En menaçant le Venezuela d'une intervention militaire, Donald Trump ne fait que donner des gages à l'opposition de droite dans le pays et aux «néocons» nord-américains, estime l'analyste politique Bruno Guigue.
RT France : Donald Trump évoque une possible intervention militaire au Venezuela... une «folie» selon Caracas. Est-ce à vos yeux une véritable possibilité ?
Bruno Guigue (B. G.) : Honnêtement, je n'y crois guère dans les circonstances actuelles. L'élection de l'Assemblée constituante, le 30 juillet, fut un succès pour le mouvement chaviste et pour la démocratie vénézuélienne. Avec 8,1 millions de votants et un taux de participation de 41,5%, c'est l'un des meilleurs résultats électoraux enregistrés par la révolution bolivarienne. De plus, la plupart des Etats de la région ont critiqué cette déclaration intempestive. En menaçant ce pays souverain d'une intervention militaire, Donald Trump rame à contre-courant dans le seul but de donner des gages à l'opposition de droite dans le pays et aux «néocons» [néo-conservateurs] nord-américains. C'est probablement de l’esbroufe.
L'opposition soutenue par Washington n'a pas baissé les bras, mais elle est obligée d'admettre qu'elle a politiquement perdu la partie pour le moment
RT France : la classe politique française est partagée dans son appréciation de ce qui se passe au Venezuela. Comment interprétez-vous ces événements ?
B. G. : Il y a deux aspects essentiels dans cette crise, et la majorité des commentateurs se gardent bien de faire le lien entre les deux. Le Venezuela, d'abord, traverse une crise politique à laquelle l'élection réussie de l'Assemblée constituante a provisoirement mis un terme. L'opposition soutenue par Washington n'a pas baissé les bras, mais elle est obligée d'admettre qu'elle a politiquement perdu la partie pour le moment. Mais il y a aussi une crise économique, qui n'est pas près d'être résolue à court terme, et sur laquelle les ennemis intérieurs et extérieurs de la révolution bolivarienne comptent pour saper sa légitimité. Cette crise, en effet, est délibérément entretenue par une partie des élites économiques. La bourgeoisie importatrice utilise ses dollars pour importer des produits de luxe tout en organisant la pénurie (relative) des biens de première nécessité. Ce sabotage est une forme de guerre économique contre les classes populaires et un instrument de déstabilisation du pouvoir légitime. C'est extrêmement préoccupant. On se souvient que la même méthode fut appliquée contre le gouvernement de Salvador Allende, au Chili, en 1973.
En Amérique latine, chacun se souvient du rôle joué par Washington dans l'instauration des pires tyrannies qu'a connues le continent
RT France : le président vénézuélien Nicolas Maduro est souvent qualifié de dictateur par les autorités américaines. Il est mis au même rang que le leader nord-coréen et le président syrien. Cela vous paraît-il justifié ?
B. G. : Cette accusation est grotesque. Comment peut-on qualifier de dictateur un chef d'Etat élu démocratiquement, qui invite le peuple à élire une Assemblée constituante ? Depuis la première élection de Hugo Chavez en 1998, il y a eu 19 élections au Venezuela ! Ce qui frappe, historiquement, c'est plutôt la patience et la retenue du pouvoir légitime à l'égard des tentatives répétées de coup d'Etat, de sabotage et de déstabilisation orchestrées par une opposition réactionnaire qui ne pardonne pas au chavisme d'avoir soustrait la rente pétrolière à la bourgeoisie comprador [bourgeoisie autochtone enrichie dans le commerce avec les étrangers] pour la redistribuer aux couches populaires. Venant des Etats-Unis, cette accusation de dictature ne mériterait qu'un éclat de rire s'il ne s'agissait d'une affaire sérieuse. En Amérique latine, chacun se souvient du rôle joué par Washington dans l'instauration des pires tyrannies qu'a connues le continent !
L'impérialisme américain atteint ses limites objectives et c'est extrêmement clair aujourd'hui, aussi bien en Corée qu'en Syrie
RT France : en même temps que le Venezuela, les Etats-Unis ont haussé le ton avec la Corée du Nord. S'agit-il également d'un échange de menaces destinées à rester verbales ?
B. G. : Il faut espérer que cet emballement demeure purement rhétorique. Je crois que ce sera le cas, au vu des dernières déclarations chinoises. Pékin a voté la résolution du Conseil de sécurité instaurant de nouvelles sanctions, mais il n'est pas question pour la Chine de tolérer que les USA utilisent la force à ses frontières en agressant un Etat souverain qui est quand même son allié, même s'il n'est pas docile. En cas d'attaque américaine, fût-elle préventive, la Chine a prévenu qu'elle soutiendrait l'agressé. Comme il est inconcevable que Pyongyang prenne l'initiative des hostilités, cela signifie que Washington, pour infliger une correction à la Corée du Nord, devrait assumer le risque d'une crise majeure avec Pékin. Franchement, c'est peu probable. L'impérialisme américain atteint ses limites objectives et c'est extrêmement clair aujourd'hui, aussi bien en Corée qu'en Syrie. Que les Etats-Unis cherchent à compenser cette insuffisance par un surcroît d'emphase verbale, finalement, est assez compréhensible.
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