Pour le député Frédéric Lefebvre, le score d'Alain Juppé au premier tour de la primaire a pâti des campagnes de calomnie sur Internet, mais aussi du comportement stratège d'une partie des électeurs.
RT France : Alain Juppé était depuis plus d'un an décrit comme le grand favori de cette primaire. Aux vues des résultats de dimanche, les sondages n'ont-ils pas finalement été ses pires ennemis?
Frédéric Lefebvre (F. L.) : Les sondages ainsi que leur utilisation et matraquage par les médias sont clairement un élément qui explique la réaction des citoyens. Je pense que les électeurs, à juste titre, n'aiment pas qu'on leur dicte leur conduite. Ils sont aussi stratèges ! A partir du moment où on leur explique qu'il y a quelque chose d'inéluctable qui va se passer, ils adoptent une stratégie et ne votent pas forcément ce qu'ils pensent profondément. C'est très classique des premiers tours. Ce qui était frappant pour moi, c'est que ce premier tour était un tour d'élimination de Nicolas Sarkozy. Les votants ont anticipé, à partir des sondages, que les deux qualifiés seraient Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, avec Alain Juppé très en avance. Donc voter François Fillon, c'était l'assurance de ne pas qualifier Nicolas Sarkozy au second tour. Et ils ont réussi. Mais nombreux électeurs n'avaient pas anticipé qu'un tel vote mettrait Alain Juppé derrière François Fillon.
RT France : Le score de François Fillon serait donc gonflé par le vote utile?
F. L. : Je pense que ça a joué en grande partie. Je l'ai vu sur le terrain, lorsque je faisais la queue pour aller voter. Je suis resté dedans 45 minutes et beaucoup de gens sont venus me parler, j'ai pu écouter des discussions. J'ai tout de suite senti qu'il y aurait un vote important pour François Fillon. Mais j'entendais aussi des jeunes qui comptaient voter lui au premier tour pour éliminer Nicolas Sarkozy, mais pas au deuxième tour car pour eux ils étaient impossible d'être favorable à quelqu'un qui s'oppose à l'homoparentalité. Au premier tour, les électeurs veulent atteindre leurs objectifs.
Quand les électeurs votent François Fillon, ils votent pour la reconstitution du tandem avec Nicolas Sarkozy.
RT France : Depuis dimanche soir, vous affirmez que le second tour des primaires, c'est une toute autre campagne et que donc rien n'est joué. Qu'est-ce qui, selon vous, peut faire la différence entre les deux hommes?
F. L. : La campagne s'est beaucoup focalisée sur les personnalités de Nicolas Sarkozy et d'Alain Juppé et sur leurs projets. Beaucoup de Français n'ont pas vu dans le détail celui de François Fillon. Les débats n'ont pas non plus permis d'aborder les thèmes en profondeur, François Fillon lui-même s'en est plaint au fil des débats. Certains éléments de son programme ne sont pas apparus. La question des fonctionnaires a été soulevée au troisième débat, mais, par exemple, sur les 35 heures, je pense que nos compatriotes n'ont pas réalisé que le choix de François Fillon était celui de travailler plus pour gagner moins. C'est le choix de travailler 39 heures rapidement et brutalement mais rémunérées comme 35. François Fillon assume ses positions, parle de «rupture radicale» mais il faut que les électeurs connaissent la réalité.
De la même manière sur les sujets de société, les volontés de François Fillon doivent être clairement expliquées. Comme celle de revenir sur la question de l'homoparentalité et donc rouvrir le débat autour de la loi sur le Mariage pour tous. Je trouve que c'est un mauvais choix de vouloir rouvrir un débat qui a laissé des séquelles dans la société française et qui est derrière nous. D'autant que François Fillon s'est déjà exprimé, dans un livre et un entretien au Figaro magazine, philosophiquement contre l'avortement. Pourtant, il a précisé ne pas vouloir revenir sur cette loi. Pourquoi sur les questions de société et de mœurs, certaines lois devraient être revues et d'autres non? Comme Sens commun soutient avec beaucoup de force François Fillon, c'est important qu'il précise ses positions. Il y a beaucoup de jeunes et de femmes qui ne sont pas nécessairement conscients de son projet. Pour moi, tous ses points d'éclaircissements sont importants.
