Crise du lait, revenus en baisse, 2016 aura été une nouvelle année noire pour les agriculteurs. Alors que les débats politiques occultent cette crise, Anne Boissel, exploitante laitière et porte-parole de Debout la France, propose des solutions.
RT FRANCE : L'Insee vient de publier ses calculs sur les revenu net agricole par actif qui devrait chuter de près de 16% par rapport à 2015. Cette baisse est encore plus importante pour les producteurs laitiers, de viande et céréaliers. Malgré cette crise durable, l'agriculture est la grande absente des débats sur la présidentielle. Comment expliquez-vous cela?
Anne Boissel (A. B.) : C'est toujours le même problème : l'électorat agricole est de plus en plus faible et les politiques réagissent seulement quand ils ont un problème ou les agriculteurs dans la rue. Ils sont tous d'accord pour dire que c'est inacceptable qu'un tiers des agriculteurs vivent avec un revenu inférieur au SMIC net, mais ils ne proposent aucune solution en dehors du court-terme. La crise dure depuis 2009, même s'il y a eu de quelques meilleures années, dans le milieu de l'élevage, aussi bien laitier que de viande. L'année dernière s'est rajoutée la crise des exploitants céréaliers due à des grosses chutes de rendement. Je pense que si les politiques n'en parlent pas c'est simplement parce que ce n'est pas leur priorité. Ils ne font pas le parallèle, pourtant direct, entre l'agriculture et notre alimentation. Ils s'en rendront compte quand on deviendra importateur de lait, de viande et de céréales. Sauf que les exploitations laitières quand elles auront toutes disparu, elles ne renaîtront pas. Ce qui est dramatique, c'est que certains agriculteurs revendent leurs exploitations car ils n'y arrivent plus, mais beaucoup, qui ont pourtant des exploitations laitières qui marchent, anticipent et arrêtent leur production de lait pour se reporter sur les céréales. Sans prix fixés pour le lait et la viande, les exploitants travaillent à perte. Ce n'est pas possible de se lever et d'aller travailler en se disant qu'on va perdre de l'argent. Le drame c'est que des personnes réellement passionnées par l'élevage décident de tout arrêter. Ils finissent par suivre l'appel des politiques qui dit qu'avec la mondialisation, les choses changent et qu'il faut s'adapter. On a beaucoup dit, notamment certains syndicats agricoles, qu'il fallait restructurer les petites et moyennes exploitations pour les rendre rentables. Ça a déjà beaucoup été fait. La question s'est de savoir où l'on s'arrête ? Avec une telle lecture, demain les exploitations appartiendront à des investisseurs et non plus aux agriculteurs. C'est déjà le cas pour les très grosses exploitations rachetées par des investisseurs et dans lesquels les agriculteurs ne sont plus que salariés.
La seule solution qui pourrait fonctionner, c'est de passer un accord comme l'a fait l'OPEP : diminuer la production pour permettre aux prix d'augmenter
RT France : Les mesures mises en place ou à venir par le gouvernement et l'UE comme une aide d'urgence aux éleveurs ou destiner les excédents de productions de viande à l'aide humanitaire et aux démunis, peuvent-elles fonctionner au delà d'un soulagement financier ponctuel ?
A. B. : Les mesures financières à court-terme sont toujours bonnes à prendre. Mais ça ne résout pas le problème. A mes yeux, la seule solution qui pourrait fonctionner à court-terme aujourd'hui, c'est de passer un accord comme l'a fait l'OPEP. C'est-à-dire diminuer la production pour permettre aux prix d'augmenter. C'est ce qu'on demande pour le lait à l'échelle européenne. Le problème c'est que quand on propose cette solution, pourtant simple et qui ne coûterait pas d'argent, on vous explique que ce n'est pas possible car on n'est pas tous d'accord autour de la table. Mais il n'y a pas qu'en France que les éleveurs sont en train de mourir. Dans toute l'Europe, les paysans sont en souffrance. Je le vois bien quand je rencontre des producteurs allemands ou belges. La seule solution c'est d'obliger les agriculteurs à baisser leur production. Sur la base du volontariat, ça ne peut pas marcher. En échange, il faut clairement leur donner un prix pour leur production. L'exportation et la multiplication des marchés, c'est bien mais encore faut-il que les agriculteurs puissent dégager un revenu. Aujourd'hui, ce qui domine dans le monde agricole c'est la résignation. Les agriculteurs n'ont même plus le courage de se battre et leur savoir-faire est en train de se perdre.
On a besoin d'un chef d'Etat et d'un gouvernement qui aient envie de refaire de l'agriculture française une priorité
RT France : Comment faire pour que les politiques entendent les agriculteurs ?
A. B. : Le problème c'est qu'en France pour obtenir gain de cause et être entendu, il faut hélas bloquer les routes et déverser du fumier. Jusqu'à présent les politiques successifs n'ont réagi qu'à ça. Ils n'anticipent pas du tout les crises. Même à l'échelle européenne, l'agriculture apparaît de moins en moins comme une priorité. Le commissaire européen dédié a disparu de la plupart des tables rondes. D'année en année, le budget de la PAC, créée à l'origine pour soutenir les agriculteurs dans les moments difficiles, diminue. Pour changer cela, on a juste besoin d'une volonté politique, d'un chef d'Etat et d'un gouvernement qui aient envie de refaire de l'agriculture française une priorité. En attendant, il faut absolument parler de l'agriculteur comme pendant de notre alimentation. C'est pour cela qu'on demande une exception agricole à l'OMC, car les produits issus de l'agriculture ne sont pas des biens comme les autres, ils sont notre alimentation.
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