Le scrutin régional bavarois du 14 octobre affaiblit la grande coalition au pouvoir à Berlin. Indirectement, ce résultat liquide définitivement les ambitions élyséennes de relancer l’UE, estime Pierre Lévy, rédacteur en chef de Ruptures.
Une débâcle annoncée et une humiliation spectaculaire. C’est ainsi qu’on pourrait caractériser respectivement les scores des chrétiens-sociaux (CSU) et des sociaux-démocrates (SPD) lors des élections du 14 octobre dans le Land de Bavière, le plus grand et le deuxième plus peuplé (13 millions d’habitants) de la République fédérale.
Attendu avec fébrilité depuis des mois, ce scrutin régional, qui a mobilisé 72% des électeurs contre 63,6% en octobre 2013, faisait figure de test pour le paysage politique national allemand. Il sera suivi d’un autre en Hesse (Wiesbaden, Francfort…) le 28 octobre, qui pourrait bien confirmer les tendances bavaroises.
Avec 37,4% des suffrages, la CSU perd pas moins de 10,3 points par rapport à son score d’il y a cinq ans. Parti frère de la CDU (chrétien-démocrate) d’Angela Merkel, cette formation régnait sans partage sur le Conseil régional depuis plus d’un demi-siècle, à la seule exception de la période 2008-2013, où elle avait dû faire appel aux Libéraux (FDP) pour disposer d’une majorité absolue. Mais en 2008, la CSU obtenait encore 43,4% des suffrages dans cette région réputée à la fois prospère et conservatrice.
Sentant venir la défaite, les dirigeants de la CSU, à commencer par le ministre-président sortant, Markus Söder, avaient tenté, pendant l’été, de copier les thèmes du parti nouveau venu, Alternative pour l’Allemagne (AfD, étiqueté «extrême droite» par la presse dominante), notamment ses exigences de durcir les conditions d’immigration et d’expulser les migrants illégaux.
Le président de la CSU et ancien ministre-président, Horst Seehofer, devenu au printemps ministre fédéral de l’Intérieur, a joué un rôle marquant à cet égard, risquant même (ou faisant mine de risquer) un éclatement du gouvernement dirigé par Angela Merkel, dont il est en principe l’allié.
#Allemagne 🇩🇪 : opposé à la politique migratoire de #Merkel, #Seehofer menace de démissionner#international#Europe#migrants
— RT France (@RTenfrancais) 2 juillet 2018
➡️https://t.co/cPMuhD1nIspic.twitter.com/pGNqrkDZq2
Horst Seehofer s’était efforcé de se démarquer de cette dernière qui avait ouvert en grand les portes aux réfugiés en 2015 : plus d’un million de migrants étaient arrivés dans le pays en moins d’un an, à la grande satisfaction du patronat allemand.
Las, en Bavière, les enquêtes d’opinion ont laissé à penser que cette tactique de distanciation n’était guère payante. Markus Söder et ses amis ont donc opéré un virage depuis quelques semaines en insistant plutôt sur la «stabilité» que seule la CSU était à même d’apporter à la Bavière, visant implicitement l’AfD. Ces zigzags ont fait perdre à la CSU des voix sur les deux tableaux.
Tout d’abord, l’AfD fait une entrée fracassante au Landtag avec 10,4% des voix. Incontestablement, sa campagne dénonçant l’immigration de masse a réussi à débaucher nombre d’électeurs CSU (notamment) qui n’ont toujours pas digéré le slogan inventé en 2015 par Angela Merkel face aux difficultés considérables qu’allait provoquer la vague migratoire : «Nous y arriverons.» Sur le plan national, l’AfD est créditée de 15% par les derniers sondages.
Seule consolation pour la CDU : le SPD subit une déculottée encore plus brutale que prévu.
Les Verts constituent l’autre grand gagnant du scrutin : avec 17,8%, ils doublent presque leur score de 2013. Ce succès résulte pour une part de l’effet «repoussoir», vis-à-vis de la partie «modérée» de l’électorat conservateur, de la campagne anti-migration de la CSU. Ces électeurs ont jugé que ce discours n’était guère conforme aux valeurs chrétiennes, et se sont reportés sur la formation écologiste avec d’autant moins de peine que celle-ci s’est depuis longtemps «embourgeoisée», tant dans sa composition sociale que dans son programme. Les Verts gouvernent d’ailleurs avec la CDU dans plusieurs Länder.
