Les 100 ans de la Révolution d’Octobre : les Occidentaux plus sensibles à la nostalgie de 1917

Les 100 ans de la Révolution d’Octobre : les Occidentaux plus sensibles à la nostalgie de 1917© Alexei Danichev Source: Sputnik
Projection multimédia 1917 dans le cadre du Festival des Lumières à Saint-Pétersbourg.
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Les Occidentaux et les Russes réagissent diversement aux différents éléments du passé, du présent et de l’avenir de la Russie, probablement parce que les occidentaux la voient à travers des stéréotypes, considère le journaliste Bryan MacDonald.

La toute première fois que j’ai visité la Russie, c’était au début de l’hiver. Il n’y avait pas de vol direct depuis Dublin, ce qui signifiait que je devais passer par Riga où j’ai acheté un «bonnet fourré» en prévision du froid. Stupidement, par naïveté, j’ai pensé qu’un exemplaire muni d’un insigne orné de la faucille et du marteau sur le devant serait bien vu. Le lendemain matin en arrivant à Moscou on m’a tout de suite conseillé de le retirer «parce que tu as l’air idiot».

En y repensant, sans parler de la question contestable du goût, je frémis en pensant à la signification de cette toque en mouton. Tout cela n’était en fait qu’une première introduction vers le grand paradoxe que j’ai eu du mal à comprendre pendant de longues années. Difficile en effet de saisir à quel point les noms de rues et de monuments russes manifestent une origine essentiellement soviétique alors que les habitants sont si mitigés et souvent hostiles vis-à-vis de l’héritage de l’ex-URSS.

Par exemple, chaque ville russe que j’ai visitée a sa rue Lénine, sa place Lénine ou une statue Lénine, et la plupart d’entre elles ont les trois. Alors que les Russes en général font la moue en entendant le nom de Staline, ce dernier n’est pas non plus complètement oublié dans les prospectus touristiques de Sotchi qui vantent sa résidence estivale comme curiosité digne d’intérêt pour les visites guidées.

Ce qui est le plus important pour les Russes, l’Union Soviétique a vaincu l’Allemagne nazie en 1945, ce que beaucoup considèrent comme la plus grande gloire de leur patrie

Ce mardi voit le 100e anniversaire de la «Révolution d’Octobre» de 1917 (les Russes suivaient alors le calendrier julien), période où une insurrection armée à Saint-Pétersbourg (alors Pétrograd) vit le mouvement bolchevique de Lénine prendre le dessus sur le «gouvernement provisoire» modéré, qui avait lui-même remplacé le régime du tsar Nicolas II huit mois plus tôt seulement.

La nouvelle URSS installa sa propre élite et comme les membres de la classe supérieure tsariste presque exclusivement chrétienne et orthodoxe avaient été exécutés (comme ce fut le cas de Nicolas II et de sa famille proche) ou avaient réussi à s’exiler comme Alexandre Kerensky. Ils furent remplacés par le nouveau «Conseil des commissaires du peuple» qui était pluriethnique et représentait toutes les classes et genres. Résultat, des Russes tels que Vladimir Milioutine aux côtés d’Ukrainiens (Pavel Dybenko), de Juifs (Léon  Trotsky) et Géorgiens (Joseph Staline). Figurait aussi une femme, Alexandra Kollontai, qui aurait pu servir de caution, à un moment où les femmes ne pouvaient même pas voter dans une grande partie des pays occidentaux.

Il était pourtant risqué de faire partie du premier gouvernement de Lénine car sur les 16 choisis pour des cabinets neufs finirent exécutés par Staline, et d’autres moururent en prison.

Souvenir du chaos

C’est là que nous avons deux explications au fait que les Russes aujourd’hui ne sont pas vraiment impatients de célébrer la révolution : le bain de sang qu’elle a entraîné et la diminution de l’identité russe. Malgré la tendance occidentale à faire de l’URSS un synonyme de la Russie et de présenter les autres républiques comme des victimes. Un récit qui ignore par la suite les souffrances des Russes entre les mains de Lénine et de Staline.