Le débat entre Alain Juppé et François Fillon - que j'attend avec impatience - va permettre de mettre à jour toutes ces différences de positions mais aussi de méthodes. Alain Juppé veut réformer en douceur, là où François Fillon veut réformer dans la radicalité et la brutalité.
Je voudrais aussi souligner, que beaucoup de Français de la droite et du centre se sont mobilisés pour éliminer Nicolas Sarkozy au premier tour. Or, dès dimanche, il a annoncé son soutien à François Fillon. Nous avons également tous entendu que les deux hommes devraient, sur un certain nombre de sujets, de nouveau travailler ensemble. Il faut que les gens sachent que quand ils votent pour Alain Juppé, ils votent Alain Juppé. Quand ils votent François Fillon, ils votent pour la reconstitution d'un tandem.
Alain Juppé sera le mieux à-même à donner le visage d'une droite et d'un centre soudés et rassemblés
RT France : Au delà du duel d'hommes et de personnalités, c'est aussi deux visions de la droite qui s'opposent... Le parti pourra-t-il sortir uni de cette primaire ?
F. L. : Les Républicains, par construction, c'est un rassemblement de sensibilités différentes. Quand L'UMP a été créée, c'était l'addition du RPR, de l'ancienne UDF... Il y a l'intérieur des Républicains des courants de pensée différents, ce qui explique d'ailleurs que le repli identitaire que défendait Nicolas Sarkozy a pu en faire réagir certains. Moi qui me suis toujours considéré comme un gaulliste de gauche, j'ai évidemment pensé que cette route n'était pas la mienne. Tout comme beaucoup d'élus issus de l'ancienne UDF. L'enjeu final de cette primaire sera de rassembler. Le vainqueur aura comme devoir dans son projet présidentiel d'intégrer les idées mais aussi les hommes et les femmes de l'ensemble de la droite et du centre pour affronter l'échéance suivante : la présidentielle. Pour que ces primaires soient une réussite, il faut que le vainqueur ait un esprit de rassemblement. Et je pense qu'Alain Juppé sera le mieux à-même de relever ce défi et ainsi donner le visage d'une droite et d'un centre soudés et rassemblés dans l'unité.
Sur les réseaux sociaux, Alain Juppé a été caricaturé, sali.
RT France : Vous étiez candidat pour cette primaire et l'un de vos mots d'ordre était l'intégrité. Cette primaire en a-t-elle eu à vos yeux?
F. L. : Cette campagne et les trois débats ont plutôt montré de la dignité. Bien sûr, une primaire, c'est une compétition et il y a parfois eu quelques coups tordus. Je pense notamment à quelques attaques qui sont venues de Nicolas Sarkozy ou ses soutiens contre Alain Juppé sur la sorte «d'accord secret» passé avec François Bayrou. Je pense que cela sera moins le cas de la part de François Fillon, qui avait soutenu François Bayrou à Pau lorsqu'il était candidat aux municipales. J'ai vraiment le sentiment que François Fillon et Alain Juppé devraient se respecter.
J'ai été plus choqué par les coups bas qu'on a pu voir sur les réseaux sociaux. Des campagnes pour salir. Alain Juppé en a été victime. Il a été caricaturé, sali. On lui a inventé la construction d'une mosquée qui n'existe pas pour le présenter comme proche des salafistes. On l'a accusé d'être antisémite... Bref des campagnes nauséabondes contre lui. Mais elles viennent plutôt d'officines d’extrême-droite ou d'un certain nombre de personnes qui, sous couvert de l'anonymat, ont essayé de peser sur le résultat.
Mais globalement, j'ai trouvé la campagne et notamment les trois débats très dignes. Je crois que c'est pour cela que nos concitoyens se sont autant mobilisés lors de ce premier tour.
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