Seule consolation pour la CDU : le SPD subit une déculottée encore plus brutale que prévu. Avec 9,4%, il dégringole de… 11,2 points par rapport à 2013.
Pour sa part, la formation bavaroise «Les électeurs libres», idéologiquement proche de la CSU mais non plombée par la politique du gouvernement fédéral, grimpe à 11,8% (contre 9%). De leur côté, les Libéraux progressent de 1,7 point et franchissent de justesse la barre des 5%, ce qui leur permet de revenir au sein de l’assemblée régionale. Enfin, Die Linke (traditionnellement étiquetée «gauche radicale»), obtient 3,2% (+ 1,1 point).
A noter que selon les sondages au sortir des isoloirs, deux partis recueillent, chez les ouvriers, un score très différent de leur résultat moyen : les Verts n’obtiennent les faveurs que de 11% de ceux-ci (contre 17,9% tous électeurs confondus) ; et l’AfD séduit 18% des ouvriers (contre 10,6%).
Ebranlés par le scrutin, Horst Seehofer et Markus Söder [...] n’ont pas tardé à attribuer leur défaite à la politique nationale de la chancelière
Les conséquences prévisibles du vote devraient se concrétiser à trois niveaux. Tout d’abord, bien sûr, au niveau du Land, avec une CSU contrainte de trouver un, voire deux partenaires pour former une coalition. Les Electeurs libres vont être sollicités, de même probablement que les Libéraux.
Ebranlés par le scrutin, Horst Seehofer et Markus Söder n’ont pas tardé à attribuer leur défaite à la politique nationale de la chancelière. Le président du Bundestag, Wolfgang Schäuble, qui fut ministre des Finances d'Angela Merkel et reste un poids lourd de la CDU, a du reste perfidement pronostiqué que ces élections régionales et les suivantes «affecteront la politique nationale et en conséquence la réputation de la chancelière».
De fait, la coalition à trois – CDU, CSU, SPD – qui avait été mise sur pied dans la douleur six mois après les élections de septembre 2017, sort encore un peu plus affaiblie du verdict bavarois : la CSU chute, la politique de la chancelière, patronne de la CDU, est largement en cause, et le SPD est humilié. Au point que les voix qui, au sein de ce dernier, réclament une sortie de la majorité se font à nouveau entendre. La décision de reconduire la précédente «grande coalition» avait déjà été loin de faire l’unanimité parmi les sociaux-démocrates, et ceux qui décrivaient ce choix comme suicidaire sont aujourd’hui confortés.
A l’intérieur de son propre parti, certains se préparent déjà à détrôner Angela Merkel.
Il serait évidemment hasardeux de prédire la chute d’Angela Merkel à très court terme. Mais la vie politique à Berlin va être désormais rythmée par les rumeurs récurrentes d’éclatement de la coalition, voire d’élections anticipées (que l’AfD n’a pas tardé à réclamer), donnant ainsi raison à ceux qui prétendaient que la chancelière avait entamé le «mandat de trop». A l’intérieur de son propre parti, certains se préparent déjà à la détrôner, et l’échec parlementaire interne qu’elle a subi récemment (ses députés se sont choisi un autre président que le sortant qu’elle soutenait) n’a fait qu’aviver ces ambitions.
Un départ de la chancelière ne serait pas qu’un changement d’homme, mais marquerait un tournant politique piloté par les «durs» de la CDU qui souhaitent réorienter celle-ci vers un conservatisme sociétal, mais surtout une vers une plus grande orthodoxie économique et une orientation plus «nationalo-centrée» dans les rapports avec l’UE.
Exactement le contraire de l’évolution qu’espérait Emmanuel Macron il y a un an. Le rêve élyséen était alors d’ériger le tandem franco-allemand en initiateur d’une relance de l’UE. Il est désormais définitivement forclos. Ce n’était évidemment pas l’enjeu qui était soumis aux électeurs bavarois. Mais leur verdict vient d’ajouter une étape supplémentaire à l’interminable chemin de croix que subissent les partisans de l’intégration européenne.
NB : cette analyse intègre les estimations électorales réalisées à 21:00, qui peuvent encore varier avec les chiffres définitifs.
Lire aussi : Angela Merkel trahie par ses propres troupes, au désespoir d’Emmanuel Macron
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.