L'Occident d'aujourd'hui vit dans une atmosphère de censure proche de celle de l'époque de la guerre froide, avec son manque d'opinions alternatives et de vrais journalistes d'investigation, estime le journaliste John Pilger.
RT : L’ancien secrétaire général adjoint de l’ONU Pino Arlacchi indique que Washington est derrière le blocage des comptes de RT, ayant persuadé Londres de faire le sale boulot – cette version est-elle vraisemblable ?
John Pilger (J. P.) : C’est la seule version raisonnable, celle qui implique un élément politique. Ce qui est intéressant, c’est la deuxième annonce de la banque. Elle suggère que les personnes raisonnables de la banque se sont soudain rendues compte que le gouvernement britannique avait usé et abusé d'elles en agissant pour le compte de Washington. On ne peut pas en être sûr, mais c’est probable. C’est une tradition de longue date dans ce pays de prendre des mesures contre RT. C'est si brutal. C’est un signal qui dit : «Nous n’allons pas tolérer de contestation.» Je ne peux pas dire à quel point la contestation a été affaiblie dans ce pays. J’ai été pendant plusieurs années journaliste à Londres, pour la télévision, les journaux, j’ai travaillé un peu partout dans le monde. Je n’ai jamais vu la contestation aussi affaiblie.
La nature de la censure en Occident s’approche de ce que l’on avait l’habitude de condamner à l’époque en Union soviétique
Aujourd’hui nous n’avons pas l’autorisation de discuter en Occident, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, car il y a une incitation à la guerre ; de discuter des enjeux cachés des campagnes électorales dans ce pays, avec Jeremy Corbyn, ou avec Donald Trump et Hillary Clinton aux Etats-Unis. C’est toujours amusant pour moi d’entendre dire que RT est soutenu par le Kremlin. Et comment devrait-on qualifier la BBC ? La BBC que différentes études ont condamné en 2003 pour avoir privilégié l’opinion du gouvernement de Tony Blair quant à cette invasion rapace, illégale et criminelle de l’Irak. La majorité de ce qui a été diffusé, et que j’ai regardé pendant des années, est devenu une information à sens unique absolument impossible à regarder. C’est pourquoi les gens se mettent à regarder RT qui présente une opinion alternative. C’est simple, on est supposé avoir des opinions alternatives dans les sociétés libres. Et ça, c'est intolérable. Et des gouvernements aussi primaires agissent toujours de ces façons brutales.
J’ai fait des reportages en Union soviétique en pleine guerre froide et je peux dire que la censure que nous avons en Occident n’est certes pas la même, mais sa nature s’approche de ce que l’on avait l’habitude, à juste titre, de condamner à l’époque.
Ce que nous voyons maintenant est très grave, et si les journalistes de ce pays se considèrent réellement comme des journalistes, ils devraient faire entendre leurs voix maintenant
J’espère que cette banque britannique va revenir sur sa décision, parce que c’est de la corruption, de la politisation. Cela est déjà arrivé, The Co-Operative Bank avait fait fermer les comptes de diverses organisations de solidarité, comme pour la Cuba Solidarity Campaign. C'est donc très sérieux, si ils s'y mettent. Ofcom [organisme britannique de contrôle éthique des médias], avec ses jugements absurdes sur vous, s'y est essayé, même si cette organisation n’a pas l’autorité pour juger de l’exactitude ou de l’impartialité. Vos articles et reportages de l’époque sur la Syrie, sur l’attaque chimique [imputée par l'Occident au président Assad], étaient absolument légitimes.
Ce que nous voyons maintenant est très grave. Si les journalistes de ce pays se considèrent réellement comme des journalistes, et pas comme les serviteurs du discours du gouvernement, ils devraient faire entendre leurs voix maintenant.
A de rares exceptions près, il n’y a plus
de journaliste d’investigation
RT : La porte-parole du ministère des Affaires étrangères russe a affirmé avec ironie que, apparemment, Londres s’était libéré de ses engagements dans le domaine de la liberté d’expression en quittant l’UE. Peut-on dire que la liberté d’expression existe toujours ?
J. P. : Elle existe, parce qu’il y a toujours d'honorables exceptions à ce monopole. L'espace médiatique est dominé par les points de vues de Murdoch et de l'organe d'Etat, la BBC. Mais il y a quand même quelques journalistes qui soutiennent leur propre ligne et savent naviguer au sein de ce système et le contourner. Il y en a sur RT, il y a des correspondants excellents. Pourquoi je me tourne vers RT ? A cause de la qualité de beaucoup de ses reportages. Mais aussi parce que c’est une alternative à tous ces porte-paroles, pour ne pas dire ces Kremlins locaux, qui protègent leurs intérêts personnels et n’ont pas de concurrents. A de rares exceptions près, il n’y a plus de journalistes d’investigation. C’est une honte pour un pays avec une riche tradition de bon journalisme. Les journalistes devraient se réveiller.
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