En rencontrant le président russe, Emmanuel Macron a cherché à être en continuité avec François Hollande et en même temps se détacher de l’héritage de son prédécesseur, explique le géopoliticien Dario Citati.
RT France : Quel est le bilan de la rencontre entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine et quelles seront les conséquences pour les relations franco-russes ?
Dario Citati (D. C.) : Il y a, bien sûr, deux côtés, le côté russe et le côté français. Du côté français il y a eu en quelque sorte une épreuve «musclée» de la part d’Emmanuel Macron qui cherche, bien évidemment, à être en continuité avec François Hollande. On sait bien que même s’il n’a pas été élu dans le cadre du parti socialiste, il est soutenu par un establishment français, le même qui soutenait François Hollande. De même, il veut se détacher un peu de l’héritage de François Hollande qui n’a pas été excellent en politique étrangère tout comme en politique intérieure. Il a donc cherché à montrer tout de suite, lors de la rencontre avec un homme politique très important comme Vladimir Poutine, qu'il avait le courage d’aborder des questions compliquées, tels les droits de l’homme, et d'adopter tout de suite une position forte. Cela a une valeur symbolique comme première rencontre.
Il s’agit tout simplement d’un point de départ, d’une première rencontre de connaissance entre les deux hommes politiques
Du côté russe, pour Vladimir Poutine cela a été une rencontre ordinaire, parce qu’il y a, bien évidemment, un clivage entre les deux hommes politiques, il voulait tout simplement connaître Emmanuel Macron. Je pense qu’il s’agit tout simplement d’un point de départ, d’une première rencontre de connaissance entre les deux hommes politiques, mais c’est intéressant de voir ce double aspect d’Emmanuel Macron dans cette approche avec Vladimir Poutine : continuité d’un côté, mais montrer en même temps une personnalité plus forte que son prédécesseur.
RT France : Comment voyez-vous la suite des relations franco-russes suite à cette rencontre ?
D. C. : Je pense qu’il va y avoir des possibilités d'obstacles dans les relations franco-russes en politique étrangère, pas des suites de cette rencontre, mais plutôt dans le contexte général. Par exemple, il est possible d’imaginer qu’après le Brexit, la Grande-Bretagne en politique étrangère va un peu se désengager du camp occidental en Syrie, par exemple, et la France pourrait bien augmenter son engagement.
Donc au-delà d’un contenu diplomatique il peut y avoir dans les années qui suivent bien sûr des problèmes sur des questions concrètes
Pourquoi je dis ça ? Parce que, par exemple, il y a quelques semaines, Emmanuel Macron a changé le nom du ministère de la Défense, en le renommant ministère des Armées, ce qui n’est pas seulement une question symbolique, car il s’agit plus d’un rattachement de ce ministère directement à la présidence de la République. Il y a en général une idée de politique, je ne veux pas dire agressive, mais quand-même plus affirmée du côté de la France. Et bien sûr, sur un sujet concret comme la Syrie, même si Macron a dit qu'il voulait respecter l’intégrité de l’Etat syrien, il est évident que la France et la Russie en ce moment sont dans des positions opposés. Donc, au-delà du contenu diplomatique, il peut y avoir dans les années qui viennent bien sûr des problèmes sur des questions concrètes.
Emmanuel Macron veut s’accréditer comme un leader fort dans le sens occidentaliste du terme, surtout dans un contexte où l’on ne comprend pas très bien ce qu’il va faire dans l’instant
RT France : Que pensez-vous des accusations d’Emmanuel Macron contre RT et Sputnik, selon lesquelles ces médias auraient joué un rôle d'agents d’influence pendant l’élection française ? Pourquoi attaque-t-il frontalement les médias russes en présence de Vladimir Poutine ?
D. C. : C'est symbolique et très important pour montrer d’où il vient, c’est-à-dire, d’un establishment qui est, dans sa structure fondamentale, hostile à la Russie. parce qu’il est bien évident qu’Emmanuel Macron a remporté les élections. Si un autre candidat les avait remportées on aurait pu dire cela. Mais après une victoire qui a montré la régularité totale des élections, pourquoi, sinon, proférer une accusation pareille, alors qu'il n'y a pas de preuve et même plus de discussion là-dessus ? Bien sûr, la Russie de son côté «cherche à influencer», mais comme toute grande puissance. Il y a une diplomatie culturelle, il y a un point de vue russe qui est plus fort dans le monde au fur et à mesure que la Russie devient un protagoniste dans le monde. Je pense qu’il s’agit d’un autre élément, comme celui que je viens de rappeler à propos du changement du nom du ministère de la Défense. Il s’agit surtout d'affirmation. Emmanuel Macron veut s’accréditer comme un leader fort au sens occidentaliste du terme, surtout dans un contexte où l’on ne comprend pas très bien ce qu’il va faire dans l’instant, il va dire : «Bon, je suis là, je suis dans la continuité de ce qu’on a vu, et même je vais encore forcer ce qu’a fait la France les années passées.»
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