Si en 2012 Sarkozy avait 32 «propositions» et Hollande 60 «engagements», le programme de Macron contient pas moins de 96 promesses. Comme toute inflation, celle des promesses électorales ne fait que les dévaloriser, juge l'historien John Laughland.
Depuis la victoire modeste d'Emmanuel Macron au premier tour – les 23% de suffrages qu'il a recueillis au premier tour contrastent avec les 28% recueillis par François Hollande au premier tour en 2012 et avec les 31% de Nicolas Sarkozy en 2007 – ses ennemis répètent qu'il n'a pas de programme.
Certes, le lecteur du manifeste d'En Marche! – sans doute un des premiers mouvements politiques de l'histoire dont l'acronyme souligne explicitement qu'il est fondé sur une personne et non pas sur un programme – ne peut qu'être frappé par la vacuité de ses propos. Que penser de cette phrase, parmi tant d'autres dans la logorrhée macronienne? «La France a été faite par tous ceux qui, génération après génération, ont porté notre pays à chaque fois un peu plus loin». Ce type de phrases parfaitement dépourvues de tout contenu concret ont été, à juste titre, dénoncées par George Orwell, le plus grand critique des phrases creuses en politique du 20e siècle. Elles ont été également caricaturées par l'humoriste, Peter Sellers.
Le lecteur est également frappé par l'emploi rébarbatif de la répétition, dont tout le monde sait qu'elle est l'outil le plus basique de la propagande. Ainsi, EM emploie le mot «confiance» pas moins de trois fois dans le tout premier paragraphe de son document électoral:
«J’ai décidé de me présenter à l’élection présidentielle car je veux redonner à chaque Française et chaque Français CONFIANCE en eux, CONFIANCE en la France et dans notre capacité collective à relever nos défis. Ce faisant, nous redonnerons à l’Europe et au reste du monde CONFIANCE en notre pays».
Son mentor et parrain, François Hollande, avait également promis de «redonner confiance aux Français» dans le troisième paragraphe de ses 60 engagements publiés pour les élections de 2012 – qui s'en souvient aujourd'hui ? – mais il ne l'a dit qu'un seule fois. Le mot «confiance» apparaît huit fois dans le programme de Macron, tout comme le mot «modernisation» ou «moderniser» (neuf fois).
Macron promet le beurre et l'argent du beurre
On peut aussi relever d'autres éléments, comme le tic politiquement correct, importé du monde anglophone, qui consiste à employer les formes féminines et masculines de chaque mot, comme «les Françaises et les Français», «toutes celles et tous ceux», «chacune et chacun». Cette mauvaise habitude, qui multiplie les mots sans rajouter aucun sens supplémentaire, est profondément ancré dans le cerveau d'Emmanuel Macron, comme en atteste le discours qu'il a prononcé à son propre mariage en 2007.
Mais, en réalité, ce qui frappe dans ce programme, ce n'est pas tant le manque de contenu mais, au contraire, son excès. Si en 2012 Nicolas Sarkozy avait 32 «propositions» et François Hollande 60 «engagements», le programme d'Emmanuel Macron contient pas moins de 96 promesses dont certaines (page 27) contiennent des subdivisions qui ramènent le total à 108 points. Quand le président américain Woodrow Wilson est arrivé en grande pompe au Congrès de Paix de Versailles en 1919 avec ses quatorze points, Clémenceau a ironisé que le bon Dieu n'avait eu que dix commandements. Mais que dirait le Tigre de cette inflation hors normes des promesses des candidats à l'élection présidentielle ?
Comme toute inflation, celle des promesses électorales ne fait que les dévaloriser. On pense à Louis de Funès dans Rabbi Jacob: «Promettez tout et je ne donne rien!». Incontestablement, Macron joue sur sa capacité à rassurer les Français, là où Marine le Pen les inquiète, non pas à cause de son prétendu fascisme mais parce qu'elle leur explique que tout va mal. Cette astuce de rassurer au lieu de bousculer, tous les présidents de la République depuis François Mitterrand l'ont exploitée, avec la seule exception de Nicolas Sarkozy. Mais la volonté de Macron de rassurer à tout prix est poursuivie avec un tel toupet qu'on est surtout frappé par son cynisme.
