Rédacteur en chef du mensuel Ruptures, Pierre Lévy réagit avec ironie aux vœux à la presse prononcés le 3 janvier par le président français.
La soirée s’annonçait sous les meilleurs auspices. L’ambiance était chaleureuse et détendue, les petits fours, délicats et exquis, le président, urbain et charmeur comme à son habitude. Renouant avec la coutume des vœux à la presse, le maître de l’Elysée rencontrait, ce 3 janvier, l’élite des confrères.
Et il n’a pas déçu, se livrant à un remarquable plaidoyer pour la liberté des médias et exaltant l’intelligence des lecteurs et des internautes.
Au titre du premier thème, il n’a pas hésité à s’insurger contre l’emprise de quelques mastodontes privés sur les plus grands titres de la presse française, dénonçant sans trembler les Drahi, Bouygues, Dassault, Niel et autres oligarques : ceux-là symbolisent à ses yeux une concentration médiatique menaçant l’information libre et indépendante. Et il a promis un train de mesures visant à favoriser et renforcer le pluralisme de la presse, l’expression de toutes les sensibilités, bref, le libre débat.
Quant à son second plaidoyer, il a marqué les journalistes présents par sa hauteur de vue. Prenant implicitement ses distances avec ceux professant un contrôle étroit des médias (tout particulièrement avec un texte publié récemment appelant à suspendre la chaîne RT, ont noté les plus attentifs), il a au contraire fait valoir que le peuple français était un peuple adulte, et que les femmes et les hommes de ce pays savaient parfaitement distinguer l’information honnête des «fake news».
Ceux qui s’adonnent à la diffusion de fausses nouvelles se discréditeront eux-mêmes, a martelé en substance l’hôte des lieux. Rappelant que lui-même était issu de la génération internet – une discrète pierre jetée dans le jardin de ses prédécesseurs – il a insisté : «Je ne serai pas celui qui enserrera la liberté numérique et télévisuelle dans le carcan des surveillances et des réglementations.»
C’est sans doute cette ode au pluralisme, à la démocratie et à la conscience des citoyens que n’a pu supporter la chaîne RT. Avec une incroyable impudence, celle-ci a immédiatement retransmis des propos déformés, ou plutôt carrément inversés. Probablement sur requête personnelle de Vladimir Poutine, les scribouillards du Kremlin ont osé affirmer que le président s’apprêtait à intervenir afin que l’Etat puisse contrôler la façon dont les informations sont produites, et prétendu qu’il aurait menacé : «En cas de propagation de fausse nouvelle, il sera possible de saisir le juge afin de supprimer le contenu mis en cause, de dé-référencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné, voire de bloquer l'accès au site internet.»
Totalement parano, RT a honteusement affirmé qu’Emmanuel Macron prévoyait de «repenser les pouvoirs du régulateur pour lutter contre toute tentative de déstabilisation par des services de télévision contrôlés ou influencés par des Etats étrangers». Le CSA, toujours selon les sbires moscovites, serait à l’avenir autorisé à suspendre ou annuler toute convention de diffusion «en cas d'agissements de nature à affecter l'issue du scrutin que cela soit en période pré-électorale ou électorale».
Une telle propagation de citations totalement inventées atteint décidément des sommets. On se demande d’ailleurs comment les dirigeants de RT peuvent espérer conserver un minimum de crédibilité après avoir propagé de telles horreurs, aussi grotesques qu’absurdes.
Du reste, si de tels propos avaient réellement été tenus – hypothèse d’école, évidemment – il est certain que de nombreux journalistes présents auraient manifesté leur réprobation, voire leur indignation, tant le ton et les menaces brandies ressemblent aux propos que le président ne manque pas de mettre lui-même dans la bouche des dirigeants «illibéraux», qu’ils soient nord-coréens ou iraniens, chinois ou russes.
Le projet de loi de #Macron contre les #fakenews doit permettre de «fermer le compte utilisateur concerné, voire de bloquer l'accès au site internet»
— RT France (@RTenfrancais) 3 janvier 2018
➡️ https://t.co/72E74APPs2pic.twitter.com/CeChohg0rN
En outre, le chef de l’Etat n’aurait certainement pas pris le risque de se mettre en porte-à-faux avec Bruxelles, qui fait la chasse aux pays membres de l’UE soupçonnés de mettre en péril l’indépendance de la presse. Le très européen président français ne pouvait évidemment songer un instant à placer notre pays dans le collimateur de la si sympathique Commission européenne.
Bref, ces billevesées et coquecigrues inventées par RT n’auront trompé personne.
On attend du reste d’un instant à l’autre le démenti de l’Elysée.
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