Hollande, un prix et l’indignité

La nouvelle de la désignation par la fondation The appeal of conscience de François Hollande comme «homme d’Etat de l’année» a fait beaucoup de bruit. L'économiste Jacques Sapir explique en quoi cet événement est un honneur plus que douteux.

Le président François Hollande est allé chercher le 19 septembre 2016 un prix décerné par une fondation américaine. Ainsi, huit ans après Nicolas SarkozyFrançois Hollande a été désigné «homme d’Etat de l’année» par la fondation The appeal of conscience et a reçu sa distinction à New York des mains de l’ancien prix Nobel Henry Kissinger et du rabbin Arthur Schneier. Il est humain de céder aux honneurs. Après tout Nicolas Sarkozy avait reçu ce prix avant lui, ce qui n’est pas nécessairement une référence. Mais il est sage de chercher à en savoir un peu plus sur qui vous honore.

La première chose qui dérange est le précédent récipiendaire de la distinction «d’homme de l’année». Ce n’était autre que le président du Mexique, monsieur Enrique Peña Nieto

Une indignité

Cette fondation a été créée en 1965 par le rabbin Arthur Schneier pour défendre la liberté religieuse et les droits de l’homme à travers le monde. Rassemblant le monde des affaires et des responsables religieux, elle cherche à promouvoir les dirigeants qui ont promu la paix, la tolérance, et qui ont œuvré pour la résolution des conflits. Jusque là, il n’y a rien à dire. Mais, la première chose qui dérange est le précédent récipiendaire de la distinction «d’homme de l’année». Ce n’était autre que le Président du Mexique, monsieur Enrique Peña Nieto. Qui ne s’est pas spécialement distingué dans la paix, la tolérance, et la résolution des conflits.

Et puis, la présence à la cérémonie d’Henry Kissinger, suscite plus qu’un trouble. Rappelons, pour les jeunes générations, qu’Henry Kissinger, alors ministre des Affaires étrangères (secrétaire d’Etat) de Richard Nixon, a été l’homme qui a suscité le coup d’Etat de 1973 au Chili et la prise de pouvoir des généraux argentins en mars 1976, qui s’est accompagnée de ce que l’on appelle la «sale guerre». Ces coups d’Etat ont fait des centaines de milliers de victimes et, encore aujourd’hui, le souvenir des «disparus», torturés et assassinés par ces dirigeants militaires hante la mémoire du Chili et de l’Argentine. Lors de son récent voyage à Buenos Aires le président Barack Obama a été accueilli par des manifestants qui demandaient aux Etats-Unis des explications pour leur implication dans ce qui reste comme l’un des chapitres les plus sombre de l’Argentine. Jon Lee Anderson, dans le NewYorker pose la bonne question : Henry Kissinger a-t-il une conscience ? Et la réponse, bien évidemment, est non.

Les mains d’Henry Kissinger sont tachées du sang des Argentins et des Chiliens, mais aussi de bien d’autres

Henry Kissinger avait apporté son soutien à ces généraux, tout comme il avait soutenu les généraux chiliens. A sa demande, le Congrès des Etats-Unis avait voté des budgets incluant une aide militaire importante pour les généraux argentins. Les mains d’Henry Kissinger sont tachées du sang des Argentins et des Chiliens, mais aussi de bien d’autres, car durant les années où il a exercé les fonctions de ministre des affaires étrangères des Etats-Unis, il n’a eu de cesse de promouvoir la plus brutale et la plus sanguinaire des politiques.

Une liste a été établie par Dan Froomkin (et traduite par Laurent Schiaparelli) qui  a été publiée sur le site du SakerFrancophone : 

  1. Il a inutilement prolongé la guerre du Vietnam de cinq années.
  2. Il a fait bombarder illégalement le Cambodge et le Laos.
  3. Il a poussé Nixon à mettre sur écoute ses équipes et des journalistes.
  4. Il porte la responsabilité de trois génocides, au Cambodge, au Timor oriental et au Bangladesh.
  5. Il a encouragé Nixon à poursuivre Daniel Ellsberg pour avoir publié les papiers du Pentagone, déclenchant ainsi un enchaînement d’événements qui ont précipité la chute du gouvernement Nixon.
  6. Il a renforcé l’ISI, les services secrets pakistanais, et les a encouragés à utiliser un islam politique pour déstabiliser l’Afghanistan.
  7. Il a été à l’origine de la politique, addictive pour les Etats-Unis, de pétrole-contre-armes avec l’Arabie saoudite et avec l’Iran avant sa révolution.
  8. Il a encouragé d’inutiles guerres civiles en Afrique subsaharienne, qui, au nom d’un soutien au suprématisme blanc, ont laissé dans leur sillage des millions de morts.
  9. Il a soutenu d’innombrables coups d’Etat et escadrons de la mort en Amérique latine.
  10. Il s’est acquis les bonnes grâces de la première génération de néo-conservateurs, les Dick Cheney et Paul Wolfowitz, qui ont amené le militarisme américain à un niveau supérieur de désastre pour le pays.

