RT France : Le président colombien Juan Manuel Santos a reçu le prix Nobel pour l'accord de paix conclu avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), que la majeure partie de la population colombienne n’a pas accepté. Ce n’est pas la première fois que le prix est décerné pour des raisons contradictoires - on peut se souvenir de celui qu'a reçu le président Barack Obama, par exemple. Le prix Nobel est-il toujours aussi honorable qu’il devrait l'être ?
Le prix Nobel de la paix a très souvent suscité des polémiques, parce qu’il est subjectif
Francois Asselineau (F. A.) : Le prix Nobel de la paix, comme vous le savez, a été institué par Alfred Nobel un peu tardivement : il a d’abord créé les prix Nobel de physique, de chimie, de médecine, soit des sciences dures, c’est-à-dire, des choses qui peuvent se mesurer objectivement. Le prix Nobel de la paix a été institué après coup, et c’est évidemment beaucoup plus compliqué. Il y a un aspect subjectif. Et ça c'est le premier point : le prix Nobel de la paix, après qu’il a été créé, a très souvent suscité des polémiques, parce qu’il est subjectif.
Le deuxième point, c’est que le prix Nobel de la paix est maintenant très largement sous influence américaine. Faisons un peu d'histoire : il est attribué par le comité norvégien, alors que c'est en Suède qu'on attribue les autres prix Nobel. Le prix Nobel de la Paix est attribué par un collège de cinq personnes qui sont des députés choisis parmi les parlementaires norvégiens. Le comité se trouve dans un bâtiment qui est juste en face de l’ambassade des Etats-Unis. L’expérience des années antérieures a montré que ce prix avait été très souvent attribué à quelqu’un qui servait les intérêts américains. Le président Obama a été couronné du prix Nobel de la paix, ce qui est assez scandaleux quand on voit ce qu’il a fait. Mais on a vu aussi un prix Nobel accordé à un dissident chinois qui est en fait très proche des Américains, on l’a vu également avec la présidente de Libertad qui est très proche des Américains, ou une opposante yéménite qui est, elle aussi, très proche d’eux.
Il y a toute une stratégie des Etats-Unis vis-à-vis de l’Amérique latine, le prix Nobel de la paix participe de cette stratégie
On a l'impression que depuis un certain nombre d’années le prix Nobel de la Paix est devenu une espèce de moyen pour Washington de faire prévaloir ses intérêts géopolitiques, par le truchement d’un prix qui est considéré comme prestigieux. Mais personne ne s’intéresse à la façon dont il est décerné. Ce prix Nobel pourrait être décerné, par exemple, par l'Assemblé générale des Nations unies ou bien par un comité de scientifiques, des consciences morales... Pas du tout ! Ce sont cinq députés norvégiens qui sont très assujettis au pouvoir américain. Récemment d’ailleurs, le président du Comité du prix Nobel de la Paix, qui était par ailleurs un pro-européen fervent, membre du Conseil d'Europe. C’était quelque chose d’assez peu objectif.
Le lauréat de cette année est le président colombien, il fait partie de la haute bourgeoisie colombienne, son grand-oncle était déjà président du pays. Il s’est opposé et il était critique du président de Venezuela, comme des pays progressistes de l’Amérique du Sud. Mais j’observe que le curriculum vitae du lauréat de ce prix Nobel, le fait d’avoir ses études aux Etats-Unis, comme si c’était un parcours presque obligatoire. C’est vrai qu’il a signé un accord avec les FARC, c’est vrai que la Colombie est quasiment en situation de guerre civile, mais en lien avec d'innombrables autres intérêts comme le trafic de cocaïne. La population colombienne a rejeté cet accord le jour-même où il a été proposé. C’est un sujet polémique. Je crois a priori, qu’on n'en fait pas trop en disant que l'actuel président colombien est certainement proche des intérêts américains et que les Etats-Unis ont envie de reprendre la main en Amérique latine. C’est un euphémisme de dire que les Etats-Unis n’apprécient pas du tout les régimes venezuelien, bolivien ou en équatorial. Ils se sont rapprochés de Cuba récemment. Il y a toute une stratégie des Etats-Unis vis-à-vis de l’Amérique latine, je pense que le prix Nobel de la paix 2016 participe de cette stratégie.
Il faudrait que ça soit un jury qui représente la planète entière
RT France : Peut-on imaginer que le prix Nobel soit offert à un dissident anti-américain, tel que Julian Assange ou Edward Snowden, qui étaient parmi les candidats ? Si oui, à quelles conditions ?
F. A. : Normalement, on aurait pu penser qu'Edward Snowden ou Julian Assange reçoivent un prix Nobel. Aussi bien, par exemple, il y a des associations aux Etats-Unis de vétérans américains qui luttent contre la présence militaire américaine dans beaucoup de pays du monde et qui militent pour la paix au Moyen-Orient, ou pour que les Etats-Unis ne soient pas systématiquement alignés derrière l’Etat d'Israël. Toute une série de forces, notamment aux Etats-Unis, qui mériteraient de bénéficer d'un coup de projecteur. Il faudrait que ça soit un jury qui représente la planète entière. Et ce n’est pas le cas. L’UNESCO, par exemple, a créé la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Je trouve que le vrai prix Nobel devrait être attribué par l’organisation des Nations unies, par son Assemblé générale, par exemple. Et sans droit de veto du Conseil de sécurité. On pourrait donner ce droit à l’Assemblé générale ou à l’ONU, pour que prix Nobel soit un signe représentatif de l’ensemble de l’humanité, pas seulement des intérêts américains.
Le prix Nobel est une institution qui a été dévoyée
RT France : Aujourd’hui, y a-t-il des conditions, des mesures concrètes à prendre pour raviver l’intérêt pour le prix Nobel de la paix ?
F. A. : Non. Actuellement, le prix Nobel est une institution qui a été dévoyée, particulièrement le Nobel de la paix, pour des raisons politiques et géopolitiques au profit des intérêts américain. Il ne faut pas oublier que la Norvège est un pays qui fait partie de l’OTAN, un pays proche des intérêts américains. C’est un sujet très important, parce que finalement, le prix Nobel de la paix a été utilisé avec des dissidents soviétiques et chinois, aussi au moment où les Etats-Unis ont décidé de mettre un terme au régime de l'apartheid en Afrique du Sud. Mais il n’a jamais été utilisé pour récompenser un dissident américain, des gens qui s’opposent à la politique d’hégémonie des Etats-Unis.
On pourrait imaginer que la Russie, l’Inde, le Brésil, les grands pays du monde créent un autre prix mondial de la paix, qui serait un contre-prix Nobel et qui serait plus objectif. Ce serait une bonne chose. Et il pourrait associer les représentants des grandes religions du monde. Le prix a été décerné au Dalaï Lama, qui a une conscience morale assez particulière, par exemple, il n’a jamais critiqué l’intervention des Américains en Irak, les millions de morts causés par cette intervention, mais le Dalaï Lama a refusé de la condamner, ce qui est assez étrange pour un chef religieux et un lauréat du Nobel de la paix.
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