Voilà dévoilé le vilain secret du «programme» de Macron: nulle part n'est évoquée la question de la dette publique de la France
Regardez, par exemple, les premiers engagements en faveur de la libéralisation du marché du travail. Macron promet le beurre et l'argent du beurre: une baisse des cotisations salariales «sans que cela ne revienne plus cher aux employeurs» ; une augmentation du pouvoir d'achat des ouvriers et des smicards qui recevront un treizième mois de salaire; l'exonération des charges sociales sur les heures supplémentaires; 5 milliards d'euros d'investissement supplémentaire dans l'agriculture; 50 milliards pour la «transition écologique, la révolution numérique, la modernisation des services publiques et la rénovation urbaine» ; 10 milliards pour un Fonds pour l'Industrie et l'Innovation ; 5 milliards pour un plan d'investissement à la santé ; 5 milliards pour un plan de transition agricole.
Tout cela fait 75 milliards qu'Emmanuel Macron propose de sortir de son chapeau cylindre comme le magicien un lapin. Mais cet argent, où va-t-il le trouver ? Emmanuel Macron propose – et ce n'est pas une blague – d'imposer 60 milliards d'économies aux ministères, dans un pays dont on sait que les dépenses publiques sont immaîtrisables, tellement elles ne cessent de croître depuis des décennies pour atteindre le plus haut niveau en Europe. Or, il ne faut pas être diplômé de l'ENA pour savoir que 60 milliards d'économies, même dans l'hypothèse peu probable qu'un nouveau président de la République réussirait à les réaliser, ne suffiront pas pour les 75 milliards de nouvelles dépenses annoncées, et encore moins pour les baisses de charges promises.
La pudeur d'Emmanuel Macron sur la question de la dette montre le caractère clairement malhonnête du candidat
Et voilà dévoilé le vilain secret du «programme» de Macron: nulle part n'est évoquée la question de la dette publique de la France qui, elle aussi, bat tous les records. Cet omission – le mot «dette» ne se trouve nulle part dans le document, pas plus que le mot «épargne» – est non seulement irresponsable, venant d'un ancien ministre de l'Economie. Elle est aussi d'autant plus frappante que même François Hollande, le parrain et le promoteur d'Emmanuel Macron qui en 2012 avait fait campagne contre l'austérité, avait promis (dans son neuvième engagement) de réduire la dette et de réaliser l'équilibre budgétaire. (Nicolas Sarkozy avait promis la même chose en 2007 comme en 2012.) La pudeur d'Emmanuel Macron sur la question de la dette montre le caractère clairement malhonnête du candidat, car tout le monde sait que celle-ci constitue un des éléments clés de la construction européenne à laquelle il se dit si attaché. Certes, la dette d'autres pays de la zone euro est supérieure, en pourcentage de PIB, que celle de la France. Mais Emmanuel Macron propose-t-il de faire exploser la zone euro en abandonnant toute tentative de remettre de l'ordre dans les finances publiques de la France, pays fondateur de l'UE et de l'euro ? Et si non, que valent ses propositions de dépenses accrues et de baisses d'impôts ?
Et que penser de sa promesse, plus désinvolte encore que toutes les autres, d'avoir «un budget de la zone euro voté par un Parlement de la zone euro et exécuté par un Ministre des Finances et de l'Economie de la zone euro» (page 19)? Cette proposition implique l'abolition de la France comme entité politique indépendante; elle est le pendant économique et institutionnelle de son propos sur l'inexistence d'une culture française. Elle représente aussi l'antithèse de tous les reste de son programme, car si un ministre et un parlement sont créés pour la zone euro, il n'y aura par définition plus aucun budget français dont le futur président serait le «garant» (page 5 du programme). Les deux propositions sont tout simplement incompatibles. Si Macron est élu le 7 mai, le cynisme joyeux de Louis Funès aura été, de nouveau, tristement confirmé : «Pah! Le peuple! Il aime qu'on lui ment, le peuple».
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