Alternance inédite au Québec : l’identité sonne le glas de la souveraineté

Alternance inédite au Québec : l’identité sonne le glas de la souveraineté © MARTIN OUELLET-DIOTTE Source: AFP
François Legault, chef de file de la Coalition avenir Québec (CAQ).
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Pour la première fois, la formation Coalition avenir Québec (CAQ) menée par François Legault remporte les élections provinciales québécoises. Le géopoliticien Adlene Mohammedi revient sur le résultat de ces élections, assez mal comprises en Europe.

Les premiers commentaires relatifs à ces élections québécoises du 1er octobre étaient déconcertants : une formation «populiste» aurait réussi à évincer les libéraux, un peu comme Donald Trump aux Etats-Unis. En France, Marine Le Pen a cru devoir féliciter avec enthousiasme le nouveau Premier ministre du Québec, en rappelant sa «fermeté face au défi migratoire», mais l’intéressé, François Legault, a rapidement rejeté toute association avec le Rassemblement national français.

Non, ce n’est pas une vague populiste qui vient de déferler sur le Québec. Et ce n’est certainement pas une victoire du nationalisme québécois. Non, cette victoire écrasante de la Coalition avenir Québec (CAQ, 74 sièges sur 125) rappelle surtout les succès en France d’En Marche et d’Emmanuel Macron. C’est la victoire de l’extrême centre et du consensus néolibéral. Le parcours professionnel et politique de François Legault suffit à le montrer. Un parcours d’homme d’affaires et d’ancien ministre connu pour son «pragmatisme».

La victoire de l’extrême centre et du consensus néolibéral

Fondateur de la compagnie aérienne Transat, François Legault a commencé sa carrière politique dans le camp souverainiste, au Parti québécois (PQ), classé plutôt à gauche. Trois ans après l’échec du référendum de 1995, il entre au gouvernement comme ministre de l’Education (1998-2002), puis ministre de la Santé (2003). En 2008, il prend ses distances avec son parti et déclare qu’il serait préférable de faire campagne désormais sur des dossiers précis (l’économie, l’éducation, la santé) plutôt que sur la question nationale (la souveraineté). Il quitte la politique un an plus tard, avant de refaire surface avec une nouvelle formation politique créée avec d’autres hommes d’affaires : la CAQ. En 2012, la CAQ obtient 27% des suffrages et s’affirme comme le troisième parti du pays.

Ersatz identitaire et éviction du souverainisme

En 2012, c’est bien le Parti québécois qui remporte les élections avec 31,95% des voix et 54 sièges (sur 125). Le PQ forme alors un gouvernement minoritaire et Pauline Marois devient la première femme Premier ministre. A défaut de débat sur la souveraineté, qui est la raison d’être de ce parti, le PQ a préféré se lancer dans le projet d’une Charte des valeurs québécoises qui a surtout divisé la société autour de l’islam et des signes religieux ostentatoires. Un projet qui contribue à la défaite du PQ en 2014 et à la victoire du Parti libéral du Québec (PLQ), plus ouvert au multiculturalisme canadien. François Legault promet aujourd’hui un projet analogue.

Depuis 2012, les souverainistes du PQ ont connu une chute vertigineuse. Le PQ n’est plus aujourd’hui que la quatrième formation politique du pays avec à peine neuf sièges, derrière Québec solidaire, formation souverainiste de gauche radicale qui a réussi à obtenir 10 sièges. Ce n’est évidemment pas seulement à cette «Charte des valeurs» que ce grand parti, qui a contribué à réformer le Québec et qu’il a emmené aux portes de l’indépendance en 1995, doit sa chute. La raison est en réalité élémentaire : le Parti québécois a suivi le conseil de François Legault et a renoncé à parler de souveraineté et d’indépendance. Un parti qui a honte ou qui a peur d’aborder la question qui justifie son existence finit irrémédiablement par perdre toute crédibilité : le dernier chef du PQ voulait reporter le référendum sur l’indépendance à un mandat ultérieur, hypothèse à laquelle le résultat effarant du PQ donne un caractère hélas comique.

