Ex-haut fonctionnaire, Bruno Guigue est ancien élève de l’Ecole normale supérieure (Ulm) et de l’Ecole nationale d’administration, chercheur en philosophie politique, analyste politique et observateur de la vie internationale.

Gaza : massacre colonial pour «un jour de gloire»

Gaza : massacre colonial pour «un jour de gloire»© Ibraheem Abu Mustafa Source: Reuters
Illustration : manifestation du 15 mai à Gaza
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Si l'inauguration de l'ambassade américaine à Jérusalem a été saluée par Benjamin Netanyahou comme un «jour de gloire», l'analyste politique Bruno Guigue estime que la journée a surtout été marquée par la manifestation du caractère colonial d'Israël.

52 morts et 2 400 blessés, dont 1 200 par balles. C’est le dernier bilan de la sanglante journée du 14 mai 2018 dans la bande de Gaza. Mais pour Benjamin Netanyahou, c’est un «jour glorieux». Lors de l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem, il a remercié Donald Trump avec des trémolos dans la voix. «Quel jour glorieux ! Souvenez-vous toujours de ce moment, c’est un jour historique. C’est un grand jour pour Jérusalem et pour l’Etat d’Israël. Un jour qui restera dans nos mémoires pour des générations et des générations.» Cette journée restera dans les mémoires, en effet, mais pour ce qu’elle est vraiment : un nouveau massacre colonial.

N'hésitant pas à tirer à balles réelles sur des manifestants palestiniens désarmés, l’appareil répressif israélien s’est surpassé dans l’horreur. Où sont ses laudateurs habituels, toujours prompts à répéter le laïus officiel sur cette vertueuse armée israélienne pénétrée d’impératifs moraux et soucieuse d’épargner les civils ? On ne les entend guère, ils rasent les murs. Quand les courageux pionniers de l’idéal sioniste se livrent à un pogrom en direct, ces imposteurs fielleux et abonnés aux plateaux-télé ont la mine basse et le regard chafouin.

Mais peu importe. D’autres se mettent à l’ouvrage, bien décidés à maquiller la scène de crime. Hypocrites, les médias français prennent le relais, nous expliquant du bout des lèvres que «les tensions sont vives» et qu’il y a des «affrontements à la frontière». Quel sens de l’euphémisme ! On se demande bien, d’ailleurs, de quelle frontière il s’agit, car Israël n’en a aucune. La bande de Gaza est un morceau libéré – et assiégé – de la Palestine historique. Lorsque ses habitants veulent se rendre dans une autre région de la Palestine, ils rentrent chez eux, tout simplement. Parler de frontière, c’est faire comme si l’occupation était légale, c’est joindre le mensonge à la justification du forfait colonial.

Cette journée du 14 mai est la plus meurtrière depuis la guerre de l’été 2014 contre Gaza. Mais une fois de plus, dès qu’il s’agit de nommer l’oppression subie par les Palestiniens, les mots sont démonétisés, vidés de leur substance, frappés par une censure invisible. On connaît la rengaine : «Israël a le droit de se défendre», les colonies sont des «implantations», les résistants des «terroristes», le mur de séparation «un mur de sécurité», Israël une «démocratie», les manifestants de Gaza des «provocateurs» et des «extrémistes». Dans cette novlangue invasive, les expressions apparemment les plus anodines sont trompeuses.

Au nom de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, par exemple, appelle «toutes les parties à agir avec la plus grande retenue, afin d’éviter des pertes de vies humaines supplémentaires». On savait déjà que l’UE ne servait à rien, mais il faut avouer que cette inutilité finit par se voir de très loin. Dans le même registre, la France, elle, «appelle l’ensemble des acteurs à faire preuve de responsabilité afin de prévenir un nouvel embrasement au Proche-Orient», selon le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.

Sournoises à l’excès, ces formules laissent entendre que deux peuples s’affrontent sur le champ de bataille, alors qu’il s’agit de la révolte d’un peuple colonisé contre le colonisateur. Elles font comme si le conflit provenait d’une double intransigeance et qu’il suffisait, au fond, de ramener à la raison les forces antagonistes pour rétablir la paix. On sait ce que signifie cet angélisme de façade : il s’agit d’obtenir la reddition de ceux qui protestent contre l’occupation. D’une lutte de libération, cette rhétorique lénifiante fait une obscure querelle. Son artifice, dans le meilleur des cas, consiste à renvoyer dos-à-dos l’occupant et l’occupé, comme si les responsabilités étaient partagées.

En attendant, la débauche de violence de l’occupant fait renaître l’atmosphère sanguinaire des pires massacres coloniaux. Enracinée dans les esprits par une idéologie raciste, la diabolisation du Palestinien autorise toutes les transgressions. Des citoyens israéliens s’installent sur les miradors pour assister en direct aux tirs à balles réelles sur cibles humaines. Quel beau spectacle ! Après tout, les héros de Tsahal excellent dans leur spécialité. Flinguer des civils, hommes, femmes et enfants confondus, c’est quand même plus facile que de vaincre le Hezbollah au Sud-Liban ou d'aller chercher le combattant palestinien, à la baïonnette, dans les ruelles obscures de Gaza.

«Nos soldats défendent nos frontières», déclare Benjamin Netanyahou. Va-t-il également proclamer l’époustouflante victoire de sa vaillante armée ? Déjà, durant l’été 2014, le bombardement massif et meurtrier d’un immense camp de réfugiés était censé relever, dans la novlangue sioniste, du paradigme de la victoire militaire. Comme si le bilan de ce bain de sang perpétré à distance pouvait s’apparenter à celui d’une guerre remportée à la loyale, sur un champ de bataille, face aux soldats d’une armée digne de ce nom, l’Etat-colon se vantait de ses turpitudes. Aujourd’hui encore, comme un serial killer de série B, il se regarde dans le miroir, fasciné par sa propre image mortifère.

Lire aussi : 52 Palestiniens tués par des tirs israéliens à Gaza, les autorités accusent Israël de «massacre»

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