Dhuicq en Syrie : «La situation à Alep n'avait rien à voir avec la version des médias occidentaux»

De retour de son voyage en Syrie, le député républicain Nicolas Dhuicq revient sur son expérience à Alep. Il décrit une ville aux réalités éloignées du discours occidental classique, des habitants porteurs d'espoirs mais aussi les défis à relever.

RT France : Vous avez vécu un voyage en Syrie émouvant lors des célébrations du Noël orthodoxe avec la communauté chrétienne arménienne d'Alep mais également éprouvant et intense. Vous qui vous êtes déjà rendu plusieurs fois en Syrie, en quoi ce voyage a-t-il été différent ?

Nicolas Dhuicq (N. D.) : Ce voyage a été différent par son intensité et parce que nous avons visité Alep. Lors de mon premier séjour en Syrie, je m'étais fait la promesse personnelle d'aller un jour voir Alep libérée. J'ai été particulièrement ému de me rendre dans cette ville, qui est l'une des plus anciennes du monde, et de rencontrer là-bas non seulement les communautés chrétiennes arméniennes mais également les autorités et les habitants de la ville pour entendre la réalité du terrain et ce que les habitants ont vécu. En particulier ceux qui ont été pendant des années sous le joug des organisations islamiques.

En réalité, il y a entre 50 et 60% de la ville qui est intacte. On est loin de ce qui a été décrit par les médias occidentaux

RT France : Que vous ont-ils appris sur la situation à Alep justement ? Dans quel état avez-vous trouvé la ville et ses habitants ?

N. D. : La situation à Alep n'avait rien à voir avec la version que nous entendons dans les médias occidentaux. 15 à 20% de la ville est entièrement détruite et nécessite une reconstruction totale, 20 autres pourcent de la ville a besoin de travaux importants. C'est-à-dire que les immeubles sont debout, que la structure a tenu mais qu'il faut refaire tout le reste. En réalité, il y a entre 50 et 60% de la ville qui est intacte. On est loin de ce qui a été décrit par les médias occidentaux. Nous avons aussi appris qu'il y avait eu entre 30 et 40 000 morts civils à Alep, dont près de la moitié ont été tués par les bombardements islamiques qui ont commencé en janvier 2013 dans les quartiers qu'ils n'avaient pas réussi à occuper. Rien que ces bombardements, souvent par bonbonnes de gaz, ont fait au moins 18 000 morts chez les habitants de la ville. Si on revient au chiffre global de 30 à 40 000 civils tués, ce qui représente à peu près 2% de la population de la ville, c’est évidemment énorme et effarant mais c'est loin du discours des médias occidentaux qui déclaraient que quasiment toute la population avait été tuée.

Nous avons constaté que les Alépins reprenaient possession de leur ville en famille et allaient se promener autour de la forteresse

RT France : Quelles sont les préoccupations principales des autorités comme des habitants pour la reconstruction de la ville ?

N. D. : Il reste de nombreuses difficultés à Alep. Principalement l'accès à l'eau qui pose d'importants problèmes d'hygiène et de santé. Mais Alep n'est pas la seule. Damas est régulièrement privée d'eau par les organisations terroristes qui font tout pour saboter le système d'eau potable notamment en y versant des hydrocarbures. L'accès à l'électricité et l'état des habitations est aussi problématique à Alep. Nous avons visité un camp de réfugiés à proximité de l'aéroport d'Alep, tenu par le gouvernement syrien, où les habitations sont en dur. Les autorités ont tenu à ce que les Alépins ne vivent pas sous des tentes mais sous de vrais toits. D'anciens bâtiments utilisés par des entreprises ont été aménagés pour loger les habitants en attendant la reconstruction de la ville. A mon sens, ce sont les trois premières questions qui se posent. Malgré tout, le plus important c'est que les gens se sentent libres. Le vendredi 6 janvier nous avons pu aller près de la forteresse d'Alep et nous avons constaté que les Alépins reprenaient possession de leur ville en famille et allaient se promener autour de la forteresse. Nous avons discuté avec des femmes et des enfants qui avaient vécu sous le joug islamiste pendant des années et se sentaient désormais libres.

RT France : Ce voyage, ces visites, ces rencontres à Damas comme à Alep vous ont-ils donné de l'espoir pour l'avenir du pays ?

N. D. : Oui, j'ai eu beaucoup de signes d'espoir. J'en avais déjà eu lors de mon deuxième voyage lorsque nous étions allés voir des jeunes dans un grand bâtiment inauguré à Damas qui est à la fois une maison d'artistes et salle d'exposition et nous avions rencontré de jeunes plasticiens et plasticiennes qui y travaillaient. J'avais trouvé une très grande force de vie chez ces jeunes. A Alep, j'ai trouvé une autre raison d'espérer avec les enfants. Ils veulent tous faire quelque chose d'utile pour leur pays. C'est un espoir majeur pour l'avenir de ce pays. Néanmoins, il ne faut pas se leurrer, la Syrie va, dans sa reconstruction, connaître un problème d'importance : oublier l'extrémisme religieux. Sur le camp de réfugiés que nous avons visité, il y avait une majorité de femmes et d'enfants. Ce qui signifie que certains des hommes étaient ou sont toujours des combattants terroristes. La question que l'on se pose maintenant est psychologique pour l'avenir : comment ces enfants vont-ils pouvoir grandir et réagir ? Nous avons vu des femmes qui portaient encore les tenues noires wahhabites. Ceci est une source d'inquiétude pour l'avenir de la Syrie qu'il faudra surveiller.

J'ai un espoir politique et économique dans nos relations franco-syriennes

RT France : Vous avez aussi rencontré Bachar Al-Assad. Dans son interview donné aux médias français, il a déclaré entre autres que «la politique française en Syrie avait nui aux intérêts français». A l'heure où les pays occidentaux sont absents des discussions de paix et du destin de la Syrie, quelle place peut encore avoir la diplomatie française dans ce conflit et ce pays ? 

N. D. : Mon espoir est que les élections présidentielle et législatives du printemps prochain nous permettent d'avoir un nouveau président de la République élu qui soit favorable au retour d'une position plus gaullienne de la politique française avec une présence en Syrie qui soit culturelle, diplomatique et économique. J'ai posé la question directement à Bachar Al-Assad sur la reconstruction du pays. Il a répondu de manière très pragmatique et je pense aussi que la France, de manière tout aussi pragmatique, a besoin de s'allier à des puissances régionales et la Syrie en fait partie. A terme j'espère que les entreprises françaises comprennent leur intérêt à aller investir en Syrie et d'y reprendre bien. J'ai un espoir politique et économique dans nos relations franco-syriennes. Sans oublier l'aspect affectif et culturel de la présence française en Syrie. Une partie de sa population est encore francophone. je me souviens des mots d'un journaliste syrien qui disait «Nous avons eu pendant trois siècles les Ottomans, nous ne parlons pas turc. Vous êtes restés quelques dizaines d'années et nous parlons toujours français.» C’est dire l'attachement qu'il y a entre le peuple syrien et la France.

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