Donald Trump repris en main par l’«Etat profond» américain

Les bombardements US contre la Syrie constituent un tournant dont se réjouissent les dirigeants va-t-en-guerre de l’UE, pointe Pierre Lévy, rédacteur en chef du site eurocritique Ruptures.

Le bombardement soudain et massif, dans la nuit du 6 au 7 avril, d’une base militaire syrienne par les forces américaines pourrait bien marquer un tournant dans la géopolitique mondiale. Au-delà de la Syrie, c’est un geste agressif brutal qui est ainsi perpétré contre la Russie. Pour l’heure, celle-ci a réagi avec sang-froid.

On notera d’abord que les pays occidentaux et les médias dominants reprennent sans la moindre réserve la thèse selon laquelle l’attaque chimique contre la ville syrienne de Khan Cheikhoun – qui a servi de prétexte à l’agression américaine – aurait été ordonnée par Damas.

Les forces qui pilotent vraiment les coulisses du pouvoir américain n’ont eu besoin que de quelques mois à peine pour circonvenir le nouveau locataire de la Maison Blanche

Or certains experts militaires, notamment français, mettent en doute cette allégation, comme le révélait hier l’hebdomadaire Challenges, peu suspect de sympathie excessive vis-à-vis de Bachar el-Assad. Dès lors, on peut s’interroger sur une hypothèse : le drame de Khan Cheikhoun n’était-il pas une provocation imaginée par des forces, à Washington ou ailleurs, qui voyaient avec angoisse la guerre en Syrie pouvoir s’orienter – enfin ! – vers une issue négociée respectant la souveraineté de la Syrie ?

Mais l’enseignement essentiel de cette agression militaire tient dans un constat : l’extraordinaire capacité de ce qu’on pourrait appeler «l’Etat profond» américain à reprendre en main celui qui avait dû son succès à sa rhétorique anti-establishment.

Ces dernières semaines déjà, le président américain avait explicitement tourné le dos à des thèmes qui avaient marqué sa campagne : tonalité brutalement anti-russe (sur la Crimée, en particulier), guerrière contre la Corée du Nord, beaucoup plus amène en ce qui concerne l’OTAN, et plus encore vis-à-vis de l’Union européenne. Alors qu’il n’avait pas de mots assez durs contre celle-ci, il lui a trouvé récemment des charmes «merveilleux». Bref, les forces qui pilotent vraiment les coulisses du pouvoir américain n’ont eu besoin que de quelques mois à peine pour circonvenir le nouveau locataire de la Maison Blanche.

Les dirigeants de l’Union européenne, éperdus de reconnaissance, n’en seront que plus encouragés pour tenir les promesses d’augmentation des dépenses militaires formulées auprès de l’OTAN

Il faut enfin souligner les déclarations de soutien et d’enthousiasme en provenance de Berlin, de Paris et de Bruxelles. Nul doute que ces compliments – doublés d’immenses soupirs de soulagement – vont se multiplier du côté des dirigeants de l’Union européenne. Ceux-ci, éperdus de reconnaissance, n’en seront que plus encouragés pour tenir les promesses d’augmentation des dépenses militaires formulées auprès de l’OTAN.

Le 6 avril illustre à quel point la géopolitique mondiale est devenue (pour une part) imprévisible et instable. L’aspiration populaire – aux quatre coins de la planète – à un avenir pacifique et de progrès passe plus que jamais par la reconquête de la souveraineté de chaque Etat, et la mise en place concomitante de véritables coopérations sur une base d’égalité et de respect mutuel.

Et donc par le refus d’intégrations régionales porteuses de logiques de puissance impériale et de rivalités.

A LIRE : Une analyse plus détaillée de la situation sur le site du mensuel Ruptures