L'Occident veut une victoire à Mossoul pour compenser son impuissance en Syrie face à la Russie

L'Occident veut une victoire à Mossoul pour compenser son impuissance en Syrie  face à la Russie© AHMAD AL-RUBAYE
L'armée irakienne à 30 kilomètres du sud de Mossoul
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Si la coalition occidentale arrive à affaiblir Daesh et le faire sortir de Mossoul, il est probable qu’une grande partie de ses combattants se disperseroa ailleurs, en Irak et en Syrie, estime le docteur en sciences politiques Caroline Galactéros.

RT France : Il y a eu le 20 octobre à Paris une conférence chapeautée par la France, pensez-vous que cela puisse permettre de «gagner la paix» comme l'espère?

Caroline Galactéros (C. G.) : Je pense que c’est une expression sans doute un peu ambitieuse. Si l’on arrivait déjà à un apaisement global de la situation, ce serait bien. Or, il est très difficile de séparer la situation à Mossoul et en Irak de ce qui se passe en Syrie. Pour moi, c’est un problème plus global et tout est lié. En effet, si l’on arrive à réellement affaiblir l’Etat islamique et à le faire sortir de Mossoul, il est fort probable qu’une grande partie de ses combattants se dispersera ailleurs en Irak mais surtout se dirigera vers la Syrie. Ce mouvement de repli des djihadistes (vers Deir es-Zor et Raqqa) a déjà commencé. La coalition occidentale veut prendre Mossoul pour obtenir une victoire militaire éclatante et rapide et compenser son impuissance manifeste sur le théâtre syrien face à la Russie et à ses alliés. On devrait donc malheureusement assister à une aggravation de la situation militaire en Syrie et à un affrontement redoublé entre la Coalition, qui veut - via son soutien aux islamistes -, affaiblir le régime de Damas, et les forces russo-iraniennes qui l’appuient et donc se battent ….contre ceux que les Américains et leurs alliés soutiennent. La contradiction majeure est là.

A Mossoul on soutient l’offensive d’un pouvoir chiite contre des sunnites radicaux islamistes, pour reprendre une ville peuplée de sunnites qui peu ou prou ont vécu sous la coupe de l’EI

Par ailleurs, on ne peut nier une autre incohérence de la politique occidentale dans la zone : à Mossoul on soutient l’offensive d’un pouvoir chiite contre des sunnites radicaux islamistes, pour reprendre une ville peuplée de sunnites qui peu ou prou ont vécu sous la coupe de l’EI, alors qu’en Syrie, la coalition occidentale cherche à frapper un régime, (en confondant d’ailleurs l’Etat syrien et le régime syrien, ce qui me paraît très dangereux), en soutenant des groupes islamistes  radicaux sunnites, tous plus ou moins liés à Al-Qaida (qui est la matrice originelle au moins partielle de Daesh), même si certains sont qualifiés contre toute évidence de «rebelles modérés», une appellation très discutable.

Nous devrions combattre un ennemi commun qui a mille visages et joue de nos rivalités, mais nous n’en sommes pas capables car il nous faudrait alors admettre de lourdes erreurs de jugement

RT France : Des hostilités ont commencé aujourd’hui à Kirkouk, des attentats djihadistes ont été perpétrés par les combattants de Daesh. On voit donc que l’Etat islamique se déplace vers d’autres villes…

C. G. : Vers les zones kurdes notamment. Les Kurdes sont aussi à la manœuvre avec plus ou moins d’entrain selon les contreparties et les promesses qu’ils reçoivent de la part de la Coalition. A partir du moment où l’on affaiblit l’EI dans un endroit, il cherche, en représailles, à déstabiliser d’autres zones. Or, la partie kurde de l’Irak est stratégiquement importante du point de vue de la Coalition internationale, notamment dans la perspective (caressée par les USA) d’un remembrement interne des frontières communautaires et confessionnelles de cet Etat (comme d’ailleurs des frontières syriennes). «Gagner la paix», c’est un bel objectif, mais je crains que ce ne soit un peu présomptueux, surtout quand on n’a manifestement pas du tout les mêmes buts de guerre réels et façons de définir et de considérer l’ennemi. Pour moi, nous devrions combattre un ennemi commun qui a mille visages et joue de nos rivalités, mais nous n’en sommes pas capables car il nous faudrait alors admettre de lourdes erreurs de jugement et innover avec pragmatisme et humanité.

La crise des réfugiés est la manifestation tragique d’une faiblesse politique structurelle de l’Europe

RT France : La Croix-Rouge affirme qu’il pourrait y avoir plus d’un million de réfugiés à l’issue de la bataille de Mossoul. Pensez-vous que cela risque d’aggraver la crise des réfugiés que l’Europe traverse déjà ?

