIC (système de traitement des infractions constatées), Fichier des personnes recherchées (FPR) dont les «fiches S» sont une subdivision ; Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ; Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT), etc. Répondant à divers besoins, gérés par maintes instances du continuum régalien de l'Etat, ces fichiers lui donnent la cruciale profondeur stratégique en matière de menaces et permettent le suivi d'individus problématiques ou dangereux.
Or ces fichiers sont immenses : FPR, environ 400 000 individus, fiches S, 25 000, dont un peu moins de 10 000 pour les djihadis-salafis, FSPRT, environ 20 000, etc. Ils sont aussi complexes : les fiches S comportent 16 catégories, pour autant de profils. Ainsi, le récent terroriste de Strasbourg, Cherif Chekatt, était-il fiché S11 (surveillance basse).
Le premier danger est donc ici de retomber dans un travers ainsi décrit, vers 1968, par des humoristes : «La France compte 20 000 gauchistes, dont 100 000 fichés par la police.»
De plus, ceux qui garnissent ces fichiers retiennent souvent d'impalpables critères de sélection, comme la radicalisation qui, dans la tête d'un individu, va du raptus sans lendemain à l'engagement d'une vie.
Il est donc délicat de décider du sort d'un individu ciblé sur la seule inscription, plus ou moins durable, dans un fichier visant d'abord à la surveillance et l'alerte, et moins ou pas du tout, à évaluer une dangerosité. Admettons cependant que le criblage fin de tous ces fichiers révèle un socle récurrent de quelques milliers de fanatiques résolus et dangereux. Qu'en faire ? Deux cas de figure : ils sont Français, ou étrangers.
Pour les étrangers, l'expulsion se peut, s'il y a «menace grave pour l'ordre public». A fortiori, «très grave». L'expulsion s'opère alors au cas par cas, et exige des preuves. Le terroriste agissant en réseau avec, par exemple, le Moyen-Orient, peut être aussi jugé en Cour d'assises pour «intelligence avec l'ennemi». Car bien sûr, le terroriste du terrain préparant un attentat, informe son état-major (disons, al-Qaïda ou l'Etat-islamique) situé dans la zone des combats Irak-Syrie. Ou, si le terroriste est dans l'action directe, on peut le juger pour «association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes». Mais à titre symbolique, l'intelligence avec l'ennemi est plus redoutable et inquiétante pour le terroriste putatif. Avec l'état d'urgence, elle exprime le conflit grave, lors duquel l'Etat frappe fort et frappe large.
L'obstacle crucial en matière de lutte antiterroriste : la timidité des dirigeants de la France
#Strasbourg : l'aveu d'impuissance des autorités face aux loups solitaires
— RT France (@RTenfrancais) 14 décembre 2018
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Deux obstacles en tout cas :
- Ces divers processus sont lents et complexes ; certains comme la Cour d'assises, hors de prix. Un haut magistrat a récemment révélé au signataire qu'un procès d'assises coûtait en moyenne 600 000 euros. Ainsi, la France a expulsé vingt fanatiques étrangers-dangereux en 2018. Peut-être irait-on jusqu'à une centaine, mais des milliers, sûrement pas dans le présent système judiciaire, inadapté et impécunieux.
- La justice française vit mal le collectif. Depuis un demi-siècle, la France affronte des criminalités collectives : terrorisme, crime organisé, mais la justice française s'adapte mal à ces nouvelles formes d'hostilité, de prédation ou de conflit «à basse intensité». Faute de moyens sans doute, mais aussi, de culture criminologique et d'expérience de l'international. Exemple: au fil des ans, le signataire a fréquenté maintes conférences internationales sur le crime organisé, le terrorisme, etc. Or il n'y a croisé qu'une seule fois, un magistrat français s'exprimant couramment en anglais – ou toute autre langue étrangère.
Venons en à l'obstacle crucial en matière de lutte antiterroriste : la timidité des dirigeants de la France. Depuis Charlie-Hebdo et l'Hyper casher, on a vu des gouvernants tétanisés multiplier les actes symboliques, des rites de deuil collectif à l'empilage de lois nouvelles pas toujours utiles. Et hésiter ou renoncer, par bienséance, «antiracisme» mal placé, etc., à prendre des décisions fortes, voire brutales, prouvant à l'ennemi – car ennemi il y a bien – qu'on a fini de rire et que désormais, les coups lâchés font mal.
La lâcheté politique s'exprime toujours ainsi : il faut attendre, attendre encore et toujours... il manque un rapport, un article de loi... Tel dispositif est imparfait... Attendre donc, jusqu'au parfait polissage du dernier bouton de guêtre. Or bien sûr, là n'est pas la bonne voie. Mao Zedong, bourreau de son peuple mais grand seigneur de la guerre, a ouvert en la matière deux voies fécondes, ainsi exprimées «Se lancer dans la guérilla pour apprendre à faire la guerre» et «Oser lutter, oser vaincre».
Cibler efficacement les Mohamed Merah et Chérif Chekatt en temps utile tient à un mot : décider
Partant de là, on peut sidérer l'ennemi, lui ravir l'initiative, le refouler hors des frontières. Faire jouer à ses dépens le ressort ultime de toute entreprise criminelle, mafieuse ou terroriste : l'effet de déplacement. Quand les braqueurs trouvent les banques trop blindées, ils ne filent pas s'inscrire à Pôle-emploi mais ciblent les supermarchés – ou les particuliers à domicile. Quand les terroristes se brûlent par trop les doigts en touchant à la France, ils ciblent un autre pays – car cette guerre-là est planétaire et donc, frapper les infidèles ici ou ailleurs, peu importe au fond.
C'est ainsi que, de 2015 à 2018, domine le sentiment que l'obstacle majeur sur la voie de la victoire contre le terrorisme est l'absence de décision politique forte. Or décider est l'essence même du politique.
Alors : expulser des fichés S, ou toute autre catégorie de fanatiques dangereux ? Chasser de France des terroristes, leurs relais logistiques ou propagandistes ? Cibler efficacement les Mohamed Merah et Chérif Chekatt en temps utile – c'est à dire, avant le bain de sang ? Bien sûr ; cela tient à un mot : décider.
Ici, pour conclure, le rappel philosophique de ce que la décision a de redoutable - surtout pour qui l'élude : «Les décisions ne s'obtiennent pas du fait de discourir à leur sujet, mais du fait qu'est créée une situation et que sont appliquées des dispositions, au sein desquelles la décision est inéluctable et où toute tentative pour l'éluder revient en fait à la décision la plus grave.» (Martin Heidegger)
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