John Laughland est un universitaire britannique spécialisé en géopolitique et philosophie politique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages traduits en sept langues.

Angela Merkel, «l'illusion réconfortante» préférée à «une vérité qui dérange»

Angela Merkel, «l'illusion réconfortante» préférée à «une vérité qui dérange»© Christian Mang Source: Reuters
Une affiche électorale avec l'image d'Angela Merkel
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Angela Merkel incarne parfaitement «la médiocrité étouffante mais protectrice» qui serait la caractéristique principale de son pays, selon l'historien John Laughland.

Si la scène politique allemande était celle de la Russie, que dirait-on ? Qu'elle est dominée par une seule personnalité qui écrase toute opposition depuis douze ans, et qui désormais gouvernera pendant au moins seize ans au total ; que cette personne ne représente aucune idéologie mais incarne seulement la soif du pouvoir ; qu'elle réussit à se maintenir au pouvoir malgré une contestation interne croissante, nourrie par un sentiment que le pouvoir s'éloigne inexorablement du peuple, en multipliant les combines et en faisant de l'ambiguïté malhonnête un système de gouvernement ; que les autres partis représentés au Parlement sont des coquilles vides en réalité manipulées par ce pouvoir, avec lequel, d'ailleurs, ils entretiennent d'excellentes relations, souvent gouvernant ensemble avec celui-ci ; et que la percée d'un vrai parti d'opposition est un bon signe, une bouffée d'oxygène pour un système politique à l'agonie.

Il est évident que tout cela ne se dit pas à propos de l'Allemagne. Au lieu de dénoncer les autres partis allemands comme des faux partis, comme on fait souvent à propos des partis russes, on les classe tous confondus dans la catégorie des partenaires acceptables, qu'ils soient de droite comme les libéraux du FDP ou de gauche comme les Verts. Au lieu d'applaudir la percée d'un vrai parti d'opposition – la Parti social-démocrate ayant gouverné en coalition avec les Chrétiens démocrates de madame Merkel pendant huit ans, il ne peut plus prétendre à cette étiquette – comme les bien-pensants feraient si, par miracle, Alexeï Navalny remportait un succès électorale, la communauté des commentateurs déplore l'entrée au Bundestag de l'Alternative für Deutschland. Elle se sert pêle-mêle de toute arnaque linguistique possible (par exemple: «le premier parti nationaliste depuis 70 ans») pour mettre ce parti dans le même sac que les nazis. 

C'est donc le phénomène national qui surgit en Allemagne

Surtout, les commentateurs ne retiennent pas la leçon qui s'impose à tout observateur de la politique des pays européens: que les partis de droite perdent leur soutien à chaque fois qu'ils cessent d'incarner une politique de droite. Nous l'avons vu avec éclat pendant l'élection présidentielle française : il n'est pas excessif de voir aussi dans l'échec de Marine Le Pen l'incorporation dans son programme traditionnel d'options économiques plutôt marquées à gauche.

Si on remonte un peu plus loin dans l'histoire, le succès du Brexit et, avant 2016, du parti eurosceptique Ukip aux élections européennes, s'explique par le libéralisme, l'européisme affiché du Premier ministre conservateur, David Cameron.

En Allemagne, traditionnellement, le parti bavarois, le CSU, remplissait le rôle d'aspirateur des voix de droite. Le Premier ministre bavarois emblématique des années 1980, Franz-Josef Strauss, avait pour principe politique de ne jamais avoir de rival à droite. Ce principe est depuis longtemps abandonné par madame Merkel, qui avait pris «le Centre» (Die Mitte) pour slogan principal de son parti. Pour enfoncer le clou, en juin, madame Merkel avait subitement autorisé un vote sur le mariage homosexuel : celui-ci a été approuvé, sans aucune préparation ou consultation préalable de l'opinion publique, et après un débat dérisoire d'à peine une heure au Bundestag. Le double jeu de madame Merkel, qui a adressé un clin d’œil à la gauche en permettant un vote sur le mariage homo, puis voté contre pour rassurer son électorat,  ne fait que souligner son cynisme.

