Professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8, porte-parole du Parti de l’émancipation du peuple, Jacques Nikonoff explique pour RT France des erreurs stratégiques commises par le gouvernement grec.
Des commentateurs ont vu dans l’accord signé le 12 juillet à Bruxelles, entre l’Union européenne (UE), le Fonds monétaire international (FMI) et la Grèce, un coup d’État des premiers sur la seconde. Il n’en est rien. Pour parler de coup d’État, il aurait fallu que le gouvernement grec ait refusé de signer le moindre accord, et que l’UE et le FMI imposent malgré tout à ce pays des mesures qu’il refusait. Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé dans la nuit du 12 au 13 juillet 2015. Bien que les propositions de la Troïka, rebaptisée les «institutions» lui déplaisent fortement, et à juste titre, Alexis Tsipras, le Premier ministre, a signé, il a capitulé. Les dirigeants de l’Union européenne et du Fonds monétaire international savaient d’ailleurs très bien que la Grèce allait tout accepter, même un accord qui leur serait profondément défavorable, car deux énormes erreurs stratégiques et tactiques avaient été commises par l’équipe d’Alexis Tsipras.
La première erreur concerne le rapport de type psychanalytique ou religieux que la «gauche radicale» européenne entretien avec l’euro (Syriza en Grèce, Die Linke en Allemagne, Podemos en Espagne, Front de gauche en France, Bloc de gauche au Portugal…). La sortie de l’euro, pour ces organisations, est devenue totalement phobique, au sens d’une peur irrationnelle, ou assimilée au diable pour ceux d’entre eux qui sont croyants. Une telle attitude rend prévisibles toutes leurs actions et les place dans une position structurellement défensive. C’est ce qu’ont immédiatement compris les dirigeants des «institutions» qui ont alors agi à front renversé. Ce sont eux – ironie de l’histoire – et particulièrement Monsieur Schäuble, qui ont menacé la Grèce d’être sortie de l’euro. Comme cette idée terrifiait Monsieur Tsipras et ses amis, ils ont cédé sur toute la ligne.
Le gouvernement grec n’a jamais utilisé cette menace dans les «négociations» (un plan B). Cette menace levée, la voie était ouverte pour enfoncer la Grèce et la menacer elle-même de sortie de l’euro puisqu’elle venait de démontrer que cette perspective l’effrayait. Ne pas brandir la sortie de l’euro comme une menace a affaibli de manière décisive le gouvernement grec qui s’est privé de la seule arme de dissuasion dont il disposait. Il pouvait parfaitement dire au peuple qu'il n’avait pas reçu le mandat pour sortir de l’euro, mais que si c’était la condition pour stopper l’austérité, il faudrait en passer par là, qu'il étudierait les modalités pratiques et consulterait alors le peuple. Monsieur Schäuble, en menaçant de Grexit, avait offert aux Grecs, sur un plateau d’argent, une issue qui leur aurait permis à la fois de sauver la face et de créer les conditions du redressement du pays. Il fallait prendre au mot le ministre allemand des Finances d’autant que ce dernier proposait un «accompagnement», ce qui signifie que ce processus n’aurait pas démarré sur des bases conflictuelles. C’est une occasion unique qui a été gâchée, comme celle d’imprimer des drachmes. Le Wall Street Journal du 20 mai 2012 révélait en effet que la société De La Rue PLC, installée au Royaume-Uni, qui fait partie des quelques rares imprimeries à l’échelle mondiale autorisées à imprimer des billets de banque (150 devises) était en train de se préparer à imprimer des billets dans une nouvelle monnaie pour la Grèce au cas où le pays quitterait la zone euro. Il s’agissait d’une initiative de cette société qui n’avait reçu aucune commande de qui que ce soit. Le gouvernement grec aurait dû réponde favorablement, en expliquant qu’il n’envisageait pas de sortir de l’euro, puisque tel était le mandat qu’il avait reçu du peuple, mais que s’il n’y avait pas d’autre solution il serait contraint au Grexit. Il n’est cependant pas trop tard. Le stock de billets serait immobilisé, et servirait de menace contre les «institutions», tout en rassurant la population grecque puisque l’opération de conversion et d’introduction des drachmes, avec l’aide de l’armée et de la police, pourrait se réaliser en un week-end.
La seconde erreur a été celle du nouveau ministre des Finances, Monsieur Euclide Tsakalotos, remplaçant Yanis Varoufakis, frappé lui aussi par la phobie du Grexit. Le mercredi 8 juillet, Monsieur Tsakalotos adressait une véritable lettre de capitulation au Mécanisme européen de stabilité (MES), organisme qui gère la plus grande partie de la dette grecque. Le ministre demandait un prêt de 50 milliards d’euros, sachant qu’il ne pourrait l’obtenir qu’à la condition d’accepter un troisième mémorandum d’austérité. Cette lettre se terminait en effet par l’engagement de la Grèce à «honorer en temps et en heure l’intégralité de ses obligations financières à l’égard de tous ses créanciers». Le message à la Troïka était clair : la Grèce rentrait dans le rang. Dès lors, ce désarmement politique jetait la Grèce à terre. La Troïka comprenait le message et pouvait appuyer sans limite sur la tête des Grecs.
Les jours du gouvernement grec sont maintenant comptés, Alexis Tsipras a pris beaucoup de plomb dans l’aile. C’est pourquoi une solution de substitution est en cours avec la promotion de Yanis Varoufakis, l’ancien ministre des Finances, limogé par Alexis Tsipras pour satisfaire la Troïka. C’est un leurre. Contrairement à l’image de résistant qu’il se donne – et qu’on lui donne -, il a été de bout en bout un militant actif en faveur du maintien de la Grèce dans l’euro. Il écrit ainsi sur son blog «les Grecs, à juste titre, frissonnent à la pensée de l’amputation de l’union monétaire». Il ajoute : «Dans l’Irak occupé, l’introduction de nouvelles monnaies de papier a pris près d’un an, une vingtaine de Boeing 747 étaient affrétés, la puissance de l’armée américaine, trois entreprises d’impressions et des centaines de camions étaient mobilisés. En l’absence d’un tel soutien, Grexit serait l’équivalent de l’annonce d’une forte dévaluation de plus de 18 mois à l’avance : une recette pour liquider tout le stock de capital grec et le transférer à l’étranger». Une telle déclaration, d’une naïveté incroyable – ou par calcul politique -, ne pouvait que donner le feu vert à la Troïka pour faire avaler au gouvernement grec tout ce qu’elle voulait. C’est pourquoi les grands médias occidentaux sont en train de «fabriquer» Yanis Varoufakis, excellent accompagnateur de l’euro.
Décidément, n’est pas Charles de Gaulle ou Jean Moulin qui veut.
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