Emmanuel Macron n’a de cesse de prôner une relance de l’Europe et met en avant l’Atlas, une des réalisations majeures de cette dernière. Un spectacle en trompe-l’œil, pour le spécialiste en matière de défense Philippe Migault.
C’est le plus grand salon aéronautique au monde. Celui de tous les superlatifs, de tous les excès, des annonces fracassantes et des projets à la Potemkine. Cette année encore le Bourget aura été fidèle à sa réputation.
Machine parfaitement huilée, l’évènement organisé par le GIFAS s’est ouvert sur une image forte : l’arrivée, pour l’inauguration, d’Emmanuel Macron à bord d’un A400M Atlas. Temps superbe, tapis rouge, responsables au garde à vous, président descendant l’escalier de l’appareil avec la souriante désinvolture athlétique d’OSS 117 avant de distribuer des poignées de main viriles… La séquence était parfaite et le symbole évident. Emmanuel Macron n’a eu de cesse de prôner une relance de l’Europe, il met en valeur l’Atlas, une des réalisations majeures de cette dernière. Sauf que ce plan com’ est à l’image de ce qu’est souvent l’actualité du Bourget : un spectacle en trompe-l’œil.
Emmanuel Macron se veut président jupitérien. Jupiter descendait des nuées en brandissant la foudre
L’Europe de la défense, échec industriel
Emmanuel Macron se veut président jupitérien. Mais Jupiter descendait des nuées en brandissant la foudre. Or l’A400M est tout sauf un foudre de guerre. C’est une catastrophe industrielle. Certes, tous les avions connaissent des maladies de jeunesse et l’Atlas ne pouvait faire exception. Machine complexe, il sera, à terme, un engin fantastique, démultipliant les capacités de projection des forces françaises et européennes. Mais il a été livré avec quatre ans de retard, a déjà généré un surcoût de dix milliards d’euros par rapport aux prévisions initiales et est incapable aujourd’hui de larguer sans danger des parachutistes autrement que par sa tranche arrière… bref l’aboutissement logique de la politique de «juste retour» industriel, dont les entreprises françaises ne veulent plus entendre parler. Comme symbole de coopération européenne aboutie, on pouvait rêver mieux.
De même, l’annonce du financement d’un programme franco-allemand d’hélicoptère lourd, le X6, claironné par Airbus Helicopters et les autorités françaises et allemandes, n’a vraiment pas de quoi déclencher l’enthousiasme.
D’abord parce que Français et Allemands annonçaient déjà il y a dix ans, lors du Bourget 2007, le lancement d’un programme d’hélicoptère de transport lourd qui n’a débouché sur rien.
On ne peut pas dire que l’Europe de la défense ait le vent en poupe du point de vue industriel
Ensuite parce qu’il suffit d’examiner les modalités du plan de financement pour douter de l’aboutissement du projet. Sur les 377 millions d’euros investis par la France et l’Allemagne dans le projet d’Airbus Helicopters, Berlin n’apporte que 47 millions d’euros, moins de 12,5% des fonds, le reliquat étant à la charge du contribuable français. Pourquoi une telle disproportion pour un projet franco-allemand alors que la France n’est pas financièrement l’Etat le mieux loti ? Sans doute parce qu’il ne s’agit pas une seule seconde pour les Allemands de miser sérieusement sur ce programme. Si les autorités allemandes souhaitent renouveler la flotte d’hélicoptères lourds de la Bundeswehr, elles misent sur le CH-53K de l’Américain Sikorsky, dont une précédente version de l’appareil équipe déjà leurs forces et qui a le mérite de voler, lui. L’Allemagne verse une obole, un peu plus du tiers du coût unitaire d’un CH-53K, afin de signifier qu’elle ne se désintéresse pas du sort d’Airbus Helicopters, dont elle est l’un des actionnaires de référence, l’industriel étant en grande difficulté sur son segment civil. Pour le reste, pas question de se lancer dans un nouveau programme avec les Français. Alors que Sylvie Goulard, éphémère ministre des armées française et partisane acharnée de l’alliance franco-allemande vient de donner sa démission, on ne peut pas dire que l’Europe de la défense ait le vent en poupe du point de vue industriel.
Des milliards au rendez-vous mais de tristes absences
Fort heureusement, le Bourget ne se limite pas à ces faux-semblants.
Bien entendu Airbus et Boeing, qui ont annoncé des contrats mirobolants portant sur des centaines d’avions et des milliards de dollars, exagèrent quelque peu. Entre la signature d’un contrat et la livraison des appareils au client, on a connu ces quinze dernières années plus d’une amère surprise et des annulations à foison.
Cependant, le transport aérien demeure sur une dynamique forte avec une hausse constante du nombre de voyageurs annuels. Les nouvelles versions des Airbus A380, A350, A321, A320 et des Boeing 787, 777 et 737, intégrant motorisation moins gourmande, winglets, fuselages élargis et capacités d’emport supérieures en attestent. Avec une constante : une volonté de toutes les compagnies aériennes de disposer d’appareils plus économiques, malgré le prix toujours aussi modique du baril de brut.
Dans cette course, le Brésilien Embraer, multipliant les contrats, confirme ses ambitions, avec une montée en puissance sur le segment de l’aviation régionale et du moyen-courrier, tandis que sur le marché de la défense son avion de transport tactique KC-390 pourrait emporter un solide succès, notamment parmi les Etats émergents ou aux finances limitées.
En revanche l’absence de la Russie ôte aux yeux des aficionados beaucoup de piment au salon
Le Brésil, hélas, est quasiment l’unique représentant des anciens BRICA au Bourget. Si Indiens, Chinois et Russes sont présents, ils sont discrets. Le C919 du chinois COMAC, annoncé depuis des années comme le futur grand rival de l’Airbus A320 et du Boeing 737, est encore absent, tout comme le MS-21 du russe Irkut, qui vient de réaliser son premier vol.
Nul n’est pressé de voir les Chinois combler leur retard. Fort d’un marché domestique colossal, COMAC pourra engager la production de son appareil à une cadence élevée avant de venir concurrencer Boeing et Airbus à long terme hors de Chine.
En revanche l’absence de la Russie ôte aux yeux des aficionados beaucoup de piment au salon. Seul le Sukhoï-Jet 100, «un appareil excellent techniquement mais qui a souffert d’une commercialisation déficiente», selon un cadre de Safran, est présent sur le tarmac parisien. Les amateurs de belles machines devront sans doute patienter encore longtemps avant de voir le T-50 faire un Cobra de Pougatchev au Bourget. Quant aux Sukhoï-35, 34, 30 ou au Kamov-52, qui ont démontré leurs qualités dans le ciel syrien et à l’export, ils sont bannis pour cause de sanctions.
Rendez-vous au prochain MAKS de Moscou pour les apercevoir. Au-dessus des forêts de Joukovski, les manœuvres sont encore plus extrêmes que dans le ciel de la banlieue parisienne.
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