De même, l'actuel premier ministre bavarois, Horst Seehofer, qui essaie depuis quelques années de soutenir madame Merkel, mais sans le dire trop ouvertement car sa politique migratoire est très contestée en Bavière, a subi un débâcle catastrophique : avec seulement 38% des voix, son parti, le CSU, qui règne sans partage sur la Bavière presque sans interruption depuis soixante-dix ans, paie cher son abandon de sa politique droitière naturelle. Inutile de souligner que le score du Parti social-démocrate, le plus mauvais de son histoire, est le résultat inévitable de son alignement inconditionnel sur l'Union européenne, traditionnellement plutôt identifiée avec les Chrétiens démocrates.

C'est donc le phénomène national qui surgit en Allemagne, après une longue absence, mais suivant les modèles britannique, français, polonais, autrichien, tchèque et hongrois où les partis nationalistes ont tous un poids considérable, parfois décisif, dans le gouvernement. Bref, l'Allemagne devient exactement comme tous ses partenaires et voisins géographiques. La persistance du fait national est d'autant plus frappant quand on regarde la géographie du scrutin : l'AfD est le deuxième parti en Allemagne orientale (22,5% contre 28,2% pour le CDU), où il est la première force politique parmi les électeurs de sexe masculin. Il n'est pas excessif d'en tirer une leçon générale: dans la partie anciennement communiste de l'Europe centrale (Allemagne de l'Est, Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie) les électeurs sont plus à l'aise avec le patriotisme, et moins enclins à se plier devant le politiquement correct des élites que ne le sont les Européens de l'Ouest. Plus on va à l'Est, moins les sociétés européennes sont libérales.

Le départ de madame Petry souligne combien il est difficile pour les forces de l'opposition de vaincre

Fait désolant: à peine l'AfD couronné de succès que ses divisions internes ont éclaté au grand jour. Frauke Petry, la présidente du Parti et son visage sympathique, a démissionné, annonçant abruptement son départ devant ses collègues atterrés à la conférence de presse post-électorale du 25 septembre avant de quitter la salle. A la différence du parti britannique Ukip, l'AfD n'est pas tenu par une seule personnalité : il peut donc survivre à cette désertion en pleine bataille d'un des ses généraux. Mais le départ de madame Petry, qu'elle justifiait par la frustration devant l'impossibilité de créer un parti de gouvernement, souligne combien il est difficile pour les forces de l'opposition de vaincre dans un système, comme celui de l'Allemagne, où tout est fait pour les marginaliser. Avec seulement 12% ou 13% de l'électorat, on ne peut aucunement gouverner un pays, pas plus qu'avec les 30% qu'a récolté Marine Le Pen en France. Le système des coalitions, si cher aux Allemands, exclura l'AfD pour toujours, tout comme le même système exclut le Parti de la Liberté aux Pays-Bas.

Voilà pourquoi il faut conclure, après avoir fait le constat de cette évolution dans la politique allemande, que madame Merkel continuera à gouverner pendant quatre ans encore, poursuivant sans aucun doute la même politique qu'avant – c'est-à-dire la sienne. Cette femme, qui a grandi en Allemagne de l'Est, fera comme les deux présidents qu'elle a connus, Walter Ulbricht, le dirigeant de la RDA pendant 21 ans, et son successeur, Erich Honecker, le dirigeant pendant 17 ans, qui sous un emballage idéologique ont en réalité construit des systèmes de pouvoir hautement personnels. Il en est de même pour son mentor et parrain, Helmut Kohl, qui est resté au pouvoir pendant 16 ans. Les Allemands, comme d'autres peuples, aiment être rassurés : ils préfèrent une illusion réconfortante à une vérité qui dérange. Madame Merkel, dont le surnom est «Maman», incarne avec perfection cette médiocrité étouffante mais protectrice qui est la caractéristique principale de son pays. Les chiens de l'AfD peuvent aboyer autant qu'ils veulent: la caravane passera.

Lire aussi : Le meilleur comme le pire des affiches de la campagne électorale en Allemagne

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