Pour commémorer les pertes civiles à Alep, le maire de Paris Anne Hidalgo a décidé que la tour Eiffel serait éteinte dans le soirée du 14 décembre. Le chroniqueur de RT France Matthieu Buge s'intéresse à la manipulation compassionnelle de la tour.
Ainsi, la tour Eiffel, l’emblème de la France pour le reste du monde, est éteinte ce soir du 14 décembre pour alerter la population de la planète sur le sort d’Alep et de ses habitants. Ce n’est pas la première fois, bien sûr, que l’édifice est l’objet d’une mise en scène toute symbolique. Elle avait déjà été éteinte après les attentats de Paris en 2015 – ce qui est somme toute fort logique pour un deuil national. Elle avait revêtu les couleurs des drapeaux de pays frappés par des attentats (ou des couleurs LGBT comme après l’attentat d’Orlando), en signe de solidarité, comme nombre d’autres monuments dans le monde. On pourrait bien insister sur le fait qu’il s’agit là d’une aggravation de notre société du spectacle permanent, mais admettons que la fraternité, toute symbolique qu’elle puisse être, est un beau sentiment que nous retrouvons dans la devise nationale.
L’utilisation de la tour Eiffel était empreinte de deux poids deux mesures
Bien sûr, il n’a échappé à personne que l’utilisation de la tour Eiffel était empreinte de deux poids deux mesures et qu’elle ne changeait pas de couleurs à chaque attentat dans le monde. Heureusement pour les Parisiens ! Leur symbole serait alors constamment aux couleurs pakistanaises, irakiennes, libyennes ou afghanes. Car les victimes de ces pays où l’Occident est allé mettre le boxon peuvent bien attendre, tout comme les victimes civiles de Mossoul, celles de Raqqa, celles de Palmyre où les terroristes cajolés par l’Ouest pour faire tomber Assad peuvent agir comme ils le veulent. Eteindre la tour, c’est autre chose que de la coloriser. C’est un vrai deuil, ça en impose, ça marque les esprits, et ce d’autant que ça renvoie les Français aux horreurs du 13 novembre 2015.
L’hommage n’était donc pas de mise lorsque les «rebelles» étaient à l’origine de ces massacres ?
Fidèles à leur universalisme et leur prosélytisme, les autorités françaises entendent bien dicter au monde quand se réjouir et quand se lamenter, quand applaudir et quand s’indigner. Peu importe qu’il n’y ait aucun Français à Alep pour témoigner de ce qu’il s’y passe réellement. Peu importe qu’Alep soit en réalité libérée des djihadistes et que des familles séparées depuis quatre ans puissent enfin être réunies. Tout le monde se doit de pleurer. Mais pleurer quoi, au juste ? Si l’opération syro-russe n’est certainement pas sans dégâts collatéraux, les Occidentaux qui mettent le monde arabe à feu et à sang depuis 25 ans seraient bien en peine de dire que leurs bombes à eux évitent les civils. Voilà maintenant quatre ans que la ville est aux mains des djihadistes, que de terribles combats y ont lieu, que des femmes et des enfants y sont tués. Quand la tour a-t-elle été éteinte en invoquant Alep ces quatre dernières années ? L’hommage n’était donc pas de mise lorsque les «rebelles» étaient à l’origine de ces massacres ?
A Alep du moins, les djihadistes ont perdu
Mais c’est que, à Alep du moins, les djihadistes ont perdu. Et c’est cela qu’il faut pleurer. Il faut pleurer l’échec de la tentative de changement de régime et les milliards dépensés jusqu’à maintenant en vain. La masse de la tour Eiffel est là pour faire pression et son extinction est là pour annihiler toute réflexion. Clic. Les grands démocrates vont pouvoir pleurer, sans penser qu’un président élu reprend le pouvoir à des fanatiques de la théocratie. Les féministes les plus progressistes vont pouvoir rager contre Assad et Poutine, sans se rendre compte que les femmes d’Alep vivront nettement mieux sous un Assad qui garantit la laïcité que sous les très modérément modérés islamistes. Les bambins pourront être marqués par cette vision et un peu plus conditionnés dès leur plus tendre enfance, sans penser à leurs semblables embrigadés ou égorgés par les djihadistes.
Mais après tout, cet usage de la tour Eiffel est tout à fait cohérent. Il est cohérent avec l’histoire de l’édifice en lui-même, utilisé pour les ondes radios d’abord, télévisées ensuite : il ne s’agit là que d’un pas de plus dans l’entreprise de contrôle des esprits. Un pas moins technique que divertissant, mais ô combien efficace ! Et il est cohérent avec l’agenda géopolitique du camp euro-atlantique et avec l’aspect toujours un peu plus totalitaire du contrôle qu’il entend exercer sur ses populations. Un contrôle moins violent qu’insidueux, mais ô combien efficace !
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