Quand on ne parle pas de souveraineté alors qu’on est officiellement «souverainiste» (ou qu’on l’a été, pour ce qui est de monsieur Legault), on se rabat sur l’identité. On rassure alors un peuple auquel on ne parle plus d’indépendance en lui promettant une relative «sécurité culturelle» : une «charte» ici, des tests pour limiter l’immigration là, avec l’idée de protéger «l’identité québécoise» et le français, même si Legault a déclaré récemment que les besoins du marché du travail étaient plus importants que le critère linguistique. En réalité, même sa promesse de baisser légèrement l’immigration dépend d’un rapport de force avec Ottawa, ce qui rend la stratégie de l’identité sans souveraineté audacieusement cocasse.

C’est comme si la classe politique québécoise allait à rebours de l’héritage de la «Révolution tranquille» des années 1960 et 1970. Comme si l’idée d’une nation québécoise, qui s’est forgée au moment de cette «Révolution culturelle» (à la faveur de transformations culturelles, sociales et économiques), était en train de céder la place à la notion antérieure de «Canadiens français» (une identité particulière sous souveraineté canadienne), à une vague référence identitaire sans intention politique réelle. Dans cette unique région du monde où le français est la langue des dominés, le discours souverainiste, naguère un discours de décolonisation, s’est laissé devancer par un discours de notables de province qui veulent bien rester canadiens et discuter avec l’Etat fédéral du sort de plus dominés qu’eux.

Leçons québécoises et européennes

On aurait donc tort d’imaginer en monsieur Legault le symbole d’une revanche populiste contre le libéralisme. Non, la CAQ est le symptôme d’une évolution qui se fait au détriment de l’indépendance et de la souveraineté québécoise, même si certains souverainistes désemparés ont pu voter pour elle. Nous venons d’assister à la victoire du statu quo néolibéral et fédéral mais la victoire de la CAQ n’est pas le seul résultat important de cette élection. Une formation souverainiste a réussi à réaliser un résultat historique en passant de trois à 10 sièges, passant (en nombre de sièges) devant le PQ. Il s’agit de Québec solidaire, une formation clairement inscrite à gauche. Caricaturé comme le «parti du Plateau-Mont-Royal», Québec solidaire vient de réussir une importante percée dans des villes comme Québec (ville plutôt conservatrice) ou Sherbrooke.

Cette formation de gauche a plus volontiers parlé d’indépendance que le Parti québécois, et même si le souverainisme de Québec solidaire est présenté comme un outil de progrès social (après tout, le souverainisme québécois est né à gauche), ce qui a le don d’agacer les souverainistes conservateurs (qui courent ainsi grossir les rangs de l’identitarisme incantatoire et de l’électorat de la CAQ), force est de constater qu’il est aujourd’hui le principal parti indépendantiste du pays.

Ce n’est pas en rapprochant Marine Le Pen et François Legault sur la question de l’immigration que la comparaison entre le Québec et la France doit être faite. Le point commun entre les deux paysages politiques concerne précisément la question de la souveraineté. En France, comme au Québec, la notion de souveraineté est supplantée par la ritournelle identitaire. Ceux qui parlaient hier de souveraineté nationale face à l’euro et face à l’Union européenne préfèrent aujourd’hui le thème de la sauvegarde de l’identité européenne face à l’envahisseur musulman. Comme au Québec, la gauche radicale française a l’occasion de devenir le bastion d’un souverainisme délaissé par les autres.

Nul n’a mieux décrit ce glissement de la souveraineté à l’identité que Jean Baudrillard dans un livre de 1999 : «On rêve d’être soi-même quand on n’a rien de mieux à faire. On rêve de soi et de la reconnaissance de soi quand on a perdu toute singularité. Aujourd’hui, nous ne nous battons plus pour la souveraineté ou pour la gloire, nous nous battons pour l’identité. La souveraineté était une maîtrise, l’identité n’est qu’une référence. La souveraineté était aventureuse, l’identité est liée à la sécurité (y compris aux systèmes de contrôle qui vous identifient). L’identité est cette obsession d’appropriation de l’être libéré, mais libéré sous vide, et qui ne sait plus ce qu’il est.» (L’Échange impossible, Paris, Galilée). En d’autres termes, un Québec qui est en train de perdre sa singularité a choisi de troquer son désir de maîtrise pour de vagues références.

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