Dès lors, on peut s’interroger sur le trouble qu’a pu ressentir François Hollande quand il a reçu cette distinction des mains certes tremblantes mais toujours ensanglantées d’Henry Kissinger. A-t-il eu une pensée pour toutes les personnes torturées et assassinées, pour les citoyens français, qui ont été victimes des politiques suscitées ou soutenues par ce «cher Henry» ? Il n’y a pas de plus symbolique reniement des principes de la gauche que l’acceptation de la présence d’Henry Kissinger lors de la remise de ce prix. Et cela confirme ce que l’on écrivait dans une autre note : la véritable extrême-droite s’incarne aujourd’hui dans des hommes et des femmes qui, de François Hollande à Nicolas Sarkozy, en passant par Alain Juppé et quelques autres, mettent en œuvre une politique dangereuse tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Le plus probable est qu’on a voulu faire une plaisanterie et donner à «monsieur petites blagues» une leçon d’humour juif new-yorkais

Une plaisanterie?

Mais qu’ont dû penser les responsables de Appeal of Conscience quand ils ont décidé d’attribuer le prix pour l’année 2015 à François Hollande ? Ils ne pouvaient ignorer la détestation qui entoure l’homme et sa politique. Le plus probable est qu’il ont voulu faire une plaisanterie et donner à «monsieur petites blagues» une leçon d’humour juif new-yorkais. Cette plaisanterie renvoie au folklore juif d’Europe centrale et fait référence à l’histoire suivante, que j’avais entendue enfant de la bouche d’amis de mon père :

Un jour, dans un ghetto situé entre Lvov et Cracovie, vivait un très misérable tailleur prénommé Moïshe. Il vivait avec sa femme et ses six enfants, avec sa mère qui perdait un peu la tête, dans une pièce unique et insalubre. A bout de forces et de nerfs, il alla voir le rabbin et lui dit : «Rabbin, que dois-je faire ? Je n’ai plus la force de coudre alors que mes enfants crient dans la pièce, que ma femme se dispute avec ma mère, que c’est toujours la confusion». Et le rabbin, après avoir réfléchi un instant lui dit : «Moïshe, achète-toi une chèvre». Et Moïshe, qui avait confiance dans le bon sens du rabbin fait ce que ce dernier lui a dit de faire : il achète une chèvre. Et là, la situation devient catastrophique. La chèvre court et bondit dans la pièce, mange le tissu sur lequel travaille Moïshe, fait des crottes partout. Alors Moïshe se précipite vers le rabbin et lui dit : «Oh, rabbin, qu’avez vous fait ? C’est l’enfer que vous me faites vivre». Alors le rabbin lui dit : «Moïshe, vend maintenant la chèvre…». Et, là encore, Moïshe dont la confiance dans les avis du rabbin n’a pas été ébranlée, fait ce que le rabbin lui a dit de faire. Trois jours s’écoulent, et Moïshe vient pour le Shabbat à la pauvre Synagogue du lieu et il voit le rabbin. Et il se précipite vers lui, tombe à ses genoux, les embrasse et dit «Rabbin, vous m’avez sauvé la vie, maintenant tout est calme à la maison depuis que j’ai vendu la chèvre. Je n’entends plus mes enfants crier, ni ma femme et ma mère se disputer».

Certains, à la lecture de cette histoire vont me dire : «comment, vous osez comparer François Hollande, Président de la république, à une chèvre ?» A ceux là, je répliquerai par une autre histoire, que l’on racontait dans la Pologne sous le joug soviétique, quand un commissaire de police vit entrer un homme en furie qui hurlait «un soldat suisse vient de me voler ma montre russe». Le commissaire, un instant interloqué, lui dit «calmez vous. Vous vouliez dire : un soldat russe vous a volé votre montre suisse ?» Et l’homme de rétorquer «ce sont vos propres mots, monsieur le commissaire, ce sont vos propres mots»…

Du même auteur : Sondages : les souverainistes majoritaires ?