François Hollande hésitant à rencontrer Vladimir Poutine à Paris, certains élus français ont traité la France de «laquais» des Etats-Unis. Mais, d'après l'historien John Laughland, la situation est bien plus complexe.
L'annulation de la visite de Vladimir Poutine à Paris - une visite planifiée de longue date et à laquelle le président russe n'a renoncé qu'avec une semaine de préavis - marque un nouveau bas dans les rapports entre l'Occident et la Russie. Avec les déclarations fracassantes de divers généraux américains sur la probabilité d'une guerre contre la Russie et les réponses à celles-ci par leurs homologues russes, il est envisageable que la spirale infernale continue encore quelque temps. Un conflit militaire avec la Russie ne semble plus impossible.
Le temps semble bien lointain quand la France se profilait comme un entremetteur honnête entre les Amériques et la Russie. Le député Thierry Mariani a attaqué le président Hollande pour avoir provoqué l'annulation de la visite. Mais la France n'est pas simplement un laquais des Etats-Unis dans cette affaire. Bien au contraire, à propos de la Syrie comme à propos de l'Ukraine, c'est la France qui a pris l'initiative, allant plus loin encore de ce que lui demandait Washington, au moins en public. Tout comme avec l'affaire des Mistral, dont la livraison à la Russie a été annulée en août 2015 à cause du rattachement de la Crimée à la Russie, c'est la France qui cette semaine a déposé la résolution au Conseil de Sécurité exigeant que la situation en Syrie soit déférée à la Cour pénale internationale, accusant donc la Russie de complicité dans des crimes de guerre. C'est Paris qui, le premier, avant Washington, a rompu ses liens diplomatiques avec Damas en 2012.
Jamais aucun dirigeant occidental n'a réfléchi sur la raison pour laquelle il y avait encore des civils à Alep-Est
La différence entre la position de Moscou et celle des Occidentaux sur la guerre en Syrie n'a pas diminué ces dernières années. Bien au contraire, elle reste tout aussi grande qu'au début de la guerre civile. La proclamation de l'Etat islamique et le fait que ce groupe entretienne des rapports avec d'autres milices qui ont pris les armes pour lutter contre le régime Assad, n'a en rien affaibli la conviction chez les Occidentaux que la rébellion armée en Syrie était justifiée et que, au fond, les rebelles étaient des gens gentils, comme eux. Dans un discours musclé, l'ambassadeur britannique à l'ONU a accusé la Russie de tuer, littéralement, à Alep, «ceux qui veulent une Syrie modérée et pluraliste».
On croit rêver mais nous voici au cœur du problème. Les Occidentaux persistent à voir dans la rébellion syrienne une opposition légitime et louable. Ils ferment les yeux devant son caractère armé et islamiste qui décidément n'a rien de pluraliste ni de modéré. L'accord conclu au début de l'année, et de nouveau en septembre, entre les Etats-Unis et la Russie, sur la cessation des hostilités, reposait en réalité sur un désaccord caché mais profond entre Moscou et Washington à propos de ces rebelles dont Washington continue à prétendre avec insistance qu'il y en a de bons - alors que même la BBC admet que les fameux rebelles «modérés» font désormais cause commune avec les extrémistes. Suite à l'effondrement de cet accord, Moscou a accusé Washington de vouloir les protéger, y compris le Front Al-Nosra, dans le but de les garder intacts comme force combattante pour un futur renversement du régime en Syrie. Cette accusation est sans doute juste.
Les Occidentaux sont persuadés d'avoir raison, et ceci seulement grâce à des reportages des médias taillés sur mesure pour obtenir l'effet escompté
Ni le rapport de la Chambre des Communes sur l'attaque contre la Libye en 2011, publié le 9 septembre, ni le rapport Chilcot sur la guerre menée contre l'Irak en 2003, publié en juillet, n'ont ébranlé la conviction de nombreux politiciens britanniques, français, allemands et américains qu'une nouvelle guerre contre un Etat arabe était souhaitable - et, par conséquent, contre la Russie aussi. Des voix se sont élevées à la Chambre des Communes ce 11 octobre en faveur du bombardement des positions de l'armée syrienne en Syrie - très exactement ce que la même Chambre a refusé de faire en 2013 et plus tôt cette année. Tels des autistes qui répètent obsessionnellement les mêmes propos, les orateurs à la Chambre des Communes qui ont débattu de la Syrie ont comparé la Syrie, et maintenant la Russie aussi, aux nazis, comme si la vie politique internationale ne consistait qu'en un recyclage à l'infini des événements des années 1930. Comme disait Talleyrand à propos des Bourbons, ces va-t-en-guerre n'ont rien appris ni rien oublié.
Jamais, aucun dirigeant occidental n'a réfléchi sur la raison pour laquelle il y avait encore des civils à Alep-Est, ni sur la possibilité qu'ils soient pris en otage par les rebelles comme boucliers humains ; jamais aucune information sur les tirs d'obus de la part des rebelles sur des civils à Alep-Ouest ; silence radio absolu sur les victimes civiles des bombardements perpétrés par la coalition ; rien sur le fait que les rebelles à Alep-Est sont la filiale syrienne d'Al-Qaida ; rien ou très peu sur la persécution de chrétiens par ces fameux rebelles. La France et ses alliés exigent que le régime syrien négocie avec les terroristes à Alep, mais ces mêmes autorités françaises reprochent aux policiers parisiens d'être tombés dans le piège de la négociation avec les auteurs de l'attentat du Bataclan, retardant ainsi leur intervention sur le site du massacre en novembre 2015.
Si Hillary Clinton est élue, l'épisode du chasseur russe abattu par la Turquie n'aura été qu'une répétition en costume pour le vrai spectacle
Deux poids, deux mesures, donc ; et une très grande déformation de la réalité pour la rendre conforme à ses a priori politiques. Les Occidentaux sont persuadés d'avoir raison, et ceci seulement grâce à des reportages des médias taillés sur mesure pour obtenir l'effet escompté. Nous entrons ainsi, avec ce qui pourrait être la phase finale de la guerre civile en Syrie, dans les «univers parallèles» dont parlait John Kerry et qui ont caractérisé le conflit en Ukraine en 2014, où l'Occident et la Russie ont eu des appréciations totalement opposées du conflit. Il n'y a pas de situation plus dangereuse pour la paix du monde que celle-ci.
Comme dans toute guerre, c'est le temps qui va décider. L'intervention russe dure depuis déjà un an, sans avoir pour autant remporté une victoire décisive pour Assad. Si l'offensive à Alep réussit à reprendre la ville dans les semaines qui viennent, avant les élections américaines, il est possible qu'un grave conflit avec la Russie puisse être évité. Si en revanche le conflit s'enlise, ce qui est parfaitement possible et ce que certains au sein de l'administration américaine essaieront de faire, par exemple en envoyant des armes supplémentaires aux rebelles, et si Hillary Clinton est élue, ce qui est probable, l'épisode du chasseur russe abattu par la Turquie n'aura été qu'une répétition en costume pour le vrai spectacle.
Du même auteur : Que faut-il faire pour arrêter la guerre en Syrie ?
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