C. G. : Je pense que la crise des réfugiés est la manifestation tragique d’une faiblesse politique structurelle de l’Europe qui est clairement ciblée par l’islamisme radical. Cette impuissance européenne est patente depuis l’afflux de migrants désespérés auxquels l’Allemagne a adressé un message généreux mais malheureusement politiquement parfaitement irresponsable. Le Brexit lui a donné le coup de grâce en levant le tabou de la sortie possible d’un membre majeur de l’Union. Je vois les réfugiés essentiellement comme une arme de déstabilisation massive de l’Europe politique, parce que celle-ci est faible politiquement et se laisse faire, prise au piège de ses propres principes. Un afflux supplémentaire n’arrangera évidemment rien mais le mal est fait et nous nous laissons faire. C’est l’éternel problème de l’équilibre entre la prise en compte froide des masses et des équilibres - propre au politique et nécessaire pour la mise en œuvre d’une vision stratégique salutaire - et le sort des individus qui vivent des drames personnels. L’effet de loupe des médias fait le reste et achève de brouiller le jugement et la décision. L’Europe est entre dans une phase dangereuse de délitement et de déstabilisation globale du continent aux plans politique, culturel, civilisationnel, religieux. Cette réalité est difficilement audible évidemment. Les réfugiés ne sont en tout cas qu’un symbole, un signe de notre effacement stratégique par renoncement et irénisme. Ces malheureux sont à la fois les enjeux, les otages, les victimes et les instruments de cette offensive.

L’Occident cherche à obtenir une victoire en Irak pour faire oublier qu’en Syrie il n’en a pas

RT France : Le camp occidental admet qu’il peut y avoir des pertes civiles pendant la bataille de Mossoul. Cependant François Hollande accuse la Russie de crimes de guerre lors de la bataille à Alep. Est-ce une contradiction, si d’un côté c’est un crime de guerre et de l’autre un dommage collatéral ?

C. G. : Cela traduit un évident «deux poids deux mesures». La guerre fait des morts. Nous aussi faisons des morts civils, en dépit de la précision de nos armes qui n’est évidemment jamais totale. Toutefois, nous avons une manière de concevoir les victimes civiles différente selon que c’est la Coalition ou les Russes qui frappent… Ce n’est pas très sérieux et cela trompe de moins en moins de monde. Dans les deux cas, les populations civiles sont prises en tenaille entre les bombardements et les forces islamistes - que ce soit Daesh ou Al-Qaida ou je ne sais quelle milice -, qui les utilisent comme «boucliers humains» pour éviter les bombardements massifs en essayant de déclencher une vague d’indignation médiatique. La différence est que les forces russes passent outre les protestations internationales qui visent essentiellement à les contraindre à stopper la reprise de la ville et donc à ne pas consolider l’emprise du régime syrien. Il est certain que si Alep était vraiment repris aux djihadistes, ce serait évidemment une victoire symbolique considérable pour le régime syrien et ses alliés. Du point de vue de la Coalition occidentale (qui regroupe aussi les monarchies pétrolières), il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ce serait une humiliation. C’est d’ailleurs pour ça aussi que l’on monte en épingle «la bataille de Mossoul». L’Occident cherche à obtenir une victoire en Irak pour faire oublier qu’en Syrie il n’en a pas, et que le régime honni de Bachar el-Assad a tenu face à la tentative de déstabilisation. 

Si on veut véritablement en finir avec l’Etat Islamique, il faut assécher ses sources de financement et d’armement, donc de recrutement et de crédibilité, qui se trouvent en grande partie dans le Golfe persique

 RT France : La lutte contre Daesh est-elle efficace en ce moment ? Et peut-on lutter contre l’Etat islamique efficacement malgré les divergences parmi les membres de la coalition ?

C. G. : Non, je pense qu’on ne peut pas, et je me demande finalement qui le veut vraiment, à vrai dire, au-delà des postures et des déclarations martiales ? Ni les uns ni les autres sans doute. Pour des motifs différents. Pour moi, Daesh est une organisation avec des modes d’action épouvantables, mais c’est aussi un épouvantail spectaculaire et commode pour faire oublier que, derrière, il y a Al-Qaïda et tous les groupes qui se raccrochent à Al-Qaïda. Ces djihadistes-là sont présentés, par contraste, comme moins dangereux voire presque supportables aux yeux des occidentaux. Et là, il y a une vraie divergence avec la Russie. Les Russes considèrent que c’est une menace globale et veulent à tout prix empêcher l’effondrement de l’Etat syrien, au-delà même de son régime. Ils frappent donc les groupes islamistes radicaux qui se battent, eux, essentiellement contre ce régime avec le soutien, direct ou indirect, des Etats-Unis et de certaines pétromonarchies, De notre côté, nous cherchons à changer le régime en Syrie et à obtenir une position favorable pour la négociation politique finale qui se jouera in fine entre Washington et Moscou. Nous nous focalisons donc sur la marginalisation politique de Bachar el-Assad qui passe par son affaiblissement militaire. On a donc une vision très différente. Plus largement, notre rejet entêté, pour complaire aux Etats-Unis (et en étant même «plus royalistes que le Roi»), d’un rapprochement géopolitique de l’Europe - et de la France - avec la Russie brouille notre jugement et nous fait jouer contre nos intérêts sécuritaires et stratégiques de court et de long terme. C’est tragique mais c’est ainsi. Et Daesh en profite. Si on veut véritablement en finir avec l’Etat Islamique, il faut assécher ses sources de financement et d’armement, donc de recrutement et de crédibilité, qui se trouvent en grande partie dans le Golfe persique.

Lire aussi : Syrie : «A n’importe quel moment il peut y avoir un dérapage»

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