Les chiffres sont impressionnants. La guerre civile en Russie qui suivit la «Révolution d’Octobre» aura été le conflit interne le plus destructeur de l’histoire avec environ 1 million et demi de soldats tués et quelques 8 millions de morts parmi les civils. Or, curieusement, les bolcheviques venaient seulement de commencer avec soit des échecs répétés ou un génocide, ou les deux, suscitant une famine désastreuse qui fit disparaître près de 7 millions de personnes, pour l’essentiel en Ukraine, en Russie, au Kazakhstan et en Biélorussie au début des années 1930. Ceci était une répétition de la famine de la région de la Volga (1921-1922) qui fit presque 5 millions de morts de faim, presque tous Russes.

Beaucoup d’Occidentaux ayant bénéficié de la liberté déniée aux citoyens soviétiques ont romancé naïvement la révolution en la voyant comme chassant les riches et aidant les pauvres. Or, la vérité est bien plus compliquée

Plus tard au milieu des années 1930, Staline lança la grande Purge qui vit l’exécution de centaines de milliers de personnes. Et on ne peut pas oublier le Goulag où près d’un million de personne moururent entre 1934 et 1953. Et ceci ne comprend pas les nombreuses vies détruites par la détention dans ces camps.

Dans des circonstances normales les Russes n’auraient probablement rien d’autre à faire que de mépriser l’héritage de la révolution. Pourtant le pays se vante aussi de certaines grandes réalisations. L’URSS a souvent ouvert la voix dans le domaine des droits de la femme et est devenu un géant industriel et une grande puissance militaire et économique. Elle a aussi créé le satellite (le Spoutnik) et lancé le premier être humain dans l’espace. Mais, ce qui est le plus important pour les Russes, l’Union Soviétique a vaincu l’Allemagne nazie en 1945, ce que beaucoup considèrent comme la plus grande gloire de leur patrie, étant donné que l’Armée Rouge était composée dans sa majorité de Russes.

Le sens de tout cela

C’est la grande aubaine émotionnelle pour les Russes de tenter de faire la quadrature du cercle autour d’une contradiction exceptionnelle. Le statut de superpuissance de l’URSS leur a donné un sentiment de fierté ; et la victoire sur l’Allemagne constitue un résultat porteur d’un sens existentiel. Pourtant les libertés étaient limitées, les familles souvent détruites, la croyance religieuse et l’individualité réprimées et la plupart du capital humain de la Russie dévasté.

Ainsi, la plupart des Russes se contentent considérer cet anniversaire avec un haussement d’épaules. Même si le président Vladimir Poutine a choisi précisément la semaine dernière pour inaugurer un mémorial en hommage aux victimes de Staline et de ses répressions.

Bien sûr, l’hésitation russe contraste avec la réaction à l’étranger. Presque tous les organes de presse occidentaux traitent le sujet et beaucoup d’institutions culturelles et universitaires ont programmé des rétrospectives et des expositions. Par exemple, la bibliothèque nationale britannique a consacré une grande partie de l’année à promouvoir un hommage intitulé «Espoir, tragédie, mythes». Finalement, la Révolution d’Octobre aura été une immense catastrophe qui a divisé le pays, qui a débouché sur une guerre civile sanglante, des assassinats de masse, des millions de personnes poussées à l’exil et la destruction de beaucoup d’institutions novatrices et scientifiques en Russie. Cependant, beaucoup d’Occidentaux ayant bénéficié de la liberté déniée aux citoyens soviétiques ont romancé naïvement la révolution en la voyant comme chassant les riches et aidant les pauvres. Or, la vérité est bien plus compliquée.

Pour conclure je céderai la parole à un collègue russe puisqu’il a grandi avec l’héritage d’un événement auquel l’Occident donne trop souvent un statut utopique alors que j’ai grandi dans une maison privée que les bolcheviques auraient confisquée en un instant.

Il y a quelques semaines, je lui ai demandé ce qu’il pensait de la révolution et il m’a répondu : «Un de mes arrière-grands-pères (tous Vieux-croyants et paysans de Sibérie) fut exécuté par une troïka du NKVD dans la banlieue d’une ville de Sibérie. Son corps fut jeté dans une fosse commune et les trois tueurs furent envoyés en prison pour 10 ans. C’est justement parce qu’ils n’aimaient pas la façon dont le secteur était dirigée par la nouvelle administration qui imposait des taxes et leur volait leur bétail. Et ça, ça me donne envie de pleurer plutôt que de célébrer ce mardi.» Et autant que je puisse voir, la plupart de ses compatriotes sont du même avis.

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